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Lincoln, l’héritage

*Il y a quatre-vingt-sept ans, nos pères ont donné naissance sur ce continent à une nouvelle nation, conçue dans la liberté et vouée à l’idée que tous les hommes sont créés égaux. (…) Cette nation verra renaître la liberté, et le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple

L’Adresse de Gettysburg, qui rend hommage aux soldats tombés sur le champ de la bataille la plus meurtrière de la Guerre de Sécession (50.000 morts), est considéré comme un texte fondamental de la nation américaine, et appris par coeur à l’école primaire. Son manuscrit, conservé sur la table de travail de la Lincoln Bedroom (elle-même scrupuleusement conservée dans l’état où elle était le 15 avril 1865), au premier étage de la Maison Blanche, a valeur de texte sacré. Tout comme la lettre compassionnelle qu’il adressa en novembre 1864 à Lydia Bixby, veuve de Boston dont les cinq fils étaient morts pendant la guerre civile, qui inspira 130 ans plus tard Il faut sauver le soldat Ryan à Steven Spielberg. Historique encore la phrase « Les deux camps lisent la même Bible et prient le même Dieu » tirée du discours inaugural de sa deuxième présidence, à quelques semaines de la fin du conflit, qui annonce le fameux « Nous habitons tous la même petite planète, nous respirons tous le même air (…) » de John Kennedy en 1963.

Le mémorial Lincoln

Le Lincoln Memorial, à Washington.

Historiques également, le Lincoln Memorial de Washington et le portrait sculpté sur le mont Rushmore, aux côtés de ceux des trois autres présidents les plus marquants de l’histoire des Etats-Unis : George Washington le père fondateur, Thomas Jefferson qui rédigea et signa la Déclaration d’Indépendance, et Theodore Roosevelt, Prix Nobel de la Paix, père de l’interventionnisme et créateur des parcs nationaux. Prémonitoire enfin, la réflexion du secrétaire à la Guerre Edwin Stanton devant la dépouille du président : « Désormais il appartient à l’éternité ». Premier président américain à mourir assassiné, Abraham Lincoln entrait dans la légende le 15 avril 1865. Si l’on retient généralement de lui l’image du président qui a aboli l’esclavage, les historiens le voient d’abord et avant tout comme le sauveteur de l’Union. Il y a quatre-vingt-sept ans, nos pères ont donné naissance sur ce continent à une nouvelle nation, conçue dans la liberté et vouée à l’idée que tous les hommes sont créés égaux. (…) Cette nation verra renaître la liberté, et le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple. Pendant la campagne présidentielle 2012 on a beaucoup écrit sur les similitudes rapprochant Obama et Lincoln (des pères peu présents, une même inclination pour les études, le même métier d’avocat, l’Illinois pour point de départ dans la vie politique), tandis que les Républicains se plaisaient à voir en Mitt Romney « le nouvel Abraham Lincoln » (sic). Pourtant, si le 16ème président américain reste pour la postérité l’un des plus importants de l’histoire du pays, jusqu’à son élection à la Maison Blanche sa vie ne fut pas un long fleuve tranquille. Orphelin de mère à l’âge de neuf ans, le futur président échoua une première fois à se faire élire au Parlement de l’Illinois avant d’y parvenir deux ans plus tard, échoua une première fois au Congrès avant de pouvoir y siéger, et échoua par deux fois à se faire élire sénateur. Choisi par le parti Républicain (qu’il avait créé en 1856) pour le représenter aux élections de 1860, il est élu grâce à ses remarquables talents d’orateur autant que pour ses positions sur l’abolition de l’esclavage. Cette élection du premier président républicain va précipiter l’Amérique dans la guerre civile.

Le président de la Guerre de Sécession
Abraham Lincoln entre le détective Allan, dit Nat, PINKERTON et le général McCleland lors d’une visite au camp de l’Union, à Antletam (Maryland), en octobre1862.Lincoln -président de guerre

Refusant l’abolitionnisme qu’il prône depuis 1855, sept états font sécession avant même qu’il soit investi, et la police déjoue un premier complot visant à l’assassiner. La guerre civile (appelée « Guerre de Sécession » en Europe seulement) éclate trois mois après son investiture, lorsque la sécessionniste Caroline du Nord demande au gouvernement fédéral la remise du fort Sumter, à l’entrée de la baie de Charleston. Leur requête refusée, les Etats Confédérés font le siège du fort et ouvrent le feu, agression qui permet à Lincoln de déclarer l’état d’insurrection et de lever une armée de 75.000 volontaires. Nous sommes le 12 avril 1861, la guerre civile américaine vient de commencer. A la suite de l’attaque du fort Sumter, quatre Etats du centre font également sécession, portant le nombre des Etats Confédérés à onze, face aux dix-sept Etats de l’Union. Lincoln attendra jusqu’au 27 janvier suivant pour déclencher les opérations militaires contre les Etats du Sud. Tout en menant personnellement les opérations militaires, il ne néglige pas son combat politique et commence la rédaction de la Proclamation d’émancipation, qui interviendra le 1er janvier 1963. Les historiens s’accordent à considérer que la priorité présidentielle fut toujours la restauration de l’Union, avant les droits civiques des esclaves. Lui-même ne s’en cacha d’ailleurs jamais.

