Magie blanche
Niché dans un paysage en robe de mariée, dominé par le sommet de la Solire, Les Airelles darde le clocheton de sa tour entre les mélèzes immenses décorés de dentelle poudreuse. Accrochés à la façade décorée à la manière des anciennes auberges du Vorarlberg ou du Tyrol, des bois de cerfs semblent nostalgiques de leurs courses dans les alpages.
Dès le milieu de l’après-midi, la lumière s’estompe, les cimes semblent de céramique et offrent un spectacle de cuisson lente, d’abord bleutées puis roses. La notion de temps devient très relative. L’air est plus pur que froid. Des effluves de chocolat chaud et de café torréfié s’échappent par l’entrebâillement de la porte réservée aux skieurs. L’ouverture voisine a des parfums de fleurs : c’est celle de la piscine et d’un bouillonnant jacuzzi extérieur.
La nuit va pouvoir tomber. Les skis retrouvent leurs râteliers, dans un petit chalet de bois déjà grand comme une résidence secondaire. Il est temps de se délasser, avant l’heure des cocktails au bar, aux lueurs enflammées par la vaste cheminée de pierre blanche. Les enfants pourront se divertir : une vaste salle de jeux les y invite. Puis viendra le dîner, dans l’une des salles voûtées, décorée de fresques aux motifs champêtres rappelant les arts et traditions populaires de montagne. Peu à peu, le voyageur perd pied dans ce décor mêlant les influences décoratives montagnardes d’Europe centrale.
Un hôtel ce sont des visages, des sourires, un accueil, un prénom, des coutumes et parfois des habitudes, bien plus que des statistiques ou des chiffres. Aux Airelles, comme dans sa luxueuse annexe privatisable, le chalet Ormello, un climat s’installe, une atmosphère se développe.
Les sens doivent être en éveil car ils seront à la fête, en commençant par l’odorat puisque le parfumeur Blaise Mautin, un jeune nez au chic de dandy, a imaginé une fragrance dédiée au lieu, avec une subtile déclinaison dans quelques produits de beauté – notamment pour enfants qui vient astucieusement prendre place aux côtés des nombreuses aménités signées Hermès.
Séverine Pétilaire-Bellet a des allures de femme du monde, des manières impeccables et un sourire bienveillant. Pourtant, « mademoiselle » la directrice générale des Airelles est aussi un général en campagne. Elle est l’une des seules Françaises à exercer de telles responsabilités. Elle a été à bonne école. Dans l’hôtel qui vient de rouvrir et pour accueillir ses précieux pensionnaires elle donne chaque jour ordres de mission et plan de bataille à la charmante petite armée placée sous ses ordres. Fier de son bel uniforme, qui le fera ressembler à la gracieuse sœur de Heidi ou à un valeureux chasseur-alpin, chacun tient son rôle. En cuisine, la brigade est rompue aux exercices les plus périlleux, aux demandes les plus insolites, à toute heure du jour ou de la nuit. Mais c’est surtout autour de Pierre Gagnaire qu’elle révèle son talent.
Le chef étoilé à la barbe finement taillée, amateur de montagne où il pratique le ski et la randonnée en raquettes, loin d’hiberner se réfugie à Courchevel l’hiver venu pour créer une cuisine inspirée et sophistiquée, aux saveurs multiples, mariant les audaces du créateur et les produits de saison.
A sa table se murmurent des secrets, se partagent des rires, s’échangent des regards ou se racontent des histoires. Comme celle de la création du quart de champagne par Melchior Pommery désireux, au milieu des années vingt, de se désaltérer de son exquis breuvage, même à la chasse. Pour lui furent inventées ces bouteilles assez petites pour se glisser dans une gibecière.
Elles feront merveille plus tard dans les avions longs courriers et aujourd’hui sous l’étiquette « POP ». Une anecdote que Pierre Gagnaire, ami de la famille Vranken, également propriétaire de Pommery, goûte avec autant délectation que les précieuses cuvées Louise qui sont l’une des nombreuses fiertés de la cave richement garnie.
Les vins anciens y côtoient les spiritueux rares, cognacs, armagnacs ou whiskey de grands lignages, à déguster au coin du feu ou, un cigare en main, au fumoir. Hôtel de charme, Les Airelles répond bien désormais aux critères drastiques de la classification des palaces, après de longs mois de travaux, et a décroché une cinquième étoile pour offrir la Lune à ses résidents.
S’il est désormais possible de se dorer sur une plage au soleil presque toute l’année durant, la saison de la neige reste une parenthèse enchantée et brève. De décembre à mars, il est donc concevable d’oublier un peu l’attraction facile des îles pour renouer avec les délices plus rudes du froid et de la glisse. Avant les fêtes de Noël et jusqu’à la frontière du printemps, c’est la saison du blanc.
