Les Maharadjas : des fastes d’hier à la réalité d’aujourd’hui
Pays de contrastes, pays d’extrêmes. On aime ou on déteste, mais on ne peut être qu’interpellé par le voisinage de la plus grande richesse avec la plus grande misère. Si le sous-continent indien est attendu pour être le prochain grand bloc émergent, il est aujourd’hui encore, et depuis toujours, l’image d’une grande misère sociale. Son histoire se souvient aussi de personnages extravagants et richissimes, les maharadjas, de leur vie de faste et de magnificence. L’Inde c’est la misère dans la rue mais aussi les Mille et une nuits, dont les palais témoignent de la réalité, et pour certains défient l’imagination.
Dans l’inconscient collectif, le maharadja (1) c’est le potentat couvert d’or et de bijoux, les palais somptueux et la chasse au tigre à dos d’éléphant, c’est le cinéma, c’est Tintin (2). Mais qu’en fut-il exactement dans la réalité ?
Si les représentations – et a fortiori les photographies – et les récits qui sont parvenus jusqu’à nous concernent des maharadjas des XIXème et XXème siècles, l’Histoire de l’Inde situe l’existence des premiers d’entre eux au XVIIème siècle, sous l’Empire Marathe, lorsque le fondateur de la dynastie Shivaji Bhonsia veut imposer un royaume hindou pour mettre fin au joug musulman installé depuis 1526. Trente ans de guerre contre le pouvoir moghol vont s’ensuivre, qui verront mourir Shivaji et ses fils. Libéré par les Moghols en 1707, son petit-fils Shâhû installe l’homme qui lui a permis d’être reconnu comme chef de la dynastie marathe au poste de peshwa (premier ministre), un titre qui va devenir héréditaire et, étendu à la famille de son bénéficiaire à partir de 1748, donnera naissance aux premiers princes hindous.
Le temps des colonies
Pendant que la Vallée du Gange est dévastée par la guerre entre les Marathe et les héritiers de Genghis Khan (lire encadré), l’Angleterre met en place les éléments de ce que sera sa grande conquête coloniale : au premier comptoir de commerce permanent de Surate s’ajoutent bientôt ceux de Bombay, Calcutta et Madras, ouverts par la Compagnie des Indes, qui en confie la protection aux jeunes Etats princiers, participant de facto à l’importance et la légitimité de ces derniers. Il s’agit en effet de petits royaumes locaux, disposant de leurs propres gouvernements, lois, fêtes, et même langues. Les Britanniques appelèrent leurs dirigeants maharajas, terme hindou qui signifie « grand roi », et en firent ainsi leurs obligés. La période coloniale (ou Raj britannique) va durer près de deux siècles. Elle verra l’Angleterre étendre sa domination sur tout le sous-continent : Inde, Pakistan, Bangladesh et Sri Lanka, soit en administrant directement les territoires soit par l’intermédiaire de protectorats passés avec des Etats princiers. Restant maîtres en leur royaume, les maharadjas vivent une cohabitation harmonieuse avec les colons de la Compagnie anglaise des Indes orientales, les plus importants d’entre eux étant invités aux grands événements de la monarchie britannique, et notamment aux couronnements d’Edward VII et de George V. En 1858 éclate la première guerre d’indépendance indienne, également appelée Révolte de Cipayes parce qu’elle commença par la mutinerie des soldats indiens (cipayes) de l’Armée de la Compagnie des Indes, à laquelle Londres répond en créant l’Armée des Indes, qui réunit les troupes britanniques et indiennes, et en transférant le pouvoir politique – et donc le contrôle du pays – de la Compagnie à la Couronne. La reine Victoria déclare officiellement l’Empire britannique des Indes, que l’Histoire retiendra sous le nom de Raj britannique et qui durera jusqu’à l’Indépendance, le 15 août 1947. Durant toute cette période le sous-continent sera dirigé par un vice-roi britannique.
On dénombre alors officiellement 641 maharadjas, régnant sur des territoires de la taille du Vatican pour les plus petits et de la France pour les plus grands. Le Raj britannique correspond à la grande époque des maharadjas : rendus encore plus riches par l’Angleterre, ceux-ci se désintéressent progressivement de la gestion quotidienne de leurs principautés et consacrent leur existence à leur bon plaisir, entre fêtes fastueuses, chasses au tigre et parties de polo.