En 1863 il crée l’impôt sur le revenu, le service militaire obligatoire et instaure Thanksgiving

Daniel Dya-Lewis - Lincoln BedroomDaniel Day-Lewis dans le rôle du président dans la Lincoln Bedroom, à la Maison Blanche. La pièce à été soigneusement conservée dans l’état où elle était le jour où il l’a quittée pour la dernière fois. (© 20th Century Fox).

La bataille de Gettysburg, le 1er juillet 1863, marque le tournant de la guerre, mettant un terme aux avancées sudistes. Politiquement cette défaite est fondamentale pour les Etats Confédérés car elle leur enlève tout espoir de reconnaissance par les pays européens. Durant cette même année 1863, Lincoln crée l’impôt sur le revenu pour financer la guerre et instaure la fête nationale de Thanksgiving. Ayant trouvé le général en chef dont il avait besoin en la personne d’Ulysses Grant, le président lui délègue le commandement des armées en mars 1864, ce qui lui permet de se consacrer à la politique et d’assurer sa réélection, au mois de novembre. Ne parvenant plus à trouver de volontaires pour les armées de l’Union, il crée le service militaire obligatoire et ordonne le recrutement de 500.000 hommes au mois de juillet. Lorsque la guerre civile prend fin le 9 avril 1865, un mois après son investiture pour un deuxième mandat, elle a fait 620.000 victimes sur les 30 millions d’habitants que compte le jeune pays. Délivré de cette terrible pression, Lincoln se concentre sur la reconstruction des Etats du sud. Il n’en aura pas le temps : il est assassiné d’une balle dans la nuque pendant une représentation au théâtre Ford le 14 avril, par un sympathisant sudiste. Il est enterré à Springfield, Illinois.

Guerre de Sécession. (© 20th Century Fox).

Daniel Day-Lewis dans le rôle du président dans la Lincoln Bedroom, pendant l’une des batailles de la Guerre de Sécession. (© 20th Century Fox).

 

Une vision pour les Etats-Unis d’Amérique

Cent cinquante ans après sa mort, Abraham Lincoln est aujourd’hui le président américain le plus admiré pour l’influence qu’il a laissée dans l’Histoire. Il a donné son nom à la capitale du Nebraska, à l’un des plus célèbres monuments américains, à un sous-marin et un porte-avions nucléaires, au second plus grand parc urbain du pays (à Chicago), et les historiens estiment que plus de 15.000 ouvrages lui ont été consacrés.
Alors que le cinéma s’est saisi du personnage dès 1908 (The Reprieve) et lui a consacré une quarantaine de films (citons Vers sa destinée, de John Ford, en 1939, Abraham Lincoln, de D.W Griffith, en 1941, The assassination of Abraham Lincoln, de Barak Goodman en 2009…), Hollywood lui consacre aujourd’hui trois films : l’indésirable Abraham Lincoln, chasseur de vampires, sorti cet été, le biopic de Steven Spielberg Lincoln, sur les écrans français début 2013, anglé sur les derniers mois de sa vie, et celui de A.J. Edwards The Green Blade Rises, actuellement en tournage, qui racontera au contraire les jeunes années du futur président, la mort de sa mère et sa jeunesse.

Fils de paysans pauvres et illettrés, Lincoln aura connu la douleur de perdre sa mère très jeune, puis sa fiancée, et trois de ses quatre enfants, tous emportés par la maladie avant l’âge de 18 ans. Né dans un milieu défavorisé, il s’est rapidement découvert une passion pour la lecture, qui l’a amené à souhaiter s’affranchir de la pauvreté, entamer des études et finalement devenir avocat. Entré en politique, il bénéficiera toujours des votes des classes populaires, qui reconnurent en lui leur défiance envers une élite possédante, dirigeante et souvent corrompue. Son inexpérience de l’exécutif et sa méconnaissance des milieux influents de Washington auraient du être un handicap, mais ses échecs passés l’ont armé contre l’adversité et préparé au combat.
Ses origines et son humanité renforcent au contraire sa détermination à oeuvrer pour le bien-être commun. La perte de son quatrième fils, emporté par le typhus en février 1862, renforce son empathie avec les parents des conscrits fauchés par la guerre, et son inflexible résolution à protéger l’Union, quel qu’en soit le prix. Ce même état d’esprit le porte à batailler âprement contre le Congrès pour faire voter le XIIIème amendement, qui abolit l’esclavage. Le XIVème, qui assure aux Noirs le droit de vote et l’égalité avec les Blancs devant la loi, le suivra de quelques mois. Et même si celui-ci sera à l’origine de la création d’organisations suprématistes comme le Ku Klux Klan, qui interdiront l’application des droits civiques jusque dans les années 60, son vote constitue une victoire posthume pour le président assassiné.
Plus pragmatiquement, Abraham Lincoln est le premier président américain dont on dispose de clichés photographiques. Ceux-ci nous montrent un homme de grande taille (1,93 mètre), maigre (on dit qu’il déjeunait d’une pomme et d’un verre de lait), aux traits anguleux et au regard perçant. Il ne porta la barbe qu’à partir de 1860, mais aucun cliché antérieur n’en perpétue le souvenir. Qu’importe : au-delà de sa silhouette longiligne et de son expression austère, Lincoln reste bel et bien, alors que les Etats-Unis traversent l’une de leurs principales crises existentielles, le président d’une Amérique unie capable de se relever de ses décombres et d’aller chercher, au prix du sang, de la sueur et des larmes promis cent ans plus tard par Winston Churchill, la force de se dessiner un avenir meilleur.