Tesla Model S : révolutionnaire !
Aston dehors, Apple dedans, le tout avec les performances et l’autonomie d’une BMW M5 ! Voilà la carte de visite de la Tesla S, la voiture électrique, on peut même dire la voiture tout court, la plus surprenante du moment.
Tous les passionnés d’automobile connaissent maintenant Tesla. Son roadster, vendu à plus de 2500 exemplaires dans le monde, a donné ses lettres de noblesse à la voiture électrique. Mais aujourd’hui, comme l’ont fait avant lui ses « voisins de quartier » Apple, Google, eBay et Facebook, le petit constructeur de la Silicon Valley a décidé de passer à la vitesse supérieure. Fini les véhicules de niche. Il veut désormais s’attaquer aux modèles de grande diffusion. Toute une gamme de véhicules à propulsion électrique est donc en préparation avec un SUV, une berline compacte (annoncée à 25 000 $), et pour commencer une grande berline dont la commercialisation a déjà débuté aux USA et qui s’annonce en Europe. Dandy a pris son volant en avant-première sur les routes et autoroutes allemandes. Accrochez-vous : ça décoiffe !
Un écran géant en guise de tableau de bord
Avant même de rouler, la Tesla S impressionne déjà. Par ses dimensions imposantes d’abord : 4,98 m de long, 2,19 m de large et 1,43 m de haut. Par sa ligne sculpturale, mélange de Jaguar XJ et d’Aston Martin Rapide ensuite. Mais aussi par la capacité de son coffre, supérieure à celle des plus grands monospaces avec 895 l ! Il faut dire que l’auto en possède deux. Un à l’arrière (745 l) et un autre l’avant (150 l), ce qui ne manquera pas de déstabiliser les blondes : « mais où est donc passé le moteur ? ».
Mais les surprises ne sont pas finies. Par exemple, les poignées de portes sortent automatiquement lorsqu’on les effleure. Et, à l’intérieur, toutes les références automobiles « classiques » volent en éclats. Comme l’explique Elon Musk, cofondateur de Tesla Motors : « En naissant dans un environnement industriel comme celui de la Silicon Valley, la S devait innover en matière d’interface homme-machine ». Ainsi tous les cadrans, jauges et autres contacteurs ont disparu du tableau de bord. Ils sont remplacés par deux écrans. Celui de la console centrale, placé dans le sens de la hauteur, mesure 42 cm de diagonale. Plus que la plupart de nos téléviseurs ! Cette méga tablette tactile affiche et commande la majorité des fonctions de la voiture : climatisation, navigation, réglages châssis (direction, suspension), connexion Internet, paramètres moteur et installation audio. Dans ce cas, il s’agit d’un système à 12 haut-parleurs d’une puissance de 580 W, développé avec les laboratoires Dolby, un autre voisin… Derrière le volant se trouve un écran plus modeste. Il affiche en son centre le tachymètre, la consommation ou la récupération d’énergie, et l’autonomie. L’espace de part et d’autre de ce compteur virtuel peut être paramétré selon les désirs de l’utilisateur. Il n’y a pas de clé de contact ni de bouton de démarrage : il suffit d’appuyer sur le frein et de passer le sélecteur de vitesse sur R ou D pour que ce vaisseau spatial prenne son envol.
Le confort d’une Rolls et le brio d’une BMW M5 !
Prendre de son envol est bien le terme adéquat quand l’engin s’anime. Le silence est total et la suspension pneumatique active donne l’impression de planer au-dessus du sol. Jusqu’à 50 km/h, la Tesla S peut rivaliser avec une Rolls-Royce Phantom en matière de confort. Au-delà, c’est à une autre concurrente qu’elle s’attaque.
Enfoncez la pédale des « gaz » et les 600 Nm de couple du moteur électrique asynchrone, placé sous le plancher entre les roues arrière, déboulent instantanément. On est alors littéralement collé au siège. Preuve de cette santé, cette tornade silencieuse dévore le 0 à 100 km/h en 4,6 s, soit aussi vite qu’une BMW M5 qui est, rappelons-le, dotée d’un V8 de 560 ch ! Égaler la M5 en accélération est déjà un exploit mais l’Américaine l’humilie carrément en reprises puisqu’elle passe de 80 à 120 km/h en 2,7 s quand il faut 4,6 s à l’Allemande… un monde ! De fait, au volant de la Tesla S, l’impression de poussée ne s’arrête jamais ; du démarrage à la vitesse maxi, volontairement limitée à 212 km/h. C’est une sensation absolument unique qui fait presque oublier les envolées lyriques d’un V12 de Maranello. De plus, malgré ce déferlement de plaisir au volant, elle ne pollue pas. Incroyable ! Évidemment, avec ce gros moteur électrique de 310 kW (416 ch.), on se dit que l’autonomie doit fondre comme neige au soleil. Encore une erreur !
