Trevallon fait peau neuve
En ce début de XXIème siècle, la Provence vinicole est en complète mutation. La plupart des vignerons font des efforts très substantiels sur la qualité de leur vin. Autrefois très fréquentes dans cette région de la France, les coopératives perdent du terrain, les vignerons préférant vinifier et mettre eux-mêmes leur vin en bouteille. De nombreux domaines se sont convertis ou sont en cours de conversion en culture biologique. Des d’industriels de renom ont fait l’acquisition de domaines, généralement situés en bordure de Méditerranée, qu’ils ont amélioré à grands coups de millions d’euros pour obtenir des résultats certes intéressants mais sans commune mesure avec le montant de leur investissement.
Les habitués de ces colonnes savent à quel point nous sommes admiratifs du travail accompli par Eloi Dürrbach depuis 1973, année de naissance du Domaine de Trevallon. Il fallait à cette époque être particulièrement entreprenant – mais ne dit-on pas que la chance sourit aux audacieux ? – pour créer de toutes pièces un domaine viticole dans une région jusqu’alors peu réputée pour la qualité de ses vins. Au-delà de cette audace, Eloi Dürrbach décida que ce domaine serait conduit selon les préceptes de l’agriculture biologique. Rappelons qu’en 1973, à l’heure des herbicides, pesticides et engrais chimiques de la pire espèce, personne ne s’imaginait conduire un vignoble autrement qu’en le pulvérisant de toutes ces substances très toxiques. Il est vrai, à la décharge de ceux qui s’adonnaient à de telles pratiques, qu’ils n’avaient pas le recul suffisant pour en connaitre les conséquences néfastes sur la santé. Toujours est-il qu’Eloi Dürrbach, visionnaire, exploite depuis plus de quarante ans son domaine sans traitement chimique de synthèse, quelle qu’en soit la nature. De l’audace, il en fallait aussi pour faire un pied de nez à l’INAO. En effet, Eloi Dürrbach, qui aurait eu avantage à bénéficier de l’appellation contrôlée Baux de Provence, a décidé de « déclasser » ses vins en vins de pays (aujourd’hui IGP) car il souhaitait faire un assemblage prohibé par l’appellation, issu à parts égales de cabernet sauvignon et de syrah. C’est donc en partant de zéro, en utilisant des traitements biologiques et en s’affranchissant des normes de l’appellation contrôlée, qu’Eloi Dürrbach a construit les fondations d’un des fleurons du vignoble hexagonal.
Depuis 1973, le domaine de Trevallon n’a fait que s’agrandir pour atteindre une surface totale d’environ vingt hectares composée de plusieurs parcelles, la plupart telles des joyaux entourées d’écrins de verdure. L’élément marquant de ces dernières années est l’élaboration en 2014 d’un nouveau chai, dans lequel sont vinifiés les raisins issus du domaine. Il s’agit ici d’une petite révolution car la physionomie des bâtiments s’en trouve quelque peu modifiée. Il ne s’agit pas ici d’une révolution comme on peut le voir ici et là dans certains domaines de Provence. Il n’aurait jamais été question pour Eloi Dürrbach de faire de ses chais une « usine » ultra-moderne et ultrainformatisée permettant de gérer depuis un cockpit la température idéale des cuves et toute autre information permettant un processus de vinification en théorie parfait. Eloi Dürrbach fait partie de ceux qui considèrent encore que le vin est une affaire d’hommes et non de machines, aussi sophistiquées soient-elles. Ainsi considère-t-il qu’il ne saurait être question de faire des vins de grande classe sans l’appréciation et surtout l’intuition du vigneron, qu’aucune machine ne saurait utilement remplacer. Ainsi l’installation de nouveaux chais à Trevallon n’a-t-elle pas pour objectif de modifier le processus de vinification mais d’en permettre une meilleure organisation. Toujours est-il que ces nouveaux chais ont fière allure. Les bâtiments sont très sobres, les murs constitués d’un mélange de différentes terres de la région, tandis que les ornements de la façade du chai rappellent la géométrie des dessins figurant sur les étiquettes ornant les bouteilles.
Evoquons maintenant les vins du domaine. Rappelons que celui-ci produit essentiellement du vin rouge, comme indiqué ci-dessus : résultant d’un assemblage à parts égales de syrah et de cabernet sauvignon, et caractérisé par des élevages longs. Les rouges de Trevallon sont en effet élevés pendant plus de deux ans durant lesquels les soutirages sont limités au strict minimum, la lie qui se trouve au fond des fûts continuant de nourrir le vin pendant toute la durée de l’élevage. Evidemment, la vinification se fait sans égrappage, sans levurage et sans soufre ajouté. Nous précisons qu’il n’y a pas de filtration et que le vin est collé au blanc d’oeuf frais avant la mise en bouteille. Il en résulte des vins rouges de très haute qualité, qui font la joie des dégustateurs et des collectionneurs, les bouteilles de Trevallon nécessitant en général un vieillissement d’au moins dix ans avant de connaître leur parfait épanouissement. Nous avons eu l’occasion de déguster les derniers millésimes, qui se présentent sous les meilleurs auspices.
Nous ne pouvons terminer cet article sans faire état des vins blancs du domaine, qui sont extrêmement recherchés par les connaisseurs compte tenu de leur qualité mais aussi de leur rareté, puisque le domaine ne produit environ que 6.000 bouteilles qui sont vendues avant même d’avoir été vinifiées. A l’instar des rouges, les vins blancs du Domaine de Trevallon peuvent se conserver de nombreuses années et devront nécessairement être carafés entre une demi-heure et une heure avant dégustation. Le magnifique 2012 que nous avons pu déguster peut d’ores et déjà être bu. Il allie puissance et fraîcheur sur les arômes, notamment de miel et de verveine. Aussi si vous avez l’occasion de déguster un blanc de Trevallon, n’hésitez surtout pas !