Paul Newman: De la piste à la légende en passant par le cinéma
Que faire à Cleveland, Ohio, quand on a vingt ans ? Démobilisé, Paul Newman revient à la vie civile démotivé. Il aurait aimé être pilote de chasse, mais le plus beau regard d’azur du cinéma était daltonien, et il a du se contenter d’être radio dans la Marine. Il ne lui reste qu’à reprendre la petite boutique paternelle d’articles de sport de Cleveland où il est né le 26 janvier 1928. Il aurait aimé être un champion, un sportif professionnel. Mais il reconnait lui-même qu’il était un piètre footballeur. Le jeune homme a déjà un charme fou et prend conscience du regard des jeunes filles sur lui. Il se souvient qu’il a fait un peu de théâtre durant ses études. L’Actor’s Studio se présente comme un passeport pour l’évasion, un sauf conduit pour quitter les plaines de l’Ohio ; il sera acteur.
Hollywood ne l’accueille pourtant pas à bras ouverts. La belle gueule du moment, c’est James Dean. Et le débutant prometteur, Marlon Brando. Newman décroche un petit rôle dans péplum, Le calice d’argent. La critique le cueille en lui reprochant de jouer « comme un chauffeur de bus qui annonce les arrêts ». Il mettra sa réussite sur le compte de la volonté et du travail.
On lui propose de jouer un boxeur, il accepte, et son tournage du Rocky Graziano de Marqué par la haine fait soudain de lui une star. Vient tout de suite après La Chatte sur un toit brûlant, où il est le mari impuissant et ambigü de Liz Taylor dans l’adaptation édulcorée de la pièce de Tennessee Williams signée Elia Kazan. Son grand regard bleu mange l’écran. Puis les succès s’enchaînent : Le Gaucher d’Arthur Penn, Luke la main froide, Butch Kassidy et le Kid avant le duo mémorable avec Robert Redford dans L’Arnaque.
Homme affectueux, mari aimant, père protecteur, Paul Newman sera aussi un cinéaste touchant, n’hésitant pas à aborder avec pudeur les thèmes de l’intime et de la famille dans les cinq films qu’il réalise entre 1968 et 1987. En 1978, la mort par overdose de médicaments et d’alcool de son fils Scott, âgé de 28 ans, le brise et marque son œuvre. Mais il refuse d’en faire un film : « Le chagrin ne se met pas en fiction ». Par catharsis ou en écho à sa douleur, il tourne deux films poignants : l’Affrontement, et surtout, en 1984, Harry and son, l’histoire d’un père qui ne parvient pas à se réconcilier avec son fils.
Paul Newman aura endossé tous les costumes sans qu’aucun ne lui colle vraiment à la peau. Chapeau de cow-boy et éperons ou bretelles et borsalino ne sont que des accessoires. Paul Newman ne lance pas vraiment de mode, mais incarne parfaitement un certain mode de vie américain, une idée du style d’Outre-Atlantique, comme le montrent les photos connues ou privées, rassemblées en un merveilleux album publié par Yann-Brice Dherbier.
En 1986, dans La Couleur de l’argent, il reprend le complet croisé de Fast Eddie, le champion de billard de L’Arnaqueur. Le tout jeune Tom Cruise lui donne la réplique. Paul Newman remporte enfin l’Oscar, après six nominations. Mais il est dépité par le milieu du cinéma et n’assiste pas à la cérémonie : « C’est comme courir après une belle femme pendant quatre-vingts ans. Elle finit par céder et vous lui dites : Désolé, je suis fatigué ».
Le plaisir et les récompenses, il les a trouvées dans un autre art : la course automobile. Sur le circuit d’Indianapolis, durant le tournage de Virages, en 1969, il découvre cette fièvre étrange. Pour Paul Newman, qui masque son angoisse et sa profondeur derrière le masque souriant de l’Américain rayonnant, c’est une révélation. Il a 44 ans. Mario Andretti et Dan Gurney, deux des meilleurs pilotes du moment, sont les doublures pour les scènes de course. Mais Newman, à la manière de Steve McQueen, refuse d’être doublé et tout ce petit monde sympathise dans les stands.
En 1972, la star franchit le pas et participe à sa première compétition sur une Lotus Elan. Première victoire. Agé de 50 ans, il devient pilote professionnel et rejoint le Bob Sharp Racing team. Les victoires s’enchaînent. Désormais plein d’assurance, Newman décide de participer, en juin 1979, à la plus fabuleuse des courses : les 24 Heures du mans. C’est sous les couleurs d’Hawaiian Tropic, au sein de l’écurie Dick Barbour Racing qu’il s’élance sur le circuit de la Sarthe au volant d’une Porsche 935. Newman terminera deuxième au général, et premier en catégorie IMSA. A son poignet, témoin de l’exploit, un chrono Rolex qui portera désormais son nom. En 1983, associé à Carl Haas et Mario Andretti, il fonde son écurie. Aux 24 heures de Daytona 1995, Newman pilote encore, et devient le plus vieux vainqueur de sa classe. En 2004, il dispute l’éprouvante Baja 1000, avant de faire équipe l’année suivante avec Bourdais et Da Matta (champion Indycar 2002 avec Newman-Haas) aux 24 heures de Daytona et le 13 août dernier, il tourne une dernière fois, à 83 ans, sur le circuit de Lime Rock au volant de sa Corvette Grand AM.
A l’annonce de la disparition de Paul Newman, le 27 septembre, les hommages furent unanimes pour célébrer un acteur au charme fou, symbole d’une Amérique heureuse, mais aussi témoin de ses engagements et de ses doutes, et un philanthrope discret. Comme un dernier regard, les yeux dans les yeux.