Car il fut un temps, que l’on ne retrouve guère aujourd’hui qu’au cinéma, où le parfum industriel n’existait pas – ce qui est naturel, puisque l’industrie elle-même restait à inventer – et où les aristocrates se faisaient faire leur propre parfum. L’excellent roman de Patrick Süskind Le Parfum, qui a donné lieu au film éponyme, nous replonge avec talent dans cette époque révolue et dans les coulisses de ce qu’était le métier de maître parfumeur jusqu’au XVIIIème siècle.

C’est précisément dans ce XVIIIème siècle dépeint par l’écrivain allemand que les établissements Creed voient le jour, à Londres en 1760. James Henry Creed inaugure sans le savoir une tradition familiale qui va traverser le temps, et la Manche. Son fils Henry lui succèdera, puis à celui-ci son propre fils Henry, avant son petit-fils Henry, puis James Henry, et enfin Olivier dans les années 60 et Erwin aujourd’hui. Un succès et une pérennité dus à la qualité des produits maison, indiscutée sur les quatre continents où ils sont exportés.

Très rapidement en effet, les premiers parfums Creed se forgent une réputation enviable, séduisant la Reine Victoria, qui signe à James Henry son premier titre de fournisseur de la cour – les fameux royal warrants des grands tailleurs historiques de Savile Row. L’enthousiasme de celle qui est alors la reine la plus puissante du monde propulse Creed dans les autres cours européennes, et le parfumeur londonien devient bientôt fournisseur officiel des cours royales de France et d’Espagne, du tsar de Russie Nicolas II, de l’empereur François-Joseph d’Autriche et même de la célèbre impératrice Sissi. Quatre-vingts ans plus tard, c’est à la demande de l’impératrice Eugénie que Creed ouvrira sa première boutique parisienne.

Entretemps la maison aura au fil des années élargi son domaine de compétences et étendu son influence en engageant des maîtres tailleurs afin d’habiller ses clients et clientes. Ses soies d’Extrême-Orient et ses tissus écossais en font rapidement un tailleur très en cour, qui compte nombre de célébrités parmi sa clientèle. Mais son cœur de métier demeure le parfum, lequel se prépare, alors que l’industrialisation l’a démocratisé jusqu’à en faire « le produit de luxe le plus accessible », à prendre une nouvelle dimension en embrassant son acception la plus haut de gamme : celle des parfums de créateurs et, plus exclusifs encore :
celle des parfums sur mesures.

Pour cette activité confidentielle (la maison fabrique aujourd’hui une centaine de parfums personnalisés, parmi lesquels celui de l’acteur américain Robert Redford) comme pour ses collections, Creed continue 250 ans après sa création à traquer les composants naturels les plus rares pour offrir à une clientèle de connaisseurs des jus incomparables.

Ainsi Olivier et Erwin continuent-ils de parcourir le monde pour sélectionner les meilleures essences de roses de Bulgarie, de jasmins d’Italie, d’iris de Florence ou de tubéreuse des Indes, comme ces essences précieuses continuent d’être infusées, macérées et filtrées à la main, selon des techniques abandonnées par les fabrications industrielles modernes.

Ayant ensuite été assemblées pour concocter des fragrances uniques et rares, elles seront livrées dans les fameux flacons au bouchon de verre émeri habillé de cuir et constitueront la signature olfactive de quelques esthètes aussi soucieux de la personnalité de leur jus que de l’exclusivité garantie par la confidentialité de la production maison.