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Rencontre avec Henri Zaks

Dandy : Y a-t-il un secret à vos peaux si souples et onctueuses ?
Henri Zaks« Bien sûr qu’il y a un secret ! Il tient en plusieurs points. Le premier est ce que j’appelle la « beauté naturelle », qui tient au toucher de la peau, qui doit être naturel. C’est le signe de sa beauté. La plupart des fabricants ont peur et couvrent leurs peaux, mais pour fixer les idées c’est comme si vous enduisiez une surface de plusieurs couches de peinture successives : à la fin, vous ne vendriez plus la matière au-dessous mais les couches de peinture. C’est la même chose dans mon métier : à la fin on ne vend plus du cuir mais de la teinture. Deuxième point : je ne travaille qu’avec des gens qui font leur métier avec amour, les tanneurs qui vendent de la peau comme ils vendraient un autre produit ne m’intéressent pas. De la même manière je ne travaille qu’avec ceux qui ne travaillent que de façon traditionnelle, chez qui les peaux ne sont pas stockées devant un aspirateur toute la nuit en sortant du tonneau : on les laisse sécher le temps qu’il faut, on laisse le temps au temps. Je demande de plus que toutes mes peaux soient naturelles, parce que je ne vends pas de la peinture mais du cuir : on n’est pas chez Ripolin ! Troisième point, le sourcing : je ne regarde jamais dans le jardin du voisin parce que l’herbe y est toujours plus verte. Je veux que mes pièces soient exclusives, différentes.

Comment sélectionnez-vous les tanneries avec lesquelles vous travaillez ?
Je n’ai pas de critère géographique : mon critère, ce sont les gens qui travaillent de façon traditionnelle, qu’ils soient en Nouvelle Zélande ou au Bhoutan. Je travaille avec des pays qui travaillent à l’ancienne, comme l’Erythrée qui est toujours très artisanale. Les animaux sont élevés en plein air, ne sont pas nourris avec des croquettes, ils suivent la transhumance et n’abiment pas leurs peaux sur des fils barbelés. Au bout du compte, comme les peaux ont été tannées dans les règles de l’art cela fait qu’elles sont bien imperméabilisées, bien teintes, et même si elles sont très fines  elles ne se déchirent pas. Ce qui n’est pas le cas des peaux provenant des pays industriels, où les animaux sont élevés avec des croquettes, et caetera… Pour faire une comparaison que tout le monde comprendra ; c’est comme de la cuisine au micro-ondes : tout est sec. Il faut laisser le temps au temps, c’est ça le secret.

Vous parlez souvent de « laisser le temps au temps », mais on ne se rend pas bien compte de ce que cela représente concrètement, notamment s’agissant du tannage ou du séchage d’une peau. De quel ordre est la différence, et de quel temps s’agit-il : temps de foulonnage, temps de séchage ?…
C’est le temps de tout ! Pour laisser une peau sécher de manière naturelle il faut entre deux mois et deux mois et demi, avec des ventilateurs une nuit : les peaux sont suspendues devant un mur de ventilateurs géants, on les y met à 18 heures, le lendemain elles passent en teinture et elles sont livrées 48 heures plus tard. Autre point : presque toutes mes peaux, à qui on laisse le temps au temps, sont très bien imperméabilisées – je dis « presque toutes » parce que certains cerfs le sont moins. Mais cela vient aussi d’une exigence de départ, une personnalité, le fait de dire « je ne veux pas » de ceci ou de cela. Je dois suivre mon truc, pouvoir faire une dégustation aveugle comme un sommelier : la dégustation du vin se fait par le palais, celle des peaux au toucher, on doit pouvoir identifier mes peaux avec la main, en fermant les yeux. Patrick Lavoix, qui était la star de Dior, est venu ici il y a quelques années et s’est exclamé en touchant nos peaux, à propos de leur toucher : « On dirait une cuisse de nymphe ! » C’est pour cela que j’ai appelé mes agneaux « agneaux nymphe ». Après, il y des gens qui achètent des étiquettes et d’autres qui s’éduquent, lisent les revues spécialisées comme Dandy, et ont un goût critique naturel plus prononcé. C’est comme pour le vin…

Il y a d’ailleurs un côté épicurien, dans le vin comme pour vos peaux…
Tout à fait ; il y a un côté épicurien dans le sens étymologique du terme, c’est-à-dire du connaisseur, et surtout pas du type qui se gave : l’épicurien est un homme qui s’y connaît. L’épicurisme, c’est aussi un certain ascétisme. Ce n’est surtout pas la quantité, c’est la qualité. Et le temps nécessaire à celle-ci ; c’est une véritable philosophie de vie.

Vos collections sont assez classiques…
Non : si vous allez chez Hartwood vous trouverez nos pièces classiques, mais si vous allez chez Colette vous trouverez des pièces qui ne le sont pas. Tous les rappeurs américains achètent nos collections, et ce ne sont pas des pièces classiques ! J’ai de moins en moins de clients classiques, et aujourd’hui j’impose mes collections alors qu’au début je répondais à la demande. Les clients Séraphin ont entre 18 et 65 ans, mais on a de plus en plus de jeunes.

Vos tarifs ne sont pourtant pas à la portée de tous les étudiants !
Oui, mais nous avons beaucoup d’héritiers de la jeunesse dorée, qui ont été élevés dans le beau et qui savent l’apprécier.

Autre point : la fourrure. Vous faites partie des quelques maisons qui osent la pratiquer pour l’homme, mais vous le faites discrètement, le plus souvent en doublure…
C’est un truc d’homme. Quand un homme a un vêtement de fourrure Séraphin ce n’est pas pour l’exposer mais pour avoir chaud. Je reviens du Tatarstan où il faisait -25° (il saisit le blouson de peau fourrée qui était sur le dossier de son fauteuil), j’étais en T-shirt en dessous ! Quand vous portez cela vous avez une allure sportive, fonctionnelle, épicurienne, et pas du tout caricaturale. Ce sont des trucs de mec ».

Un truc de mec. Une maison qui a consacré toute son activité et bâti sa réputation sur la fabrication de pièces à manches en peau parmi les plus qualitatives qui se puisse rêver. Une signature que les connaisseurs peuvent identifier d’un regard, et mieux : d’un toucher. Une consécration que d’aucuns pourraient croire l’apanage exclusif des très grands vins. 

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