La seconde vie de Pierre Corthay
Il aura fallu une quinzaine d’années à Pierre Corthay pour amener la marque éponyme au niveau de reconnaissance qui est le sien : celui d’une petite maison artisanale fabriquant dans les règles de l’art et en quantités confidentielles des chaussures qui respirent fort le fait-main et la tradition bottière. Mais vient généralement un moment dans la croissance d’une TPE où son dirigeant doit faire le choix de l’indépendance solitaire ou de la croissance partagée.
Pierre Corthay a pensé qu’au niveau qu’il avait atteint, il avait devant lui une marche à franchir pour laquelle il avait besoin de capitaux et d’un dirigeant rompu aux différentes facettes du commerce mondial actuel ; et a eu la chance de rencontrer un homme qui avait les compétences et l’expérience nécessaires à emmener la maison one step beyond.
Cet homme s’appelle Xavier de Royère et est un pur produit de la filière LVMH, au sein de laquelle il a appris les arcanes des métiers du luxe. Il a amené avec lui un groupe d’investisseurs ambitieux et applique à la maison Pierre Corthay une stratégie aiguisée à la meilleure école.
En une année de fonctionnement, le binôme a démontré sa complémentarité, doublant quasiment la production dans le courant de l’année 2011 (et se préparant à la doubler une nouvelle fois en 2012) et s’implantant dans les endroits les plus emblématiques du monde, là où le centimètre carré est le plus difficile à obtenir parce qu’il s’agit des endroits fréquentés par les clients les
Pointure : Comment passe-t-on du plus grand groupe de luxe du monde à une petite maison de taille artisanale ?
Xavier de Royère : « J’avais jusque là travaillé pour de grandes maisons, par la taille comme par la qualité de leurs produits, or par la qualité du produit Pierre Corthay est une très grande maison, où j’ai retrouvé l’amour du beau produit. J’y ai trouvé aussi la passion, non seulement d’un homme mais de toute une équipe, un savoir-faire exceptionnel, et la possibilité d’apporter mes compétences à celles de Pierre et de son équipe, pour construire ensemble le prochain chapitre d’un très beau livre.
Rapidement, quel fut votre parcours avant de commencer l’écriture de ce nouveau chapitre ?
XdR : C’est un parcours chez LVMH, dont dix ans chez Louis Vuitton, en démarrant par des fonctions commerciales, à la vente en magasin, avec le fantastique apprentissage que l’on y fait : apprendre ce qu’est un beau produit, comment réagit le client et comment entraîner une équipe vers un objectif d’excellence ; c’est quelque chose qui m’a beaucoup marqué, j’ai doré cela. On m’a ensuite confié des responsabilités de direction générale de filiale, en Angleterre puis en Asie, pour Louis Vuitton, Loewe, et d’autres marques du groupe, et j’ai eu le plaisir d’ouvrir un monument du luxe dans tous les sens du terme avec le magasin Louis Vuitton des Champs Elysées : une expérience exceptionnelle et là encore quelque chose d’ardu, de difficile, mais source d’une satisfaction fantastique. J’ai fini par un poste de siège, à Madrid, où j’ai pu me confronter à d’autres disciplines, comme le merchandising, la distribution au niveau mondial et des fonctions marketing.
Vous travaillez avec Pierre depuis à présent un an, et le territoire de la maison a déjà bien évolué, je pense notamment au Corthay Excellence Run de l’été dernier, et à l’ouverture de Londres…
XdR : « On tourne ensemble les pages du livre, que ce soit dans la création des nouveaux produits ou l’élargissement très mesuré de la distribution. Nous n’avons pas envie d’une visibilité à outrance ni de grands magasins, la marque est très subliminale – d’ailleurs lorsque vous entrez dans le magasin de la rue Volney, le nom de Corthay n’est marqué nulle part. C’est un esprit, une façon de faire, que nous avons envie de conserver. En 2011 nous avons ouvert un magasin à Londres, et c’était un investissement important pour nous. L’autre investissement important était de reprendre notre distribution au Japon, ce que l’on a fait pour deux raisons : d’abord parce que nous estimons que le Japon est un marché historique de la maison, qui crédibilise notre succès dans ce pays mais aussi la qualité intrinsèque du produit, parce que l’homme japonais est tellement exigeant en termes de détails, de design et de qualité, que réussir au Japon est vraiment un benchmark. Au Japon si votre produit ne tient pas la route vous êtes dehors très vite, et parce que l’on a un prix élevé nous devons avoir une qualité irréprochable, et un service aussi. Nous voulions donc avoir la main là-dessus parce que c’est presque un laboratoire : l’homme japonais est d’une sophistication extrême, il a une connaissance et une expertise telles qu’on ne lui vend pas n’importe quoi, c’est pourquoi il était important pour nous d’être en direct sur ce marché.
Au-delà d’un événement automobile, l’Excellence Run est une célébration de l’excellence : on avait envie de mettre en valeur des gens qui ont des personnalités exceptionnelles, un savoir-faire unique, qui savent parler de ce qu’ils font ; et de les mettre en valeur. Ce que l’on a fait en faisant venir des journalistes du monde entier, en faisant avec Hugo Jacomet (éditeur de Parisian Gentleman.com, ndlr), qui célèbre lui aussi leur talent. Il y a un côté un peu subliminal parce qu’il ne s’agit pas d’un rallye qui commence ou finit chez Pierre Corthay ou un lancement de produit, ce n’était pas l’objet.
Il est vrai que, à l’image du rallye et des divers artisans qu’il a permis de mettre en avant, le geste en lui-même était élégant. Nous venons d’évoquer le Pierre Corthay d’hier et de parler de celui d’aujourd’hui. Comment voyez-vous celui de demain ?
XdR : Nous suivrons une évolution mesurée. Chaque étape doit être planifiée et organisée, il s’agit d’avancer progressivement, en maintenant la qualité pour laquelle nous sommes reconnus, en maintenant un point de vue, une façon de faire les choses : si on lance un nouveau produit il faut que l’on apporte quelque chose au marché, ce doit être nouveau, incisif, un peu impertinent ; si c’est pour faire quelque chose qui existe déjà ce n’est pas intéressant, c’est vraiment une démarche. Une fois que l’on a un produit intéressant et que les valeurs de la maison sont comprises on crée du désir, et c’est un peu notre dogme, parce que une fois que l’on a créé du désir, tout le reste vient : les ventes, le développement…
Une association est un peu comme un mariage, un couple, il y faut de la confiance, de la complémentarité, des concessions parfois. Comment fonctionne le binôme Corthay-Royère ?
XdR : Nous sommes Pierre et moi très complémentaires, j’ai énormément de respect pour son talent et ses compétences, notre relation est une relation empreinte de partage des objectifs, de complicité, de confiance et de respect au vrai sens du terme. Je pense que c’est l’un des secrets :
si vous avez du respect et de la confiance pour ce que fait l’autre, les choses avancent. Aujourd’hui la demande dépasse très largement l’offre, la pression est donc sur la production et cela se règle progressivement par des améliorations et non par une baisse de la qualité. On préfère que le tuyau soit très tendu et que malheureusement les délais s’allongent, plutôt que produire ailleurs ou baisser les standards. Il y a aujourd’hui quatorze personnes à la manufacture, il y en avait huit lorsque nous sommes arrivés, et douze rue Volney pour six au départ : on a créé de l’emploi, en France, pour des personnes qualifiées, et c’est quelque chose dont je suis assez fier ».