Singapour, ville ouverte
La ville état vient de souffler son demi-siècle d’indépendance et poursuit sans faillir son insolente croissance. On la considère comme la Suisse de l’Asie tant sa structure politique et son économie contrastent avec ceux de ses voisins immédiats comme la Malaisie ou l’Indonésie, qui se sont essoufflés. Singapour, littéralement la cité Lion, est en fait un dragon et malgré sa superficie restreinte, ce pays de cinq millions d’habitants – dont plus de vingt pour cent sont des étrangers – revendique sa place parmi les premières métropoles du globe.
Sa démesure est perceptible dès la découverte de son gigantesque aéroport, véritable ville ouverte agrémentée d’une étonnante serre aux papillons tropicale et de jardins avec orchidées et plantes carnivores. Une sorte de vitrine de ce « Singapore Inc. » qui a nettoyé ces quartiers, effacé les graffitis de ses façades et planté des gratte-ciels de verre et d’acier aux quatre coins de la cité, de Raffles Place à Marina Bay. En déambulant dans les quartiers de Chinatown à Arab Street, la métropole offre une diversité incroyable, mélange de populations et de coutumes qui n’entame en rien son identité de capitale asiatique. Si une grande majorité de Singapouriens vit dans les immeubles quasi neufs d’une périphérie gagnée sur la mer, les nantis – nombreux – préfèrent les immeubles art-déco de Tiong Bahru ou les maisons pimpantes et souvent mitoyennes de Tanjong Pakar, Katong ou encore Joo Chiat. Quant aux milliardaires, on les retrouve dans les superbes demeures de Bukit Timah et d’Orchard Road, à l’ombre de vastes frondaisons de banians et d’angsanas. Car Singapour n’est pas une ville béton : battent en son sein de nombreux parcs et un immense espace vert, leMac Ritchie réservoir, tandis que des milliers d’arbres ponctuent les rues de Holland village, de Buena Vista et de Portsdown, où vivent de nombreux expatriés amoureux de ces vastes maisons magnifiquement conservées de l’époque coloniale. Les nouveaux riches, créateurs de jeunes start-up ou managers de « hedge funds », ont posé leurs valises du côté de Harbour Front et de Sentosa, une île résidentielle excentrée mais possédant parcs et golfs donnant sur une mer parsemée de pétroliers…
Pour mieux comprendre la ville et son miraculeux développement grâce à des cartes et des maquettes, nous nous sommes rendus à l’URA Gallery avant de rejoindre notre hôtel niché dans le superbe bâtiment XIX° qui abritait autrefois la Poste : le SO. Sous l’impulsion d’une jeune architecte et la baguette magique de Karl Lagerfeld, cet hôtel du groupe Sofitel est d’un design innovant et possède des chambres de grand confort (lire Entre nous). Face à lui un marché ouvert quasiment jour et nuit, où il est possible le soir venu de déguster quelques brochettes sur des tables de fortune pour quelques dollars.
La ville, qui a sa propre foire et biennale d’art, a l’ambition d’être une sorte de grand musée d’art contemporain à ciel ouvert, notamment du côté du pont Cavenagh sur la rive droite, où cinq gamins en bronze de Chong Fah Cheong s’amusent à sauter dans l’eau. Suit le monumental Bird de Fernando Botero, qui fait face à un drôle de bâtiment aux fenêtres multicolores : le Mica, ministère de l’Information, de la Communication et des Arts, qui abrite six galeries d’art contemporain. Parmi elles, une collection de sculptures, peintures et céramiques d’artistes du Sud-Est asiatique, tandis qu’Orchard gallery expose depuis vingt ans des peintres chinois et singapouriens. L’immeuble comprend également un vaste atrium accueillant des expositions et des performances. En centre-ville aussi, les galeries d’art sont légions. C’est là que se dresse l’incontournable Singapore Art Museum, le SAM. Fort d’une collection permanente de plus de sept mille oeuvres, il se targue d’être l’institution publique possédant le fonds d’art moderne et contemporain du Sud-Est asiatique le plus riche au monde. Enfin, impossible de faire l’impasse sur le tout nouveau ArtScience Museum qui, comme son nom l’indique, explore les liens entre l’art et la science. Installé au coeur du Marina Bay Sands, sa forme rappelle celle d’une fleur de lotus dont le plus haut des pétales culminerait à soixante mètres. Des projections vidéo et des écrans tactiles illustrent les avancées techniques en architecture et dans les transports. L’art est donc partout à Singapour, il suffit de se rendre à Art Plurial, une galerie qui expose des artistes contemporains d’une incroyable inventivité, comme Michel Platnic (voir encadré), juste en face du centre de la communauté de Peranakan sur Armenian Street ou à Gillman Barracks et ses multiples expositions pour s’en convaincre. Ou encore sur Dempsey Hill un ancien camp militaire transformé en centre de culture et de loisirs où les galeries d’art comme la « Red Sea Gallery » côtoient harmonieusement une myriade de restaurants tendances. Retour au centre. La mode étant au spectaculaire, les hôteliers et les restaurateurs ne pouvaient que suivre le mouvement. Le Marina Bay Sands est impressionnant par son gigantisme : deux mille cinq cent chambres, un centre commercial, six restaurants dirigés par de grands chefs internationaux, des bars et notamment Ku de Ta Bar avec sa vue décoiffante, un musée, deux théâtres et un immense casino. C’est sans doute l’un des plus spectaculaires hôtels au monde avec son immense terrasse sur le toit en forme de bateau suspendu à deux cents mètres d’altitude, recouvert d’un jardin et d’une piscine de cent soixante mètres de long, soit trois fois la taille d’une piscine olympique. Ce building est devenu le symbole de Singapour, et le soir sous les feux et les projecteurs il n’a rien à envier à notre vieille Tour Eiffel.
Face au vieil et majestueux Hôtel Raffles une tour gigantesque deviendra prochainement le nouveau South Beach, hôtel voulu et conçu par le designer Philippe Starck. En attendant c’est toujours au Raffles qu’il est de bon goût d’aller siroter, au soleil couchant, un délicieux Singapore Sling ou de rêver à l’époque où Rudyard Kipling et Somerset Maugham fréquentaient ses suites et ses salons, qui ont gardé leur authentique rusticité dans une Singapour qui, malgré son demi-siècle, ne cesse de rajeunir.
Un grand merci à Franklin Auber pour avoir rendu possible ce reportage et à la sémillante Cindy Tay qui fut une guide efficace et souriante.