Jusqu’à 500 km d’autonomie
Tesla n’a pas lésiné sur la taille de la batterie. L’élément lithium-ion cobalt qui occupe tout le soubassement de la voiture embarque 85 kWh utiles d’énergie. Quatre fois plus qu’une Nissan Leaf ! Dans des conditions idéales (homologation) on peut faire jusqu’à 500 km avec un « plein ». Dans la pratique, en roulant calmement, on couvre 400 km. Enfin, à allure sportive comme nous l’avons fait on parcourt sans problème 250 km. Pour être très précis, nous avons consommé exactement 27,9 kWh pour faire 81,2 km soit une moyenne de 343 Wh/km. 30 % de ce parcours a été effectué sur l’autoroute, dont une bonne partie à vitesse maxi. Le reste sur route en conduite sportive et une toute petite partie en ville, domaine dans lequel la consommation d’une voiture électrique est la plus basse. Nous avons aussi réalisé de nombreuses accélérations, gourmandes en énergie. Dans le même exercice, notre M5 réclame au moins 20 l/100 km, ce qui correspond à une consommation énergétique de 2000 Wh/km : presque six fois plus que la Tesla S !
Contrairement à beaucoup de véhicules électriques, notre Tesla S ne propose pas de mode « éco ». En revanche le conducteur dispose d’un réglage de la récupération d’énergie au freinage. Sur le mode « standard », elle atteint au maximum 60 kW. Un mode « low » ramène cette valeur à 30 kW. Le « frein moteur » est ainsi moins prononcé, ce qui est plus agréable pour circuler en ville. La Tesla S permet ainsi de rouler l’esprit tranquille sans que l’autonomie restante soit une appréhension.
Charge : entre 1 h et … 39 h !
Évidemment, l’énorme capacité de la batterie se paye à plusieurs niveaux. Le poids tout d’abord : avec 480 kg de batterie, la voiture affiche 2106 kg au total – une paille ! Cela dit, son centre de gravité très bas (43 cm) et les suspensions actives lui confèrent un comportement surprenant d’efficacité à défaut d’être réellement sportif.
Deuxièmement handicap : la recharge. Une charge complète sur une prise standard (220 V, 10 A) avoisine les 39 h ! Avec le chargeur de base (10 kW), la durée minimale est de 9 h. Mais Tesla propose aussi une option double chargeur. Avec une puissance de 20 kW, le temps d’un « plein » est réduit à moins de 5 h. Enfin, la marque a développé un « supercharger » capable de délivrer 90 kW, le record du monde à l’heure actuelle. Grâce à cette borne spécifique, la charge totale prend un peu moins d’une heure. Tesla a prévu d’équiper les principales voies de circulation de Californie de ces points de recharge. Ils permettront aux possesseurs de Tesla S de parcourir l’Etat du nord au sud sans risque de panne. De plus, l’énergie sera issue de panneaux solaires et totalement gratuite pour les clients Tesla… Peut-être une idée à creuser en Europe ?
Combien ça coûte ?
Même si la marque américaine se targue de posséder les batteries offrant le meilleur rapport énergie/prix du marché, elles grèvent considérablement le tarif de l’auto. Notre modèle Signature Performance « 85 kWh » d’essai coûte en effet 97 900 $ hors taxes aux USA quand le modèle « de base » avec un moteur un peu moins puissant (355 ch.) et une batterie plus petite (40 kWh) débute à 49 900 $. En Europe, ses prix devraient se situer entre 64 760 € et 102 700 €.
Qu’en retenir ?
La Tesla S est un électrochoc ! Elle est belle, démode le reste de la production automobile en matière d’interface homme-machine et soutient la comparaison en performances avec la BMW M5, LA référence des grandes berlines. En plus elle n’émet ni gaz ni bruit, et peut parcourir jusqu’à 400 km en conditions réelles. Ce qui ne serait pas loin d’en faire la voiture parfaite si son prix n’était pas stratosphérique et sa recharge pour l’instant encore si problématique.
Le concepteur de la « meilleure voiture du monde » est français
Si la Tesla S a été élue voiture de l’année aux USA, ce n’est par hasard. Cette grande berline électrique égale ou surpasse ses concurrentes allemandes en matière de performances, de confort, de pollution, et même de ventes. On sait moins que cette voiture révolutionnaire est l’oeuvre d’un Français. Ingénieur de l’ENSTA Paris et titulaire d’un doctorat en ingénierie mécanique de l’université du Michigan, Jérôme Guillen est en effet le directeur du programme S. Il répond en exclusivité aux questions de Jean-Luc Moreau.
Dandy : Il y a trois ans vous avez quitté Daimler pour Tesla. Qu’est-ce qui a motivé ce changement « risqué » ?