L’indépendance signe la fin de la grande époque des Maharadjas
Avec le recul du temps il peut paraître paradoxal de constater que la colonisation et l’Indépendance ont eu deux influences radicalement opposées sur le sort des maharadjas, puisque la première les a protégés alors que la seconde décidait de la fin de leur règne. Au gré d’accords d’alliance et de protection, pour le compte des comptoirs de la Compagnie des Indes d’abord et de l’Empire des Indes britanniques ensuite, l’Angleterre a toujours reconnu l’importance de ces souverains locaux et leur indépendance dans la direction de leurs Etats, jusqu’à la liberté de faire la guerre. En confirmant leur pouvoir – auprès de populations qu’elle leur savait très attachées – et en assurant l’intégrité de leurs territoires, elle s’assura la fidélité de ces princes, dont les seigneuries représentaient la moitié du pays. A la condition qu’ils reconnaissent la suzeraineté britannique en la personne du vice-roi, les maharadjas furent traités avec les égards dus à leur rang, reçurent des distinctions créées tout spécialement (Ordre de l’Empire des Indes, Ordre de la Couronne d’Inde…) distribuées par la reine, auxquelles ils se montrèrent très sensibles, et furent invités aux cérémonies officielles britanniques. Les impôts que leur payaient leurs sujets, qui les avaient rendus immensément riches, restaient en vigueur.
Certains faisaient bon usage de ce pactole, qu’ils utilisaient pour construire routes, hôpitaux et écoles, d’autres le réservaient à leur seule personne, multipliant les palais et les signes extérieurs de richesse les plus démesurés (bijoux et collections de voitures vertigineux, harems de plusieurs centaines d’épouses, voyages en Europe…).
L’âge d’or des maharadjas entame son déclin en 1947, lorsque le vice-roi Lord Mountbatten transmet le pouvoir au Congrès indien, représenté par le Pandit Nehru et Mohamed Ali Jinnah. Dans les semaines précédant la cérémonie de l’Indépendance, le leader nationaliste Sardar Patel visite tous les princes afin de négocier les conditions de l’intégration des Etats princiers à la toute jeune république. Il y parvient notamment en mettant en place le système des privy purses (littéralement : « bourses privées », en fait des listes civiles), qui assure aux maharadjas le respect de leurs titres, de leurs richesses personnelles et de leurs propriétés privées, et leur garantit une rente à vie proportionnelle à leur rang. Tous sauf le nizâm (nom donné au prince dans cette principauté du sud de l’Inde) d’Hyderabad acceptent de rattacher leur territoire à l’Union indienne. Devenu ministre de l’intérieur du premier gouvernement Nehru, Patel n’hésitera pas à faire la guerre à l’insoumis jusqu’à le faire capituler. Proche du mahatma Gandhi et homme à poigne, Patel avait renoncé à la fonction de Premier ministre indien à la demande de celui-ci, et permit au pays d’éviter la guerre civile après son assassinat, le 30 janvier 1948.
Le coup de grâce intervient vingt-cinq ans plus tard, en 1972, lorsque le gouvernement d’Indira Gandhi décide simultanément de la suppression des privy purses, de l’abandon de tous les titres et privilèges royaux et de la mise en place de droits de succession de 50% au décès de chaque maharadja. L’amendement, promulgué le 31 juillet 1971, explique que : « Le concept de dirigeants, associé aux listes civiles et privilèges spéciaux sans relation avec une quelconque fonction en cours, est incompatible avec un ordre social égalitaire ». Des mesures qui portent un coup fatal aux fortunes des maharadjas, déjà très diminuées dans le courant des deux décennies précédentes. Les années ‘70 marquent ainsi une étape fondamentale dans le destin des princes indiens, qui se retrouvent brutalement confrontés à la vraie vie. Certains transformeront leurs palais en hôtels (qui nous permettent de prendre aujourd’hui encore la mesure des lieux de vie des maharadjas) et d’autres investiront dans les affaires, mais la plupart enverront leurs enfants étudier en Angleterre et aux Etats-Unis, d’où ils reviendront pour occuper les postes de direction de l’administration et de l’industrie. Cinquante ans après l’Indépendance les palais d’hier sont devenus des hôtels, des écoles, des musées et même les sièges de gouvernements provinciaux, et si ceux qui continuent de pratiquer le mode de vie pharaonique de leurs ancêtres sont devenus rarissimes, la plupart des descendants de maharadjas sont toujours riches.
