« Le Manifeste Chap, savoir-vivre révolutionnaire pour gentleman moderne » : faut-il en dire plus ? Autoproclamés anarchodandys, les deux co-auteurs de l’ouvrage (1) empruntent au dandysme originel sa dualité d’apparence et de contestation. Si par facilité on circonscrit souvent celui-ci à la première, ses exégètes préfèrent citer Baudelaire : « Le dandysme est le dernier éclat d’héroïsme dans les décadences ». Déterminés à s’affranchir de la vulgarité (du latin vulgus : commun) de leur temps, les dandys historiques partageaient la même volonté de considérer de haut un monde qui se gâchait et le même mépris de la médiocrité. Concentré d’un style suranné et de préceptes absurdes, leur Manifeste associe un traité de vie extravagant, qui amuse, et une apologie de l’élégance, qui séduit.

La Révolution par le tweed

« Il y a quelque chose qui ne va pas dans notre société. Elle vénère une trinité impie : l’ambition, la vulgarité et l’égoïsme tandis que, au nom du progrès, des qualités comme le savoir-vivre et la courtoisie sont rejetées. La jeunesse a laissé tomber le dandysme au profit de tenues de jogging criblées de logos et de gadgets mobiles ; les hommes d’affaires vendent leur âme à de grandes entreprises en échange d’une vie prétendument stylée. Il est temps que les gens respectables se fassent entendre. Naturellement inaptes à toute forme d’exercice physique, nous devons nous préparer, dans de jolies tenues, à mener une révolution fondée sur la langueur excessive. L’heure de la Révolution par le Tweed a sonné. Ce Manifeste Chap apprendra aux hommes et femmes les manières de renverser une société indifférente et inélégante. Apprenez à ajuster vos gants avec la bonne dose d’insouciance, à bien vous comporter lors d’un dîner révolutionnaire et à vous équiper de votre nécessaire d’anarcho-dandy. Étudiez dans l’Histoire les éminents prédécesseurs chaps tels Robert de Montesquiou et David Niven. Lorsque vous maîtriserez les règles vestimentaires et comportementales, vous pourrez passer à des tactiques plus avancées comme le sémaphore de pantalon ou les actions sporadiques de courtoisie ordinaire. Gentlemen de tous les pays, unissez-vous et préparez-vous au soulèvement par le charme ». L’éditeur Olivier Frébourg a totalement adhéré aux principes fondateurs de son ouvrage. Plus qu’une idéologie, le mouvement Chap se présente comme un art de vivre, et ses membres comme les héritiers spirituels d’Oscar Wilde, Robert de Montesquiou, George Orwell et, plus contemporain, David Niven. Plus près de nous on pense à Jean Rochefort, Edouard Baer, Bill Nighy… tout ce qu’on aime.

L’habit fait le chap

Le Chapisme est aussi une alternative légère à l’uniforme costume sombre–chemise blanche aujourd’hui croisé à tous les coins de rue, puisque le Chap s’affiche en couleurs. Car le Chap se doit d’être d’une élégance irréprochable. Dans le fond comme dans la forme – comprenez par l’exercice permanent d’une courtoisie extrême et par une mise que les dandys les plus excessifs ne renieront pas. Parce que la faute de goût est la seule erreur fatale – et impardonnable par ses pairs – qu’il puisse commettre, le Chap soigne sa mise, jusque dans les plus infimes détails, traque l’imperfection et tourne résolument le dos à la grisaille morose mise en avant par la mode marketée. Inutile de dire que le Chap a plus de facilités à s’habiller à Londres ou Paris qu’à Pétaouchnok ou St. Cucufié les Pralines. A Londres, il se régale des créations de Guy Hill Tweeds, à Paris, il préfère Marc Guyot aux grandes enseignes internationales. De la couleur, de l’extravagance. Osez ! proclament les convertis. Exprimez votre rejet d’une société si tristement habillée et affligée d’un laisser-aller verbal aussi déplorable. Car l’expression fait partie du code Chap, et ne se conçoit qu’irréprochable, usant avec légèreté d’une politesse exquise.

Les bonnes manières

Le Chap dénonce avec vigueur les accablants exemples du mauvais goût moderne : les fast-foods, les chaines de prêt-à-porter, le bling-bling… La politique n’échappe pas à ses foudres, et le « travailler plus pour gagner plus » est gentiment chahuté, un chapitre consacré à la pratique et l’amélioration du tirage au flanc constituant une allégorie de la fonction publique façon Absolument dé-bor-dée ! Ayant décrété la « révolution par le tweed » au regard de l’histoire de celle de velours de 1989, le mouvement consiste en la promulgation et la défense d’une société reposant sur la courtoisie, le savoir-vivre et le panache. Des valeurs de gentleman il est vrai aux antipodes des « Yo, man ! » et autres casquettes à l’envers entendus et croisées chaque jour dans nos rues. Tweed, moustaches à l’anglaise, chapeau melon, monocle, canne à pommeau, Martini-dry : le Chapisme exalte les valeurs qui ont fait l’identité du gentleman britannique, et étale de fait sans complexe son insularité, ce qui n’en fait néanmoins pas un modèle intransportable. Passéiste, le Chap ? Pas du tout :s’il semble sortir d’un film des années 50, il traîne derrière lui la délicieuse atmosphère des Agatha Christie et de la première série de Chapeau melon et bottes de cuir, convoque le souvenir de David Niven et s’offre à nous comme une bouffée d’air frais inespérée.

Le Chapisme est-il soluble dans l’esprit gaulois ?

Si l’on ne peut qu’apprécier son raffinement et son goût de l’élégance, on aimerait pousser le jeu plus loin, et y croire plus qu’y jouer. Malgré une approche décalée peu transposable de notre côté de la Manche, la démarche est intéressante. Faut-il pour autant la moderniser, la rendre plus réaliste, l’appliquer à plus de domaines : la franciser ? La faire évoluer ne reviendrait-il pas à la trahir ? En tout état de cause, les vingt mille ventes soulignent un intérêt pour son humour, mais aussi sans doute pour quelques uns de ses principes fondateurs.

Le Chapisme en 7 points

– Son principe fondateur : promulguer une société reposant sur la courtoisie, le savoir-vivre et le panache

– Sa bible : Le Manifeste Chap

– Son magazine : The Chap

– Sa devise : « Gentlemen de tous les pays, unissez-vous »

– Son mot de passe : « Bonjour, belle journée, n’est-ce pas ? »

– Ses maîtres à penser : O. Wilde, G. Orwell, W. Churchill, D. Niven

– Ses universités d’été : les Olympiades Chap, organisées en juillet à Londres. On y pratique le concours du meilleur Martini-dry (la boisson préférée des Chapistes, dont le meilleur usage est abondamment commenté dans le manifeste), le lancer de sandwiches au concombre, les duels de parapluie, etc…