Comme à la chasse, l’amateur véritable pratique le ski dès l’ouverture. Celle des remontées mécaniques. D’une large pelle métallique Paul, l’un des deux « valets-patineurs » de l’hôtel, creuse un chemin dans la poudreuse. De petits confettis blancs scintillent sur son costume de skieur à la mode des années trente, réalisé sur mesure par le maître-tailleur Arpin. Blouson de drap serré rehaussé d’un écusson, pantalon de flanelle et impeccables souliers de cuir cousus norvégien complètent l’allure déjà annoncée par la « tarte », ce grand béret traditionnel incliné sur l’oreille. Ange gardien des sportifs, Paul veille sur eux, et pour leur confort prépare ou range les skis, affûte les patins à glace ; l’hôtel possédant sa propre patinoire.
Le domaine skiable de Courchevel, l’un des plus vaste et diversifié d’Europe, permet à cette station des Alpes de conserver son caractère familial, malgré les légendes modernes et l’image facile de paradis des neiges pour une turbulente clientèle internationale. Bien sûr, ce sont les Anglais qui firent la fortune des habitants du lieu en venant pratiquer les sports d’hiver. Bien sûr, une clientèle russe fidèle se presse à Courchevel avant décembre, pour disparaître, mi-janvier, quand la Russie bascule à son tour dans la nouvelle année. Bien sûr on se raconte encore, comme dans toute ville touristique d’exception, le souvenir et la légende de quelques fêtes extraordinaires.
Mais Courchevel reste avant tout une station familiale prisée par une clientèle essentiellement française, faite d’habitués sensibles à la qualité des pistes et à l’enseignement prodigué par les moniteurs de l’Ecole du Ski Français. Ces hommes en rouge, sélectionnés après une formation sévère, ont acquis une réputation mondiale. Ce sont eux qui ont été sollicités pour enseigner sur les pentes artificielles de Ski Dubaï, la première station en salle. Entraîné par un tel guide, le skieur, confirmé ou occasionnel, profitera pleinement des parcours offerts par la station.
Halte plaisante, Le Chalet de Pierre, face aux pistes des Verdons, s’impose pour une pause gourmande et réparatrice à l’heure du déjeuner. Une armée de jeunes serveurs, béret rouge ou noir et chemise à carreaux dans les mêmes tons, y fait valser les plats et défiler les mets. Comme à l’hôtel, on y savoure l’art de la mise en scène en espérant éviter l’indigestion.
Entre la large cheminée où l’on tient rôtisserie et l’impressionnant buffet des desserts se glisse, à nouveau, une cave d’exception. Sur la patinoire de plein air se disputent parfois des joutes endiablées de curling, l’un des plus gracieux sports de montagne avec le télémark. Lorsque le froid se fait plus vif, rosit les joues et pique les joues, il sera temps de retrouver Les Airelles, inlassablement veillé par Paul, immuable sentinelle.
Une fois les chaussures de ski dégoupillées et le pied libéré, le corps épluché des couches protectrices, si tant est que l’on puisse échapper aux pâtisseries du chef prévues pour le goûter, commencera une nouvelle aventure : s’en remettre aux mains soyeuses d’une masseuse du spa Valmont avant de descendre, après le sauna, dans la grotte de neige.
Puisque tout est prévu pour le plus grand confort et le délassement paisible, Les Airelles sont aussi une base arrière idéale pour rayonner vers les grands événements qui jalonnent la saison : coupes de polo sur neige, compétitions de ski ou La Grande Odyssée Savoie Mont Blanc (www.grandeodyssee.com). Crée par Henry Kam et le vétérinaire Dominique Grandjean, cette haletante course internationale de traineaux à chiens est unique en Europe.
Elle est l’une des plus disputée au monde car désormais la plus difficile. « LGO », comme la surnomment désormais les milliers de spectateurs, rayonne durant les deuxièmes et troisièmes semaines de janvier du Grand Massif, autour de Samoëns, jusqu’au Col du Mont Cenis, en Haute Maurienne Vannoise, en passant par Megève. Autant de réjouissances capables de teinter d’épopée tout séjour familial dans les Alpes, ou pour une escapade à deux hors du commun.
L’une des recettes de l’élégance et du chic n’est-elle pas de prendre ce qui est reconnu comme le meilleur, justement pour ne pas faire comme tout le monde ? Mais séjourner aux Airelles n’est pas sans danger. Tel Hans Castorp, le personnage de Thomas Mann, le visiteur, pris dans la douceur d’un environnement émollient et raffiné, sportif, élégant et gourmand, ne songe plus à redescendre de la montagne magique.