(1) L’orthographe de maharadja accepte diverses variantes : maharaja, maharadjah,…
(2) Les cigares du pharaon et Le lotus bleu.
La Maharadjas’ Express sur les traces du passé
Il n’existe aucun meilleur moyen pour découvrir l’Inde des maharadjas que le Maharajas’ Express, train de luxe calqué sur les déclinaisons écossaise (Royal Scotsman, lire Dandy n°37) et thaïlandaise (Eastern & Oriental Express, in Dandy n°40) du mythique Orient Express. Créé par les Chemins de fer indiens en 2010, le Maharaja’s Express reprend à son compte les fondamentaux de ceux-ci, en conviant ses passagers dans des wagons inspirés de ceux du Venise-Simplon-Orient Express des années 1900, en leur offrant deux wagons-restaurants et un wagon salon panoramique, et en leur proposant des programmes de visites hauts de gamme. Sans aucun doute la manière la plus romantique de découvrir un pays. Renouant avec bonheur avec l’art de vivre des voyages d’antan, ces trains de luxe n’ont aucun équivalent pour découvrir un paysage à travers les grandes baies vitrées d’un wagon confortable et à vitesse raisonnable. Rien à voir avec un voyage en avion ou en voiture : le Maharajas’ Express nous propose rien moins que de découvrir les splendeurs de l’Inde et la richesse de son histoire dans le cadre merveilleux d’une époque révolue de romantisme, d’opulence et d’élégance.
Royaume après royaume, le voyageur traverse les contrées d’anciens empires et de jungles exotiques, découvre des villes oubliées et des forts et palais historiques dans toute leur gloire, apprend les histoires et les mystères de leurs rois et reines, et s’extasie devant une succession de merveilles naturelles. Cinq itinéraires (lire encadré) lui permettent de découvrir les plus célèbres destinations touristiques du centre nord de l’Inde et des sites aussi riches que les palais de Jaipur, les villes chatoyantes du Rajasthan, les merveilles archéologiques du Maharashtra, les terres sauvages du parc national de Ranthambore, Agra (qui recèle le Taj Mahal mais aussi une demi-douzaine d’autres sites historiques) et les sites sacrés de Varanasi. Les circuits, qui ont été élaborés de façon à présenter au mieux l’histoire et l’héritage culturel du sous-continent, sont organisées à chaque arrêt du train, le voyage alternant ainsi traversée du pays dans des conditions idylliques et visites personnalisées organisées par des guides professionnels.
De retour au train on profite de son environnement tout droit sorti d’un roman de Kipling dans le wagon-salon (pourvu d’un bar) ou le wagon-bar, où un personnel en livrée traditionnelle sert boissons et en-cas.
La décoration des cabines respire fort l’héritage du centre-nord indien, et en particulier du Rajasthan : inspirée des voitures utilisées dans le passé par les maharadjas et les souverains coloniaux, dont l’Orient Express, qui assurait la liaison entre la France et l’Orient (Paris-Constantinople) et fit connaître le luxe dans toute l’Europe, elle fait la part belle aux boiseries raffinées et aux cuivres rutilants. Poussant plus avant le concept des cabines de différentes classes (celles du Royal Scotsman sont toutes identiques et l’Eastern & Oriental Express offre une suite), le Maharajas Express propose cabines et suites, et même une suite présidentielle, qui occupe une voiture entière, offrant à ses hôtes une expérience véritablement princière. Toutes proposent les facilités habituelles : télévision, lecteur DVD, internet, téléphone, climatisation, coffre… Si les cabines ne sont pas énormes (10 m2), elles sont cependant conformes aux usages de l’époque, les suites disposant d’un salon et affichant des volumes plus généreux (14 et 20 m2). Quant à la suite présidentielle, seule du genre dans tous les trains du monde, elle ne propose rien moins qu’un salon-salle à manger, une grande chambre avec salle de bains (douche et baignoire) et une seconde chambre avec salle de douche. Carrément royal.
Mais pas question bien entendu, malgré cette offre abondante, de contraindre les passagers à la promiscuité : les 14 voitures n’accueillent qu’un maximum de 88 personnes, qui prendront leurs repas dans l’un des deux wagons restaurants et se détendront dans les deux voitures salon et bar sans jamais se sentir à l’étroit ou en sur-nombre. Des points importants s’agissant de voyages durant entre quatre et huit jours.
