Le dandysme du XIXème à nos jours
Observons autour de nous : lorsque nos contemporains parlent de dandys, ils pensent à des parangons d’élégance, soucieux de leur tenue jusqu’à l’extrême. Pourtant, lorsque le terme naît, au début du XIXème siècle, les hommes qu’il désigne cultivent certes l’élégance mais marquent la fin de phénomènes vestimentaires beaucoup plus excessifs.
Au début étaient les Macaronis
C’est pour se moquer des usages vestimentaires français en les poussant jusqu’au ridicule, que la jeunesse dorée de Grande Bretagne adopte le terme de macaronis. Tout le vestiaire des petits marquis de Louis XV y passe : culottes de soie blanche, bas rayés, escarpins à boucle sertis de diamants : nous sommes plus près des Précieuses Ridicules que des dandies à venir.
Les Parisiens reprennent la main après la Révolution avec le mouvement des Incroyables. Plus extrêmes, plus décadents encore que les Macaronis, ceux-ci ne reculent devant aucune extravagance.
Ils abandonnent les culottes et bas de soie et autres jabots désormais trop aristocratiques pour adopter des habits cintrés jusqu’à l’extrême, des revers immenses, des tailles étroites, des épaules exagérées et d’immenses cravates enroulées plusieurs fois autour de leur cou pour remonter jusque sur le menton. Dans cet environnement vestimentaire, l’avènement du dandysme est perçu comme un courant calme.
De Brummell à d’Annunzio : un siècle de grands dandys
La légende veut pourtant que George Bryan Brummell passait jusque quatre heures chaque jour pour s’habiller, et notamment pour nouer sa cravate, qui devait afficher un mouvement satisfaisant au premier mouvement. A défaut, Brummell jetait l’étoffe froissée à ses pieds pour en essayer une autre. Plusieurs biographies font état des monceaux de cravates que son valet de pied ramassait le matin et portait à la teinturerie, ce qui valait au premier dandy des notes astronomiques qui participèrent à sa ruine.
Dès son adolescence, l’homme s’est imposé comme le roi de la mode britannique, celui qui créait les modes et faisait école. Devenu favori du roi George IV, il fait bientôt la mode européenne, imposant de nouvelles normes d’élégance fondées sur le bon goût et la discrétion. On lui doit le raffinement du mariage des matières et des couleurs qui prévaut encore aujourd’hui.
Devenu célèbre dans la bonne société de l’Europe entière sous le nom de Beau Brummell, il accessoirise ses cols de chemise démesurés de cravates de batiste ou de mousseline blanche, qu’il voulait légèrement amidonnées afin qu’elles conservent toute la journée le mouvement qu’il leur donnait le matin.
Après Brummell (1778-1840), d’autres grands dandies imposèrent leur style, de Lord Byron (1788-1824) à Gabriele d’Annunzio (1863-1938) en passant par le comte d’Orsay (1801-1852) et Charles Baudelaire (1821-1867), internationalisant le mouvement. Et s’il naquit en Angleterre, c’est en France que le dandysme prendra toute sa dimension, esthétique et culturelle.
Car si d’aucuns se sont plu, notamment au XXème siècle, à ne retenir du dandysme que sa partie vestimentaire (le plus souvent pour s’en moquer), le mouvement ne se circonscrit pas à cette seule préoccupation.
Dès 1830, il devenait un véritable phénomène intellectuel, qui atteignit son apogée avec Baudelaire et surtout Barbey d’Aurevilly (1808-1889), qui l’érigea en lifestyle avant l’heure, s’attachant à magnifier l’élégance, tant en termes esthétique qu’intellectuel, tandis que l’auteur des Fleurs du Mal y trouvait le moyen d’une lutte contre le nivellement par le bas une tendance hélas institutionnalisée aujourd’hui de la toute jeune démocratie (« qui envahit tout et nivelle tout »).
Cette dernière sous-entendait il est vrai de disposer d’une fortune personnelle suffisante pour vivre sans travailler, qui explique le peu d’intérêt du dandy pour l’argent, lequel ne représente à ses yeux que le moyen de disposer du temps libre nécessaire pour enrichir son esprit.
Autant de caractéristiques qui amèneront les historiens à voir dans la naissance du dandysme, à une époque où l’émergence de la démocratie et de la société moderne font vaciller l’ordre ancien, une tentative de création d’une nouvelle forme d’aristocratie, basée non plus sur la naissance mais sur une élégance du corps et de l’esprit.
Le néo-dandysme
Dans le courant du XXème siècle, le terme dandy deviendra de plus en plus péjoratif, jusqu’à désigner après-guerre les hommes trop attentifs à leur tenue, voire précieux.
Une acception qui laisse de marbre ceux qui continuent d’y voir une dimension de recherche, d’élégance et de raffinement. Car si la tendance majeure de notre époque est à la décontraction, celle-ci n’est pas pour autant synonyme de relâchement et de laisser-aller. Si le costume, pièce maîtresse du vestiaire masculin, n’a plus la rigidité d’autrefois, ses coupes, ses matières et ses couleurs obéissent encore et toujours aux règles de base de l’équilibre et de l’harmonie.
Et si le néo-dandy ne passe plus quatre heures à s’habiller le matin, ce n’est pas tant parce qu’il n’en a plus le temps que parce qu’il sait instinctivement ce qui lui va et ne lui va pas, ce qui le met en valeur ou non. Car aujourd’hui comme hier, le dandy est le directeur artistique de sa propre existence.
Le néo-dandy ne perd plus son temps : ce n’est pas de l’époque. Mais il est toujours juste. C’est vers lui que convergeront les regards au cours de n’importe quelle soirée, ou dans n’importe quelle assemblée. Il n’est ni précieux ni maniéré, mais élégant et raffiné.
Dans sa tenue comme dans son existence. A la différence des grands dandys historiques, il cultive l’art de la tolérance, intelligence moderne née de la mondialisation, conscient que ce qui paraît aujourd’hui déplacé peut parfaitement devenir la norme demain, et cultive son esprit autant que sa mise. Démonstration brillante, s’il en fallait une, que l’allure est un tout, et que sans le contenu l’enveloppe est décidément légère.
Quel pluriel ?
Dandys ou dandies ? L’orthographe britannique voudrait qu’au pluriel, dandy devienne dandies, et non dandys. Mais l’évolution culturelle et celle des usages orthographiques étant ce qu’elles sont (en vingt ans, « faira » est devenu « fera », « satisfaira » de même, un crève cœur pour les linguistes mais une réalité pour la jeunesse, tout ceci validé par l’Education Nationale), et la langue française s’étant approprié le nom, nous retiendrons le pluriel dandys.