Les manteaux d’hiver
A la croisée des chemins
Manteau Dior déstructuré, 1555 euros
Contre toute attente, la pièce la plus atypique – et la plus inattendue – de notre sélection est signée Dior, habituellement enclin à plus de classicisme et de discrétion. Rien de tout cela ici avec ce manteau original, située à la croisée des chemins entre le manteau traditionnel et les créations les plus tendance, jouant la silhouette déstructurée et les matières très relâchées – pour ne pas dire molles.
Pas de main en tout cas, c’est clair, pour la maille jersey bouillie dont est faite notre pièce. Dans les grandes lignes, on la portera comme on porte une robe de chambre. L’absence de boutonnage rappelle d’ailleurs la parenté avec le vêtement d’intérieur.
Dans le détail on note encore une tête d’épaule extrêmement longue (à 30 cm du col sur notre modèle), tirant vers la manche chauve-souris, et les poches dans les coutures, à la manière des pantalons, plus discrètes que des poches plaquées et correspondant mieux à l’esprit très contemporain de la pièce.
Considérer que la silhouette floue et décontractée de ce manteau Dior tranche avec celles des autres pièces réunies ici, confine à l’euphémisme. La maison de l’avenue Montaigne a choisi une voie résolument tendance et propose une pièce qui a le mérite de l’originalité mais ne se destine qu’à ceux qui possèdent déjà par ailleurs dans leur vestiaire toutes les bases de la garde-robe de l’élégant. Son manteau est une pièce d’abord un peu compliqué qui présente l’avantage de s’inscrire dans une perspective en marge de celle du manteau traditionnel
Voyageur de grand luxe
Manteau voyageur Marc Guyot, 3700 euros
Ce manteau est intéressant à plus d’un titre. D’abord parce qu’il s’agit d’une interprétation du manteau voyageur traditionnel cher à tous les élégants, ensuite parce qu’il s’agit d’une fabrication à la carte signée Marc Guyot, connu pour son inclination pour les pièces historiques et une intransigeance qui ne lui vaut pas que des amis. Le garçon ne transige pas avec la qualité des vêtements et vend à une clientèle de connaisseurs des pièces fabriquées dans les règles de l’art.
Ce manteau voyageur, qui reprend à son compte une coupe née dans l’Amérique des années 40, se distingue surtout par la qualité de son étoffe, un cachemire double face de chez Agnona avouant 750 gr. au mètre. Inutile de dire que sa main est impressionnante, et donne d’entrée de jeu l’impression d’en avoir pour son argent. Il s’agit d’un cachemire peigné au chardon à la manière écossaise, reconnaissable à la texture en « écailles de poisson » que celle-ci génère. Un must pour les amateurs avertis. Bénéficiant du monopole du marché de la vigogne dans le monde entier, Agnona vend ses étoffes aux maisons les plus réputées et les plus prestigieuses de la planète. L’étoffe a ici d’autant plus de main que, nonobstant son grammage peu ordinaire, il s’agit d’un tissu double face, noir d’un côté et chocolat de l’autre. Pour fixer les idées, indiquons que si les deux matières n’ont rien à voir en termes de souplesse et de douceur, la main de ce drap de cachemire est équivalente à celle d’un bon gros caban de laine bien épaisse.
La coupe est celle classique d’un manteau voyageur : croisée à trois boutons fermants, poches plaquées à rabat avec cette découpe typique des années 40, particulière au genre (il ne s’agit pas d’une poche plaquée traditionnelle mais d’une poche surdimensionnée à l’intérieur de laquelle est implémentée une découpe passepoilée plus courte) et parmentures de poignets d’inspiration militaire, qui correspondent Voyageur de grand luxe Manteau voyageur Marc Guyot, 3700 euros parfaitement à l’esprit – et surtout à la main – de la pièce. N’oublions pas que de nombreux officiers britanniques (lire dans ce même numéro nos articles Savile Row et David Niven) n’hésitaient pas à faire refaire leurs uniformes, dans de belles matières, par leur propre tailleur ; nous nous inscrivons ici dans une perspective parallèle. Dans le dos, le pli creux est accompagné d’hirondelles de renfort, de points d’arrêt et d’une double martingale, celle-ci étant chocolat sur notre modèle de gros plan mais pouvant être positionnée en noir.
