Avant-garde et tradition gourmandes
La cuisine improvisée du « 6 Paul Bert »
Concentré sur son plan de travail comme un deejay sur ses platines, Louis- Philippe Riel pense d’abord saveurs avant d’exécuter une recette, secondaire à ses yeux. Il improvise comme un musicien. Mais il maîtrise aussi bien le solfège que l’harmonie, – c’est à dire – les cuissons et assaisonnements. Venu de Montréal, le jeune Louis-Philippe Riel (28 ans), arrière-petit-fils d’un héros de l’indépendance du Manitoba, occupe une place à part dans la galaxie bistrotière de la rue Paul Bert, créée par Bertrand Auboyneau.
Il explore le Bistrot de demain, où l’on a gardé les codes traditionnels – tables, couverts, bar en étain, tabourets face au bar. L’effort culinaire porte sur l’expression singulière du goût des produits, chaque plat devenant une séquence. C’est le « Carpaccio de chinchard, huître, chou et raifort » ou bien le « Demi pigeonneau, artichaut, puntarelle et anchois.» Les plats changent à chaque service. Solène Jouan, jeune sommelière, fait partager son goût pour les vins nature, choisis avec discernement. Pas de menu imposé – « je déteste ça », dit Betrand Auboyneau – mais trois plats, trois entrées et trois desserts, et au déjeuner une formule à 19 €. Une aubaine.
Infos : 6, rue Paul Bert, 75011 – Paris
Tél. : 01 43 79 14 32 – Fermé dimanche, lundi et mardi midi. Menu : 19 € (déj .) – 44 €.
Restaurant A.T : esthétisme Franco-nippon
Atsushi Tanaka, jeune chef japonais installé rue du Cardinal Lemoine depuis quelques mois, n’entend pas rivaliser avec la recette historique de Frédéric Delair toujours en vigueur à la Tour d’Argent, son célèbre voisin. Ni presse à canard, ni liaison au sang mais une fumaison à chaud de la chair du palmipède avec un peu de poudre de genièvre tombant sur le charbon incandescent d’un barbecue japonais qui dégage une fumée odorante. Dès l’âge de 17 ans, à Tokyo, Atsushi avait découvert le livre de recettes de Pierre Gagnaire qui, par chance, devait ouvrir un restaurant dans l’Ana Intercontinental à Tokyo en 2005. Il intègre la brigade en 2006, à Tokyo puis à Paris, avant de faire un tour d’Europe des cuisiniers avant-gardistes, en Espagne, au Danemark et aux Pays-Bas. L’an passé, il s’installe dans une ancienne pâtisserie alsacienne qu’il transforme en espace intégré, dépouillé, dans un camaïeu de gris. L’intention est évidente : laisser à l’assiette le premier rôle dans un jeu d’ombre et de lumière. Esthétisme ? Oui, mais chaque assiette, conçue comme un tableau, met en relief un « aliment coeur » soumis à différents types de cuissons, dont la fumaison et l’association d’herbes ou de condiments divers. Le canard, l’omble chevalier, la betterave sont ainsi reprogrammés, sans que l’on puisse parler de fusion. Thibaut Simon, le sommelier, aime les vins naturels, qu’il conseille volontiers sur chacun des mets.
Infos : 4, rue du Cardinal Lemoine, 75005 – Paris
Tél. : 01 56 81 94 08 – Menus : 45 € (dej.) – 85 € (dîner)
Fermé dimanche et lundi.
Chez Benoît : la poule du bon Roi Henri
Jusqu’à fin mai, le restaurant Benoit met à l’honneur des plats auxquels sont associés des personnages historiques ou célèbres tels que Léopold de Rothschild, John D. Rockefeller ou encore le Duc de Wellington et Charlotte, épouse de Georges III d’Angleterre. Savoureux et gourmands, ces plats s’inscrivent dans la grande tradition culinaire française. On y trouvera aussi la poule au pot. Le voeu d’Henri IV est aussi connu que son panache blanc : « Si Dieu me donne encore la vie, je ferai qu’il n’y aura pas de laboureur en mon royaume qui n’ait moyen d’avoir une poule dans son pot. » Etrange prémonition car, avant d’être assassiné par Ravaillac, Henri IV avait échappé à une douzaine d’attentats commandités successivement par les jésuites, l’Espagne, les protestants ligueurs et les maris de ses innombrables maîtresses. Il dut reconnaître en effet une douzaine de bâtards. Epuisés par quarante années de guerres de religion – le roi n’ayant obtenu son trône qu’après avoir renoncé, par deux fois, au protestantisme – les paysans, rançonnés par les armées et les pillards qui sillonnaient le pays, n’avaient en leur basse-cour que le minimum vital, et certainement pas de poule à « mettre au pot » chaque dimanche ! Il s’agit du premier exemple de marketing politico – alimentaire.
C’est Louis XVIII, pour restaurer l’image de la monarchie, qui fit d’Henri IV l’inventeur de la poule au pot. Cette recette, qui n’est autre qu’un pot-au-feu préparé avec une poule – farcie ou non – et un morceau de boeuf pour corser le bouillon, devint alors un emblème national. Chez Benoit, la poule présentée entière en cocotte est ensuite détaillée – aile et cuisse – par le maître d’hôtel trancheur. Un régal.
Infos : 20, rue Saint Martin, 75004 – Paris
Tél. : 01 58 00 22 15 – Menu (déj.) : 39 € – Carte : 60 – 90 €.