Jérôme Guillen : « Lorsqu’Elon Musk m’a proposé de travailler pour Tesla, j’ai été séduit par sa vision de la voiture du futur. C’était un challenge extraordinaire et j’avais envie de le relever. Alors j’ai accepté sans hésitation, d’autant que le projet de la S, qui avait déjà démarré, était impressionnant.
Qu’est-ce qui change chez Tesla Motors par rapport à la façon de travailler des constructeurs automobiles traditionnels ?
JG : Comparé aux grands constructeurs automobiles, nous sommes une toute petite entreprise. Ici, il n’y a pour le moment que 5000 employés. Notre façon de travailler est donc radicalement différente. Nous avons moins de moyens, ce qui nous oblige à trouver des solutions plus astucieuses. À l’inverse, nous sommes beaucoup plus réactifs et nous pouvons développer des solutions nouvelles beaucoup plus rapidement que les constructeurs classiques. Nous avons aussi un degré d’intégration beaucoup plus important qu’eux : Tesla fabrique l’essentiel des pièces de la voiture, même les sièges, et a recours à très peu de sous-traitants. Tesla possède aujourd’hui une bonne longueur d’avance en matière de véhicules électriques.
Pensez-vous pouvoir garder longtemps cet avantage ?
JG : Oui, parce que nous travaillons plus vite et parce que nous sommes aussi la marque qui a le plus d’expérience en matière de véhicules électriques. C’est d’ailleurs pour ça que Daimler et Toyota travaillent avec nous. Nous avons par exemple les batteries offrant la meilleure densité énergétique du monde et le moteur offrant le meilleur rendement du marché.
Quel était l’objectif concernant la S ?
JG : Celui de concevoir la meilleure voiture du monde ! Et pas seulement un véhicule électrique (sourire)…
Vous estimez y être parvenu ?
JG : Vous l’avez conduite, non ? En plus, c’est aujourd’hui la voiture la plus sûre de toutes. Aux USA, elle a obtenu les meilleures notes à tous les types de crash tests, qu’ils soient frontaux ou latéraux.
Avez-vous introduit une touche de culture française dans la voiture ?
JG : Non, pas vraiment. C’est une voiture internationale. Elle ne fait donc référence à aucune culture en particulier. Elle se vend aujourd’hui mieux aux USA que les Mercedes, BMW et Audi.
En tirez-vous une fierté particulière ?
JG : Pas particulièrement. En revanche, nous sommes très attentifs aux réactions qu’elle va susciter en Europe, où sa commercialisation débute en ce moment. C’est là qu›elle va se mesurer frontalement aux berlines allemandes. Ensuite, il y aura l’Asie du Sud-Est. Et c›est encore un autre type de clientèle. On pourra parler de réussite si la S a du succès sur tous ces marchés.
Si le succès est au rendez-vous, pourrez-vous produire suffisamment de voitures ?
JG : Nous possédons la plus grande usine automobile des USA. Le site de Fremont fait plus de 1,5 million de mètres carrés : ce qui est certain, c’est que nous ne manquerons pas tout de suite de place pour fabriquer des voitures (rires). Nous ne pouvons pas dévoiler nos capacités de production mais nous avons déjà annoncé que l’objectif initial de 400 véhicules/semaine avait été doublé. Aujourd’hui, la colossale capitalisation boursière de Tesla (19 milliards de dollars, ndlr) repose uniquement sur le modèle S.
En tant que directeur du programme, vous n’avez pas peur du poids qui pèse sur vos épaules ?
JG : En fait, je n’y pense jamais. Nous travaillons tous très dur pour le succès de la marque et je n’ai pas de temps pour ces considérations. En plus, de nouveaux modèles arrivent. Le Tesla X, un crossover sur la base de la S, et une berline familiale qui est très importante pour nous en termes de volumes.
Voudriez-vous démocratiser la voiture électrique ?
JG : Oui, c’est la meilleure solution pour l’avenir, surtout si on arrive à alimenter les véhicules avec de l’électricité renouvelable. Mais, renouvelable ou pas, l’électricité pose un problème de recharge… C’est pour cela qu’en parallèle des voitures, Tesla développe des moyens de charge adaptés à l’automobile. Nos « superchargers » sont déjà capables de délivrer une puissance de 120 kW, c’est-à-dire qu’on peut faire « le plein » en 30 minutes et ensuite parcourir jusqu’à 500 km. De plus, l’électricité est gratuite pour nos clients. Mais certains trouvent cela encore trop long ! Pour eux nous proposons, en payant cette fois, un échange de batterie plus rapide qu’un plein d’essence (90 secondes). Better Place a voulu imposer un tel système et a échoué.
Cela ne vous inquiète pas ?
JG : Leur modèle économique n’était pas du tout le même que le nôtre. D’ailleurs, le modèle économique de Tesla ne ressemble à un aucun autre. Nous sommes plus dans la culture Silicon Valley, une place qui a vu naître Apple, Microsoft, Intel et Google. De beaux succès, je crois !