L’excellence Bourguignonne
Il est habituel en cette période de l’année de traiter dans cette rubrique de sujets concernant les vins de Champagne qui seront dégustés à l’occasion des fêtes. Ce thème paraissant désormais trop convenu, nous avons décidé cette année de nous intéresser à un domaine de Bourgogne dont les vins – qu’ils soient rouges ou blancs – pourront illuminer vos repas de fêtes de la plus extraordinaire manière.
Ceux qui lisent régulièrement ces colonnes savent à quel point nous sommes attachés au Domaine Dugat- Py, qui nous apparaît au fil des ans comme l’un des joyaux du vignoble français. C’est grâce à un savoir-faire familial qui date du début du 17ème siècle et à une expérience personnelle de près de 40 ans (le millésime 2014 sera sa quarantième vendange) que Bernard Dugat-Py, aujourd’hui très utilement secondé par son fils Loïc, produit des vins à propos desquels il est difficile de trouver les mots justes pour restituer ce que l’on éprouve lors de leur dégustation.
Pour donner naissance à des vins pareils, il faut une extraordinaire humilité à l’égard de la nature mais également à l’égard du vin, tant au moment de la vinification qu’à celui de l’élevage. Il y faut aussi du talent et surtout ne pas avoir peur de travailler encore et encore.
Le vignoble des Dugat-Py s’est agrandi petit à petit grâce à l’acquisition, année après année, de parcelles en Pommard et Meursault, puis à Chassagne-Montrachet et 1er cru Morgeot blanc, et enfin plus récemment en Corton Charlemagne et en Pernand-Vergelesses 1er cru. Il est conduit depuis 1999 en culture biologique. On imagine bien volontiers qu’avant cette conversion, les Dugat-Py ne « matraquaient » pas leurs vignes de produits chimiques de synthèse trop agressifs, et que ce virage marque une réelle volonté d’aller encore plus loin dans la qualité. Il s’agit d’une certaine manière de revenir aux sources qui ont fait le prestige des grands vins de la Côte d’Or. N’en déplaise à certains qui, en dépit des évidences, continuent à prôner les « bienfaits » des molécules de synthèse, Bernard Dugat-Py expose très clairement que les traitements bio rendent les raisins vraiment plus beaux et qu’ils ont contribué au façonnage du style Dugat-Py.
Dans ce domaine hors du commun, la conduite du vignoble va bien audelà de l’emploi de préparations biologiques. Plusieurs parcelles, parmi lesquelles celles situées en appellations Chambertin, Mazis-Chambertin, 1er cru Fonteny et même en Gevrey-Chambertin village (les Evocelles), sont labourées à cheval dans la plus parfaite tradition, les parcelles qui ne permettent pas le passage du cheval étant travaillées au motoculteur. Le traitement biologique se fait avec un appareil unique en son genre, sorte de quad rehaussé pour enjamber les vignes et propulser les produits qui, contrairement aux produits chimiques traditionnels, sont pulvérisés à sec. Une grosse partie du travail des sols se fait également à la main.
Une conduite aussi remarquable du vignoble permet d’envisager des vendanges dans les meilleures conditions. Les raisins sont ramassés à maturité, assez tôt comparés à certains autres domaines de l’appellation, évidemment sans qu’aucune sur-maturité, malheureusement aujourd’hui trop à la mode, ne soit recherchée.
Un tel savoir-faire dans les vignes mérite d’être sublimé par un savoir-faire au moins équivalent dans les chais. Là encore, aucun maquillage, aucun artifice : Bernard et Loïc expliquent qu’un de leurs secrets est de laisser faire les vins et respecter la particularité de chaque millésime. Il appartient au vinificateur de s’adapter au vin et non l’inverse.
Bien évidemment, le style inimitable des Dugat-Py ne sera pas révélé ici. Sachons simplement que leurs vins, vinifiés et élevés sous les magnifiques voutes d’une cave située au pied de la Combe de Lavaux (en plein coeur du vieux village de Gevrey-Chambertin) issue d’une aumônerie édifiée aux 11ème et 12ème siècles, bénéficient d’un environnement propice à leur parfait épanouissement.
La dégustation des vins, et notamment ceux de ce domaine, est toujours un grand moment. S’agissant des rouges, issus exclusivement du pinot noir, leur robe très colorée pour un vin issu de ce cépage annonce immédiatement quelque chose d’exceptionnel. Qu’il s’agisse du Bourgogne générique ou d’un grand cru, les vins ont tous une robe foncée et dense, assortie d’un éclat lumineux très net. Leur nez présente également une très grande homogénéité : il est complexe, profond, parfois minéral mais toujours d’une grande finesse. Evidemment, les premiers et surtout les grands crus se distinguent par leur extrême élégance, mais les appellations village sont exceptionnelles au regard de ce qui se pratique dans l’appellation. Les 2012 que nous avons eu la chance de déguster sur fût cette année sont d’une qualité exceptionnelle au regard d’un millésime considéré comme très difficile. Ce qui nous permet d’affirmer qu’il n’existe pas de mauvais millésime chez Dugat-Py, tant le travail dans le vignoble et dans les chais permet de s’adapter aux conditions les plus difficiles.
Une mention particulière pour les vins blancs, qui restent d’une diffusion très confidentielle mais mettent en évidence le talent de Loïc Dugat-Py qui en est le principal artisan. A l’instar des rouges, les blancs sont également hors du commun. Au même titre que le pinot pour les rouges, le chardonnay y est totalement sublimé, et les vins sont d’une texture, d’une minéralité et d’une profondeur inouïes.
Qu’ils soient rouges ou blancs, les vins Dugat-Py nous transportent par l’émotion qu’ils procurent au-delà de la simple dégustation, pour atteindre une dimension presque spirituelle. Montesquieu ne soutenait-il pas que le vin est l’esprit du repas ? La contrepartie de cette excellence est qu’il est difficile de se procurer ces précieuses bouteilles. Tous les bons, et même les meilleurs cavistes pour reprendre la formule consacrée, n’en proposent pas, mais il est tout de même possible de vous rendre au Vin En Bouche, dans le 6ème arrondissement parisien, pour trouver quelques bouteilles de rouge et même de blanc (rarissime), qu’il vous faudra savoir conserver au moins huit à dix ans pour en tirer le meilleur.