Les plus observateurs remarqueront encore sur les bords de col les doubles piqûres à 20 mm (alors que la norme est à 7) conformes à l’original, que l’on appelait polo coat dans les années 40, les boutons en corne de buffle, et admireront un intérieur non doublé de toute beauté, avec demi-dos de satin bimberg, parmentures et demi-doublures de côté (satin toujours), jouant du rappel noir/marron en donnant à l’ensemble un effet absolument superbe. Un montage emprunté aux authentiques vestes Ivy League décliné ici sur un manteau d’exception, les vrais connaisseurs apprécieront.
Au final une très belle pièce, très personnelle, dont le tissu, certes moins prestigieux que ceux de Kiton et Zilli, n’en est pas moins irrésistible, et permet à la maison de pratiquer un tarif nettement plus accessible qui, s’il reste élevé en valeur absolue, reste étonnamment placé pour une véritable pièce d’exception.
Un must dans le genre
Manteau de mouton Hartwood, 3700 euros
C’est une belle pièce d’hiver typiquement casual chic que nous détaillons ici. Il s’agit d’un trois quarts en peau lainée : une pièce classique, croisée régulièrement dans nos rues, dans des qualités très diverses. Or l’avantage de ce type de manteau est d’être douillet à porter et de protéger efficacement du froid et de l’humidité, qualités qui dépendent de celle de la peau. Cartonneuse, une peau moyenne n’a pas le gonflant nécessaire et assure une isolation thermique moindre, et surtout propose un confort nettement moindre que celui d’une peau de qualité supérieure. Hartwood utilise ici une très belle matière, pas trop lourde mais extrêmement souple, douce et presque spongieuse au toucher. Un bonheur.
La coupe, dans un genre qui ne laisse pas beaucoup de place à l’originalité, révèle un patronage qui est mieux que réussi : intelligent. D’une manière générale, à la préoccupation du maître patronnier de réduire au maximum les empiècements d’une grosse pièce (notamment pour le dos) s’oppose d’une part l’économie de fabrication (deux empiècements de taille moyenne coûtant nettement moins cher qu’un seul de grande taille) et d’autre part les dimensions des peaux elles-mêmes, qui interdisent souvent purement et simplement l’utilisation d’une pièce unique. C’est notamment le cas avec le mouton observé ici, qui ne peut être très souple et très doux que s’il provient d’animaux jeunes (agneaux), incapables de fournir de grands empiècements. Cette contrainte n’empêche pas Hartwood ne proposer une pièce séduisante car fort joliment patronnée, jusque dans les détails. A commencer par le montage de manches raglan montées, ou manches mixtes. Pour y parvenir, le patronnier (et plus tard la manufacture) monte la manche sur l’avant, et utilise une découpe raglan sur l’arrière. Un exercice de style qui permet d’utiliser des pièces de peau de la meilleure qualité (leur taille réduite multipliant le choix pour la levée) de façon élégante, c’est très bien vu. Le croisillon dans le dos souligne quatre empiècements, révélateurs ici (ce n’est hélas pas toujours le cas ! ) d’une peau de qualité supérieure.
On apprécie beaucoup le col châle, nettement plus élégant qu’un col cranté, et le mouton doré qu’il utilise, dont le toucher est d’une douceur et d’une souplesse remarquables, encore supérieures à celles de la peau lainée utilisée pour le corps du vêtement. Superbe. Pas de doublure à l’intérieur, ce type de pièce étant monté comme une canadienne. Parmi les détails, on remarque la présence d’une petite patte et son bouton de rappel sous le col, afin de pouvoir fermer le manteau en cache-col ; c’est très chic et cela fait de la pièce un manteau de grand froid qui a beaucoup d’allure. Détail encore : les manches très longues, destinées à voir leurs poignets rabattus, dans l’esprit des bombardiers. Et détail enfin : les boutons en corne de buffle, qui jouent le ton sur ton avec le manteau.
