Sur les rails de l’Histoire
Et si l’on redécouvrait le plaisir du voyage en train ? Si l’on replongeait dans un passé pas si lointain où l’on se permettait de prendre son temps, où notre rythme de vie ne nous imposait pas d’être arrivés avant que d’être partis, où 24 heures suffisaient dans la journée, où la télévision, Internet et Facebook restaient à inventer ? Quelques compagnies de par le monde ont pris le pari de restaurer ce plaisir gentiment suranné. Mais le plus célèbre entre tous ces trains demeure indiscutablement l’Orient-Express.
Sa publicité – on parlait de réclame, à l’époque – le proclamait « le train des rois et le roi des trains ». Il fut effectivement durant près d’un siècle synonyme de luxe et de savoir-vivre. Ce qui ne l’empêcha pas de disparaître en 1977. Avant de renaître cinq ans plus tard, plus séduisant que jamais. Flash-back.
1867, Bruxelles. Le jeune Georges Nagelmackers embarque pour les Etats-Unis. Son père l’y envoie pour se rafraîchir les idées après une amourette qui n’a pas l’heur de plaire à la famille, propriétaire de la plus ancienne banque de Belgique. Le jeune homme traverse le pays dans les trains de nuit et découvre les fameux wagons Pullman lancés quelques années auparavant, dans lesquels les banquettes se transforment en couchettes pour la nuit. C’est une révélation. Porté par l’énergie de la jeunesse, Nagelmackers imagine transposer le principe dans la Vieille Europe.
De retour en Belgique, il renonce à faire carrière dans la banque familiale et se consacre exclusivement à son projet insensé. Celui-ci ne va pas sans écueil, à commencer par l’écartement des rails, différent d’un pays à l’autre, et il lui faudra régler nombre de problèmes techniques. Il a en revanche une vision très précise concernant les wagons : il s’agira de véritables voitures-lits, plus luxueuses et plus confortables que les Pullman. Et son train innovera en intégrant les premiers wagons-restaurants. Il veut offrir à la riche clientèle européenne l’opportunité de traverser le continent d’est en ouest et du nord au sud dans un train unique. Contre toute attente, il obtient l’appui de Léopold II, roi des Belges, et fonde bientôt la Compagnie Internationale des Wagons-Lits. Nous sommes en 1872, Georges Nagelmackers a 27 ans et son projet va bon train lorsque surgit un concurrent inattendu : George M. Pullman veut lui aussi exporter ses sleeping-cars sur le Vieux Continent. L’Américain est un homme d’affaires riche et expérimenté. Il va pourtant rendre les armes devant le jeune Belge, qui tire avantage de sa connaissance de la mentalité européenne, laisse Pullman s’enliser avec ses couches séparées par de simples rideaux, et continue de développer ses wagons constitués de luxueuses cabines individuelles aux boiseries raffinées et aux cuivres rutilants. Adoptant la même démarche pour ses wagons-restaurants, il les conçoit prestigieux, avec un personnel stylé servant une cuisine raffinée. Lorsque le premier Orient-Express quitte la Gare de Strasbourg (aujourd’hui Gare de l’Est) de Paris direction Constantinople le 4 octobre 1883, il est sans concurrence. Seul au monde à offrir pareilles prestations, pareil itinéraire, pareil luxe et pareil confort. L’inauguration du tunnel du Simplon, qui relie la Suisse à l’Italie, le 30 mai 1906, va lui ouvrir de nouvelles perspectives, et lui permet de relier plus rapidement les deux capitales via Venise. Jusque dans les années 30, le Simplon-Orient-Express devient la coqueluche du gotha. La littérature en fait une entité romanesque, qui culminera avec le Crime dans l’Orient-Express d’Agatha Christie, en 1934. La seconde guerre mondiale, puis le développement du transport aérien des années 50 et suivantes, mettront un terme à la belle épopée et le Simplon-Orient-Express fait son dernier voyage en 1977. A la fin de cette même année James Sherwood, président de la société Orient-Express Hotels, rachète deux voitures du célèbre train au cours d’une vente aux enchères Sotheby’s, à Monaco. L’homme se prend de passion pour le train mythique, et dépensera en cinq ans 11 millions de livres (18 millions d’euros) pour racheter 35 voitures auprès de collectionneurs et de musées, les faire réaménager et leur rendre leur splendeur. Il atteint son but le 25 mai 1982, lorsque s’ébranle le Venice Simplon Orient-Express pour sa deuxième vie.
Chef étoilé et tenue correcte exigée
Immuable depuis sa renaissance, le train est composé de dix-sept voitures : trois voitures-restaurants, une voiture-bar, deux pour le service et les bagages, et onze voitures-lits. Les déjeuners et dîners, cuisinés à bord par Christian Bodiguel et sa brigade, sont inclus dans le prix du billet, de même que le petit-déjeuner et les eaux, thés et cafés offerts à toute heure, et les passagers disposent au centre de la rame d’une boutique exclusive installée dans la voiture Lalique. Et enfin, last but not least : à l’inverse de tant de restaurants prétendument hauts de gamme, une tenue correcte et élégante est exigée aux repas, jeans et t-shirts étant totalement proscrits. Une excellente raison, pour tous les élégants du monde, de s’offrir au moins une fois ce voyage historique.
Bois précieux et linge de toilette façon palace dans les cabines, cuisine fine et tenue correcte exigée au wagon-restaurant : l’Orient-Express véhicule une manière de voyager que l’on pensait révolue.