Résurrections automobiles
Nous ne sommes pas à Poudlard mais à Veigné, dans la région de Tours. Mais ce sont bien des sorciers qui font renaître Bugatti, Talbot et autres Delage. Les photos parlent mieux que des mots pour décrire le travail effectué à Auto Classique Touraine. Elles révèlent qu’ici les automobiles sont toujours fabriquées comme dans les années 20 et 30 : autour d’un châssis et d’un moteur, sur lesquels une ossature de bois esquisse une silhouette qui sera réalisée en acier ou en alu, pièce par pièce et entièrement à la main.
Car c’est une spécialité où il n’existe pas de pièces de rechange. Non qu’elles aient disparu : elles n’ont jamais existé. Car je vous parle d’un temps que les moins de soixante ans ne peuvent pas connaître. Ici il n’existe pas de pièces : de l’aile la plus vertigineuse à la clinche de porte la plus insignifiante, chacune d’elles est tournée, fondue, façonnée à la main. Pour l’amateur, la vision de ces structures en bois de frêne qui dessinent les lignes d’une Delahaye 135 ou d’une Talbot T26, sont un choc émotionnel.
Plus loin dans l’atelier, les restaurations plus avancées, qui disposent déjà d’une carrosserie, permettent d’apprécier le travail : l’effort de projection nécessaire pour imaginer la voiture terminée s’en trouve facilité mais le bâti de bois et le métal à l’état brut, qui réclame encore d’être façonné au marteau, donnent une idée de l’importance de chaque chantier.
C’est face à ces sculptures que l’on prend la mesure du caractère exceptionnel de ces restaurations, que l’importance des métiers qu’elles requièrent s’impose spontanément. Ici les menuisiers sont à l’œuvre, des étaux maintiennent en place armatures de carrosserie ou de sièges ou éléments de tableaux de bord ; ici les mouvements du poignet précis d’un maître carrossier donnent le galbe d’une aile ; ici on ponce l’acajou d’une Hispano Suiza 1920 ; on effectue les piqûres sellier des contre-portes d’une Bugatti 58C ; on sculpte les futures pièces chromées d’une Talbot Figoni-Falaschi « Goutte d’eau »…
Pour l’amateur, le grand hangar tourangeau est plus qu’une caverne d’Ali Baba : c’est une usine à rêves, la démonstration par l’exemple – et quel exemple ! – de l’intemporalité de l’artisanat au terme d’un siècle qui a vu la planète s’industrialiser. Auto Classique Touraine, et les quelques autres ateliers du même niveau qui existent dans le monde, sont au bout du compte les derniers garants de la grande époque de l’automobile sur mesures, et trouvent leur récompense dans les prix que leur décernent les aréopages d’experts et de passionnés qui constituent les jurys des grands concours d’élégance internationaux.