Au bout du compte une très belle pièce, nettement haut de gamme dans la catégorie, bien construite et riche d’une très belle peau, un investissement qui durera plusieurs décennies. Autrement dit un achat largement recommandable.
Pour la vigogne !
Manteau cachemire et vigogne Kiton, 6075 euros
Attention, matière extraordinaire ! Avec le Zilli, ce manteau Kiton est la seconde pièce de cette sélection à bénéficier d’un tissu complètement hors du commun. Nous avons affaire ici à un mélange 89% cachemire, 7% vigogne et 4% soie (excusez du peu ! ) tout simplement incroyable, et nous pesons nos mots. Il s’agit d’un tissu à chevrons gris-bleu chiné magnifique, présentant des chevrons très larges (ceux-ci sont plus petits sur les tissus de vestes et de costumes).
La coupe, classique est celle d’un manteau croisé Windsor à quatre boutonnières dont deux fonctionnelles : débarrassée des boutons de rappel inutiles : pas d’esbroufe, on fait dans le simple, l’épuré. Même austérité pour les poches, plaquées et dotées de rabats, et la pochette simple. On retrouve cette même discrétion dans le dessin du cran de col, qui n’est pas le cran tailleur que l’on aurait pu attendre mais tire plutôt sur celui du manteau voyageur. Une coupe intelligente pour un tel produit, excellent. On retrouve l’inspiration voyageur dans le double pli creux installé dans le dos, et la réputation de Kiton dans ses finitions – l’hirondelle de renfort en abeille est un bonheur – mais on regrette que la maison n’ait pas poussé le jeu jusqu’à monter une boutonnière dans le bas du pli, afin de pouvoir le fermer en cas de pluie. Empruntée elle aussi au manteau voyageur, la martingale volante est à deux boutonnières et deux boutons.
A l’intérieur, on découvre sans surprise une doublure de satin bimberg ton sur ton bleu marine, les habilleurs ne se risquant jamais à des doublures vives ou même contrastées sur les grosses pièces, destinées à un usage à long terme peu propice à des doublures moins sobres dont l’utilisateur risquerait de se lasser rapidement.
Une remarque enfin concernant le montage : les connaisseurs apprécieront la fabrication entièrement entoilée de ce très beau manteau, au bout du compte une pièce immuable, intemporelle, un véritable investissement destiné à accompagner son propriétaire pour vingt ans et plus.
Le manteau d’american gangster
Chesterfield cachemire Gérard Sené, 1600 euros.
C’est une interprétation continentale du Chesterfield anglais que Gérard Sené nous propose là. Loin des créations spectaculaires qui ont fait sa réputation, l’habilleur parisien présente ici l’une de ces pièces plus discrètes et consensuelles dont il puise l’inspiration dans le cinéma des années 40 à 80 et dans l’actualité. En l’occurrence ici l’un et l’autre, puisque ce manteau est inspiré de celui que porte Denzel Washington dans American Gangster, et de l’un des manteaux habituels de Barrack Obama. Il s’agit d’un « manteau cachemire » (ici le mélange est un 90% laine et 10% cachemire) couleur chamois très traditionnel, caractérisé par un empiècement de velours marron foncé relevant le col. A la différence du manteau porté par le Président américain, ledit empiècement ne couvre pas tout le col.
Côté coupe, si les Chesterfield sont généralement boutonnés sous patte, Gérard Sené a pris ici le parti des boutons apparents afin de moderniser sa pièce, c’est bien pensé. Le positionnement des boutonnières est respecté, aucune erreur de style, la tête d’épaule très longue, le cran joli, on note les poches droites, la poche ticket, la poche poitrine, l’unique fente dos… Reprenant à son compte une coupe typique des années 40, il s’agit d’un manteau long, descendant 10 cm sous le genou. Nous sommes face à un grand classique agrémenté d’une discrète touche de modernité, la définition d’une pièce sans risque et très consensuelle.
