Dans la lignée de Gatsby le Magnifique, Out of Africa et Sur la route de Nairobi, Mort sur le Nil fait partie des films cultes de tous les élégants cinéphiles. Difficile il est vrai de trouver matière à critiquer le travail du costumier Anthony Powell, qui reçut pour le film son deuxième Oscar des meilleurs costumes.

L’intrigue est un grand classique de l’oeuvre d’Agatha Christie. Un meurtre ayant été commis sur un luxueux bateau de croisière descendant le Nil, le passager Hercule Poirot prend l’enquête en mains et réalise rapidement que la plupart des passagers avait un motif valable pour tuer la victime. Ce scénario à suspense est l’occasion d’un tournage en décors naturels éminemment romanesques : c’est bien sûr la progression sur le Nil au milieu des felouques, mais aussi des escales à l’hôtel Old Cataract d’Assouan (dans lequel l’auteur a écrit le roman), sur les ruines du temple de Karnak et devant l’entrée du temple de Ramsès II sur le site archéologique d’Abou Simbel, où le pharaon se fit construire un temple. Autant de lieux de tournage et autant de scènes magnifiant les décors, la chaleur, l’indolence et le mystère. Il est aussi l’occasion de mettre en scène des tenues – masculines et féminines – au style années 30 irréprochable.

Née en 1890, Agatha Christie a toujours situé les intrigues de ses romans dans son époque, aussi nombre des multiples adaptations cinématographiques et télévisées de son oeuvre (pas moins de vingt films et une centaine de téléfilms !) se déroulent-elles entre les années 30 et 50, durant lesquelles l’auteur fut la plus prolifique. C’est le cas de Mort sur le Nil, écrit à Assouan en 1936 et publié en 1937, qu’elle considérait elle-même comme l’un des meilleurs de la série des Hercule Poirot. Pour créer l’atmosphère de ce 27ème roman, la romancière s’est nourrie des souvenirs d’un premier séjour en Egypte avec sa mère, d’un second effectué en 1930, au cours duquel elle rencontra son second mari l’archéologue Max Mallowan, d’une croisière avec ce dernier en 1933 et de deux autres voyages en Syrie et en Irak dans le cadre de campagnes de fouilles officielles.
Publié en 1937, le livre fut adapté au cinéma en 1978, puis une seconde fois pour la télévision britannique, en 2004.
Réalisé par John Guillermin (Le Crépuscule des aigles, La tour infernale) en 1978, le film bénéficie d’un casting de premier choix, avec les so british David Niven et Maggie Smith, mais aussi Peter Ustinov, Bette Davis, Lois Chiles, George Kennedy, Mia Farrow, Jane Birkin… du lourd. La responsabilité des costumes est confiée à Anthony Powell, qui s’est illustré en décrochant l’Oscar de la meilleure création de costumes 1973 pour Voyages avec ma tante et en signant les costumes de Papillon. Après Mort sur le Nil, Powell travaillera beaucoup avec Roman Polanski (Tess, Pirates, Frantic et La neuvième porte) et avec Stephen Spielberg (Indiana Jones, Hook). Pour Mort sur le Nil il reçoit le BAFTA des meilleurs costumes et son deuxième Oscar, récompense qu’il glanera encore en 1981 pour Tess et en 1987 pour Pirates. Depuis le milieu des années 60, l’Oscar du meilleur costume a souvent honoré des oeuvres mémorables : citons Cléopâtre en 1964, My fair lady en 1965, Dr. Jivago (1966), L’Arnaque (‘74), Gatsby le magnifique (‘75), Barry Lyndon (‘76), Mort sur le Nil (‘79), Amadeus (‘85), Le dernier Empereur (‘88), Les liaisons dangereuses (‘89), Le patient anglais (‘97), Titanic (‘98), Moulin Rouge (2002), Chicago (2003), Mémoires d’une geisha (2006), Marie Antoinette (2007), The Duchess (2009), The Artist (2012), Anna Karénine (2013), et de nouveau Gatsby, sujet inspirant s’il en est, cette année. Sans surprise, il récompense le plus souvent des films en costumes, le XIXème siècle et les années 20 et 30 se prêtant idéalement aux reconstitutions les plus élégantes. Une caractéristique qui explique que de nombreux films couronnés par ailleurs n’ont jamais été honorés – ni même nominés – pour le meilleur costume : Coco avant Chanel, La Môme, Le discours d’un roi, Le diable s’habille en Prada… avec une mention particulière pour le très romantique et très esthétique Chéri de Stephen Frears, Ours d’Or et quatre Ours d’Argent à la Berlinale 2009, Grand Prix du Festival de Cabourg, qui ne se verra même pas gratifié d’une nomination aux Oscars.

Proche de la direction artistique, la charge des costumes est un élément non négligeable de l’esthétique d’un film, au même titre que les décors et la lumière. Très professionnel, Anthony Powell tiendra à rencontrer tous les acteurs du film avant le début du tournage afin de procéder aux ultimes ajustements sur tous ses costumes.

Ses créations pour Mort sur le Nil sont l’occasion de quelques musts du genre, la palme du chic revenant sans surprise à David Niven, en toutes circonstances un parangon d’élégance, impeccable de la première à la dernière prise que ce soit en costume, en blazer ou en smoking. La ligne mince de sa silhouette est mise en valeur par des vestes croisées à six boutons et larges revers, aux épaules peu marquées. Pour accessoiriser ses tenues, Powell a prévu une variété de cravates regimental et de canotiers et quelques cannes. L’habillage de Peter Ustinov, nettement plus corpulent, nécessita d’autant plus de subtilité. Respectant les codes vestimentaires de l’époque, Powell choisit des pièces à petite ouverture : gilets six boutons assortis aux vestes deux boutons des costumes trois pièces, et sahariennes à poches plaquées et martingale flottante. Toutes pièces portées avec un noeud papillon accessoirisant une chemise à col droit ou cassé.
Gilets croisés en revanche pour l’Américain George Kennedy, dont la silhouette massive ne parvient pas à être rendue altière par cette élégante figure de style, et vestes six boutons croisées et très ajustées – à grands revers en pointe et padding marqué – portée avec des chemises pin collar raffinées pour le jeune Simon MacCorkindale, dont Mort sur le Nil fut le morceau de bravoure.

S’il est encore possible de préférer pour descendre le Nil un bateau de taille moyenne à l’un de ces monstres qu’affectionnent les croisiéristes de masse, nous restons toujours en attente d’une compagnie qui réclamera des tenues adaptées pour le cocktail et le dîner, comme l’Orient Express Royal Scotsman impose le smoking à ses passagers. Ne serait-il pas merveilleux de pouvoir se replonger le temps de quelques soirées dans l’atmosphère romanesque d’Agatha Christie ?…

Photos : AFP et DR.