Autant de détails qui, ajoutés aux suspensions pneumatiques qui optimisent le confort et aux services des majordomes, du Chef et de sa brigade, et d’un médecin de bord, ont permis au Maharajas Express de se voir inscrit sur la liste des 25 premiers trains du monde et de décrocher le prix de Plus luxueux train du monde par l’exigeant guide Condé Nast Travel Awards en 2012 et 2013.
(© Collection Maharajas’ Express)
Cartier et les Maharadjas : une longue histoire
L’histoire du joaillier parisien a très tôt été intimement mêlée à celle des maharadjas, dont il va devenir, dès le début du XXème siècle, le fournisseur privilégié. Dès la fin du XIXème siècle, la maison s’est imposée comme le plus prestigieux joaillier du monde. Il y a déjà une vingtaine d’années que son fondateur Louis-François Cartier, fournisseur attitré de la famille impériale, a appelé auprès de lui son fils Alfred, les fils de celui-ci rejoignant leur père à leur tour en 1899. Ces derniers se sont partagé les représentations de la maison : Louis à Paris, Pierre à Londres et Jacques à New-York. Pour son couronnement en 1902, Edward VII passe commande de 27 diadèmes et proclame Cartier « joaillier des rois et roi des joailliers ». En quelques années la maison devient fournisseur de toutes les cours royales du monde, Pierre et Jacques se mettant à parcourir la planète à la recherche des plus belles pierres et de nouvelles sources d’inspiration. C’est dans ces circonstances que les deux frères abordent l’Inde en 1910. Une découverte qui va profondément influer sur l’avenir de la maison.
Très rapidement, l’Inde trouve en Cartier un interlocuteur privilégié pour magnifier sa culture joaillière, et les maharadjas deviennent les principaux clients de la maison parisienne, se mettant à lui commander les bijoux les plus somptueux.
Ils sont immensément riches et ont le goût du luxe et de l’ostentatoire. Rien n’est jamais trop beau pour eux et Cartier réalise à cette époque de nombreuses pièces demeurées historiques, parmi lesquelles la plus célèbre est le collier du Maharadja de Patiala (1926), qui ne comporte pas moins de 2930 diamants pour un poids total de 962,25 carats et reste à ce jour le plus grand et le plus spectaculaire collier jamais créé par un joaillier. A la suite du plus puissant d’entre eux, de nombreux maharadjas honorent la maison française de leur confiance. Or si avec la Pax Britannica les maharadjas ont perdu beaucoup de leur pouvoir, ils se consacrent alors essentiellement à paraître, activité de laquelle participent les plus beaux palais et les bijoux les plus époustouflants. En quelques années Cartier est devenu leur fournisseur préféré – voire attitré. Ses créations vertigineuses font l’objet d’une exposition sans précédent dans la boutique de la rue de la Paix en 1928, et lancent en Europe la mode d’un style indien caractérisé par sa magnificence. Dans le même temps, les princes indiens se prennent dans les années 30 de passion pour les automobiles les plus prestigieuses et deviennent de grands collectionneurs de Rolls Royce et autres Delahaye. La Maharadja de Bharatpur se fera quant à lui fabriquer un cabriolet en argent massif, qui viendra rejoindre les vingt autres Rolls de sa collection, prodigalité à laquelle le Maharadja d’Alwar répliquera en passant commande d’une Lancaster entièrement plaquée or. Mais les maharadjas vivent leur âge d’or : avec l’Indépendance plus de cinq cents d’entre eux devront abandonner leurs titres et leurs privilèges en 1947, au nom d’une société garantissant l’égalité des chances – le Premier ministre Nehru y mettra un zèle particulier. Il faudra encore vingt ans pour que sa fille Indira Gandhi, devenue à son tour Premier ministre, leur retire leurs derniers privilèges (lire en page 46) et fasse en sorte que l’on parle désormais des anciens maîtres du royaume des Indes au passé.