Fidèlement à ses habitudes, Sené a soigné l’intérieur : on découvre une doublure de satin bimberg chocolat jouant le ton sur ton avec le camel du cachemire, enrichie de passepoils de poches, d’une patte boutonnée et de surpiqûres rouge vermillon. Ces dernières sont exécutées dans les règles de l’art, en point gantier et à point perdu : rien à redire. Détaillant les finitions, on remarque les demi-lunes assortissant les poches (intérieures et extérieures), le bâti sur la boutonnière de col (que certains demanderont à faire enlever mais que d’autres, n’en doutons pas, souhaiteront conserver), et le fait que l’on ne retrouve pas dans le dos les piqûres à 7 mm présentes sur l’avant.
Les plus attentifs noteront également les boutons de manches montés kiss-kiss, les fausses boutonnières aux mêmes manches, que certains feront ouvrir, et les rabats de poche un rien timides, qui auraient supporté un centimètre supplémentaire.
Au final un manteau classique, moderne dans sa coupe comme dans ses finitions, utilisable en toutes circonstances avec un costume autant qu’un jean, et proposé à un tarif très placé, ce qui n’est pas la moindre de ses qualités.
une matière de folie
Manteau Zilli cachemire et chinchilla à col vison, 4900 euros.
Si l’on n’est jamais surpris d’observer une pièce très haut de gamme chez Zilli, avouons qu’avec ce manteau nous avons vraiment été bluffés. Objectivement, nous n’avons jamais eu à détailler une aussi belle matière en sept ans de gros plans ! Aussi disons-le clairement : la matière de ce manteau est carrément folle. Il s’agit d’un mélange 50% cachemire / 50% chinchilla exceptionnel, sergé, moiré et au toucher absolument incroyable.
Pour le reste, la coupe est très classique puisqu’il s’agit d’un manteau droit à boutonnage sous patte (une figure de style toujours élégante, empruntée au Chesterfield anglais), simples poches passepoilées à rabats et poche poitrine, manches montées et simple fente dos. S’il fallait un détail supplémentaire pour positionner le manteau, la doublure 100% soie y suffirait. Il s’agit d’une soie Duchesse (ou soie foulard) imprimée d’un motif exclusif, elle aussi d’une douceur rare au toucher – on est ici définitivement dans le domaine de l’exceptionnel. Les plus exigeants pourront trouver les têtes d’épaules un peu larges et les poches implantées un peu bas (la longueur de la pièce permettrait de les positionner 3 cm plus haut, et souligner ainsi la taille), mais on est ici face à un grand classique, destiné à une clientèle plus soucieuse de qualité ultime que d’esbroufe, et ces détails sont donc sans importance. Jusque-là, nous tutoyons carrément la perfection ; une situation rarissime pour notre aréopage technique. Un détail va hélas venir hypothéquer ce tableau idyllique, illustrant l’adage qui veut que le diable se cache dans les détails. Nous pensons pour notre part que le luxe se cache dans les détails, et avons toujours affirmé que c’est dans les parties cachées d’un vêtement (c’est aussi valable pour une voiture, un meuble, une maison…) que l’on décèle le vrai luxe. Quelle surprise aussi, que de découvrir sous le col de vison amovible un col et un revers non finis ! Aucune piqûre main sur toute la longueur, simplement un point main type AMF pour la découpe de la sous-patte. Un détail, c’est vrai (et il est vrai que peu d’utilisateurs enlèveront le col de vison – boutonné sur de petits passants élastiques, le tout très bien conçu et réalisé), qui constitue le seul et unique point prêtant flanc à la critique : à ce détail près, nous observions ici un manteau parfait, ce que nous n’aurions jamais pensé faire dans ces pages. Pour le reste, c’est le sans-faute absolu, jusqu’au prix, incroyablement placé pour une telle pièce.
Nous avons rendu (à regret !) ce manteau hors du commun en nous disant que Zilli peut aisément corriger ce petit détail de finition des cols et revers sur ses prochaines pièces (et nous espérons qu’elle le fera, car la maison est au-dessus de ce genre de réserve), mais surtout éblouis par la qualité de sa matière, le plaisir sensuel que procure son toucher, la silhouette impeccable qu’il apporte et l’impression de luxe ultime – et néanmoins discret – qu’il dégage. Magnifique !