La veste Norfolk
Très sport, cette sorte de saharienne en tweed se caractérise par ses poches plaquées, sa martingale et les plis creux qui marquent son dos et ses devants. Elle apparaît durant la seconde moitié du XIXème siècle dans le nord de l’Angleterre.
C’est au duc de Norfolk, quinzième du nom, Henry Fitzalan Howard pour les intimes, que nous la devons. Grand amateur de chasse, ce Pair du royaume passe commande à son tailleur, dans les années 1860, d’une veste conçue tout spécialement pour ses parties de chasse. A ce titre elle doit être capable d’affronter le froid et l’humidité (le comté de Norfolk se situe à l’Est de l’Angleterre et est ouvert sur la mer du Nord), c’est un minimum, mais le comte la souhaite aussi capable d’affronter sans dommage les traversées de bosquets de ronces.
La fonction crée le style
Troisième exigence de l’aristocratique client : sa veste de chasse devrait lui offrir une aisance de mouvement ne gênant pas la rotation du buste, afin de lui permettre de tirer le canard. Des contraintes qui amènent l’homme de l’art à retenir un tweed de garde-chasse titrant 800 grammes le mètre (un grammage presque incroyable aujourd’hui, courant à l’époque et jusqu’au milieu du XXème siècle) et à concevoir le patronage original qui fait aujourd’hui encore toute la personnalité du classique qu’est devenue la veste Norfolk.
Sa coupe se caractérise ainsi par la présence de poches plaquées à rabat, d’un boutonnage haut comme il était de coutume à l’époque, d’une martingale (volante ou cousue) et surtout de plis creux, dans le dos et sur les devants, destinés à assurer l’aisance de mouvement exigée, en particulier au niveau des épaules. Ces plis creux sont généralement au nombre de deux dans le dos, implémentés de chaque côté de celui-ci de la taille jusqu’à l’épaule (action pleats), quoi que la coupe à un pli creux central unique, imposant dans ce cas la mise en place d’un empiècement de haut de dos (yoke), soit également admise. La Norfolk originale compte également deux plis creux sur les devants, qui contribuent eux aussi à l’aisance de mouvement. Cette singularité du patronage crée des sortes de bretelles intégrées très caractéristiques.
Mais seuls les connaisseurs sauront identifier la caractéristique la plus significative du modèle, celle qui l’associe à sa fonction : son emmanchure particulière, dite « en goutte d’eau », qui en descendant le long du petit côté permet un plus grand développé, et par conséquent d’épauler plus aisément un fusil. Un patronage différent de celui d’une emmanchure de veste classique, et au bout du compte même s’il n’en a pas l’air un patronage très technique.
Conçue spécifiquement pour la chasse, la veste Norfolk restera longtemps exclusivement dévolue à cet usage, et utilisera tout aussi exclusivement des tweeds de 800 gr. thornproof (littéralement : étanche aux ronces, traduire insensible aux outrages de ces dernières) à chevrons, lesquels offrent une meilleure résistance que les gabardines (whipcord, cavalry twill…) du fait de leur tissage double chaîne et double trame 1+2+1+2, au lieu du 1+2+2+1 de celles-ci. Les vestes du duc de Norfolk et toutes celles qui furent réalisées durant les décennies suivantes utilisaient un Keeper’s tweed moss green : littéralement vert mousse, un verre tirant sur le vert de gris allemand (feldgrau). Vers la fin du XIXème siècle le Keeper’s tweed a été tissé dans différentes nuances de jaunes, quelquefois relevé de carreaux-fenêtres bordeaux. Le dernier producteur de Keeper’s tweed était une maison écossaise qui le fabriqua pour John G. Hardy jusque dans les années 1990, avant que le réchauffement climatique et la mode des tissus légers mettent à la retraite ce tissu lourd et chaud.
Portée au XIXème siècle avec des knickerbockers, elle se marie aujourd’hui sans façon avec quasiment tous les pantalons sport : velours, chinos et même jeans. Evidemment, le puriste peut toujours l’accessoiriser de knickers ou de plus four : allure garantie !
Jamais à la mode mais jamais démodée non plus, la veste Norfolk reste aujourd’hui comme hier un classique d’un vestiaire masculin casual bien pensé, et a fait l’objet ces dernières années d’interprétations modernes ayant toutes en commun un caractère marqué. C’est le cas des modèles présentés dans ces pages, réalisés par Marc Guyot.
A côté d’un modèle traditionnel en Keeper’s tweed, nous observons une version été et une pièce insolite en tweed façon patchwork.
Interprétation estivale du genre, la première utilise un lin chilien couleur miel et blanc, titrant 700 grammes ; cette dernière caractéristique, en restant fidèle à l’esprit de la Norfolk, rendant son utilisation improbable durant la saison chaude, à cause de sa main et de son poids.
Plus originale encore, la seconde utilise un tableau : pièce de tissu sur laquelle le tisseur effectue ses essais de couleurs. Il s’agit ici d’un tissu à chevrons en Saxony tweed 700 grammes, relevé d’énormes carreaux-fenêtres de 15 à 20 cm et déclinant les couleurs de l’automne : cognac, vert sapin, vert clair… Pour la petite histoire, il s’agit d’un tissu de test commandé par le tailleur parisien, qui a in fine décidé d’utiliser la laie pour fabriquer une Norfolk unique en son genre. Comme quoi pour traditionnelle qu’elle soit, la première veste sport de l’histoire du vestiaire masculin moderne se prête volontiers à des excentricités que ne renieraient pas nos amis d’outre-Manche, pour peu que celles-ci soient réalisées avec talent.