Cartier restera fidèle à la grandeur passée de l’Inde, à ses légendes et à ses symboles, présentant notamment en 1991 la collection Sur la route des Indes, dont l’éléphant est roi, en reconstituant en 2000 le collier de du Maharadja de Patiala ou en donnant une nouvelle vie au fameux diamant Star of the South (128,48 carats) appartenant au Maharadja de Baroda. Au-delà du faste de ces pièces uniques, il convient de retenir de cette page de l’histoire de la joaillerie la dimension de création d’une oeuvre contenue dans la collaboration entre le joaillier et ses clients lors de l’élaboration et de la réalisation de ces pièces définitivement uniques au monde.
Les Maharadjas aujourd’hui
Que sont devenus les maharadjas et leurs descendants ? L’Indépendance les ayant privés de leur pouvoir en 1947, puis le gouvernement d’Indira Gandhi de leurs listes civiles en 1972, certains ont conservé des palais, parmi lesquels bien peu sont restés dévolus à l’usage de leurs descendants, la plupart étant transformés en lieux publics – représentations ou, pour les plus grands et les plus fastueux, hôtels de luxe. 554 Etats princiers ont rejoint l’Union indienne en 1947, soit autant de maharadjas et autant de familles princières. Si une quinzaine de ces 554 principautés étaient des territoires de plus de 25.000 km2 comptant plus d’un million d’habitants, 200 d’entre elles mesuraient moins de 25 km2, les trois plus petites comptant moins de cent habitants, et l’on ne peut dire aujourd’hui exactement ce qu’il est advenu de ces 554 maharadjas.
On sait en revanche qu’ils ont veillé à offrir à leurs enfants des études dans les meilleures universités du monde, et très naturellement en premier lieu dans les fleurons britanniques Eton, Oxford et Cambridge. De retour en Inde, cette solide formation ajoutée à une éducation traditionnelle et des réseaux influents, a permis à nombre d’entre eux d’épouser une carrière politique, portés en cela par une légitimité quasiment unanime auprès des populations. Dans l’Inde profonde en effet (or les Etats princes occupaient surtout le centre du sous-continent, la Grande Bretagne ayant conservé les côtes et les ports), le maharadja demeure un point d’ancrage culturel, dont les princes héritiers ne prennent eux-mêmes souvent conscience que tardivement, à l’instar du maharadja de Jodhpur, qui concède qu’il n’a pris la mesure du lien qui l’unit au royaume familial qu’à son retour d’Angleterre, tant la population était nombreuse à l’accueillir à la gare et à lui manifester affection et respect.
De fait, aujourd’hui encore le maharadja est à la fois le premier représentant de son Etat et un garant de l’Histoire, de la culture et des valeurs indiennes. Bien souvent ses parents ont été proches des grandes figures de l’Inde moderne, comme le père de l’actuel maharadja de Mahmudabad, intime de Jinnah. Désormais sans royaume, aux yeux d’un peuple encore largement analphabète (près de 40% de la population), les maharadjas sont restés des rois, et en tant que tels considérés comme d’ascendance divine. Le maharadja de Jammu-et-Cachemire ne s’y trompe d’ailleurs pas lorsqu’il indique que tant que les maharadjas possèderont les temples et participeront aux cérémonies religieuses, ils resteront des maharadjas. Car comme pour revendiquer une identité historique, le peuple se resserre autour des descendants de ces puissantes familles : si le droit de cuissage longtemps librement consenti par les jeunes filles indiennes est aujourd’hui révolu, le toucher des pieds reste d’actualité et les populations continuent de faire appel aux princes héritiers pour régler les litiges civils. Ces derniers ont d’ailleurs conscience de leur statut de gardiens d’une mémoire séculaire, et nombre d’entre eux se plient toujours à la cérémonie du durbar : l’audience publique du prince. Le maharadja de Jodhpur qui, éclairé par ses études à Eton et Oxford, convertit son palais en hôtel au début des années 70, s’y soumet régulièrement. Une existence, une légitimité et un rôle évidents à l’échelle régionale. Mais les familles princières ont également su rappeler leur longue histoire d’administration et de gestion au niveau national. Armés des meilleurs bagages universitaires, nombre d’héritiers sont aujourd’hui Chief ministers (chefs exécutifs de régions) ou en charge d’autres responsabilités politiques, ou installés à des postes clés des affaires.
De 24 en 1971, ils sont aujourd’hui une cinquantaine à siéger à la Chambre du Peuple. Un sens de la fonction publique qui succède à l’image de la vacuité et de la prodigalité et n’est pas sans rappeler la présence et le rôle de la noblesse française sous le Second Empire après les années sombres de la Révolution.
Les maharadjas modernes ont su utiliser leur histoire, leur culture et leurs réseaux pour étendre leurs activités en dehors des frontières indiennes. Délaissant madras, costumes de soie et de brocards et bijoux précieux pour des costumes sur mesures et une présentation moins ostentatoire (mais toujours élégante, à la différence de bien d’autres cultures), ils ont étendu leurs affaires à la planète entière.
Pays de contrastes réunissant les hommes les plus riches et les plus pauvres du monde, l’Inde nouvelle, qui a vu émerger ces dernières années une nouvelle génération de millionnaires, abrite toujours la famille la plus riche du monde, et deux des grands tycoons de notre époque : Ratan Tata, 67 ans, héritier d’un conglomérat familial (surnommé le Gianni Agnelli indien, son oncle fondit Air India et c’est le groupe familial qui imagina de s’associer aux maharadjas pour transformer leurs palais en hôtels, avec le Lake Taj Palace d’abord, en 1971, puis le palais d’Udaïpur et le Rambagh Palace de Jaipur – voir en page 45 – et bien d’autres), et Lakshmi Mittal, 55 ans, industriel autodidacte 41ème fortune mondiale avec 16 milliards de dollars. Célibataire, Tata ne boit pas, ne fume pas, conduit lui-même sa voiture et a l’austérité des banquiers protestants. A son exact inverse, Mittal, flamboyant descendant de marwaris (commerçants reconvertis dans l’industrie), évoque plutôt La vérité si je mens et a la fortune voyante, comme il le rappela en offrant à sa fille le mariage le plus cher jamais organisé (55 millions d’euros ! ), au château de Vaux-le- Vicomte, en France. Mais le n°1 mondial de l’acier et le propriétaire de Jaguar et Land Rover partagent un même sens aigu de la famille, comme les autres maharadjas modernes expatriés en Grande Bretagne et dans l’Océan indien.
Un quotidien de globe-trotter : durant la Fashion Week à Paris et, à la Polo Cup de Dubaï avec le sheik Al Nahyan, membre de la famille royale d’Abu Dhabi, et l’actrice Michelle Rodriguez.
Parmi les diverses destinations offertes par ce dernier, Kailash Ramdanee a choisi l’Ile Maurice. Il y fonde un commerce prospère de produits pharmaceutiques dans les années 50, puis un laboratoire qui sera vite considéré comme l’un des meilleurs de toute la zone géographique et collaborera avec les ténors de la spécialité : Sterling Winthrop et May and Baker aux USA, Rhobe Poulenc et Roussel Uclaf en Europe… Très actif dans son pays, il prend une dimension internationale dans les années 70, devenant membre du Conseil, puis du Comité exécutif CPA, pour lequel il représente l’Ile Maurice, l’Inde, le Bangladesh et le Sri Lanka avant d’être élu au Conseil de la Fédération Internationale Pharmaceutique. S’étant diversifié dans l’industrie hôtelière (hôtels et restaurants), il accepte des responsabilités nationales (président de Mauritius Télécommunication, de l’association des agences de voyage de Maurice et de la Chambre de Commerce et de l’Industrie) et internationales (président de la Fédération des chambres de commerce et d’industrie de 19 pays africains PTA) et étend ses activités à la finance, présidant bientôt une banque d’investissement. Il sera anobli par la reine Elisabeth II en 1990 pour services rendus à l’industrie et au commerce. Ses enfants Sanjiv et Kobita suivront son exemple en effectuant leurs études supérieures en Angleterre avant de reprendre à sa suite la direction du complexe hôtelier familial. A sa fille, dotée d’un diplôme de gestion obtenu à Exeter, l’administration de l’entreprise ; à son fils, titulaire d’un MBA, le développement de celle-ci. Un développement voulu worldwide, la clientèle des établissements hôteliers de luxe étant aujourd’hui internationale. Ainsi la vie de Sanjiv Ramdanee s’organise-t-elle autour de l’amélioration permanente de ses hôtels et de leur représentation aux quatre coins du monde à l’occasion de sponsorings ciblés, comme la Polo Cup de Dubaï ou le jumping de Cannes. Business, luxe et élégance : le fils de Sir Kailash sait mieux que personne l’importance de l’image et a une relation aussi intuitive à celle-ci qu’à ses affaires. En 2014 il y a toujours un maharadja à Maurice.