La demi-mesure Camps de Luca
La nouvelle référence du genre.
La terminologie a toujours été un élément important de l’art tailleur, et entre mesure et prêt-à-porter nombre de petits malins se sont approprié dans le courant des dix dernières l’appellation demi-mesure, galvaudant celle-ci jusqu’à hypothéquer sa crédibilité. Dans ce tableau, le lancement de la petite mesure Stark & Sons apparaît comme la demi-mesure Camps de Luca, et la véritable passerelle entre les deux univers. C’est plus qu’une bonne nouvelle : un véritable rayon de soleil.
Nous avons déjà eu l’occasion de présenter Stark & Sons dans nos pages, peu après qu’Alan Stark, petit-fils du fondateur de la maison, ait souhaité confier celle-ci aux bons soins de Marc de Luca et ses fils. Tailleur personnel du général De Gaulle et tailleur traditionnel de l’Académie Française, Stark s’est bâti une réputation enviable en réalisant 90% des uniformes du corps préfectoral. Disposant d’une surface importante rue de la Paix, Alan Stark avait accueilli Camps de Luca lorsque cette autre vénérable institution familiale avait dû quitter ses locaux historiques de la place de La Madeleine en 2014, parce que le propriétaire du bâtiment cédait celui-ci à un groupe financier. Désireux de perpétuer le nom de Stark après la disparition prématurée de celui-ci, Marc de Luca nous confiait alors avoir décidé d’élargir les activités de la maison à une véritable demi-mesure, laissant à Camps de Luca la grande mesure réalisée dans les 200 m2 d’ateliers installés à l’étage supérieur.
Avant même que de rejoindre Camps de Luca, Stark & Sons avait développé une offre de demi-mesure et Charles de Luca nous indiquait alors : « C’est intéressant pour Julien et moi parce que Papa nous laisse le champ libre, mais (…) il nous conseille et suit le travail à chaque étape. On fait attention aussi parce que nous revenons à des bases plus tailleur : on retravaille de façon à prendre plaisir à faire des essayages, voir comment tombe le costume et modifier celui-ci pour le rapprocher de la mesure. D’où le terme de « petite mesure », que nous préférons à celui de demi-mesure. »
La petite mesure Stark était donc dans l’air. Elle est aujourd’hui opérationnelle, et se caractérise par son entoilage très souple et son emmanchure très haute, tous deux empruntés à Camps, le premier pour la légèreté qu’il apporte et la sensation de ne pas sentir la veste que l’on porte, et la seconde pour la tenue dans le mouvement sans pareille qu’elle garantit. Si l’emmanchure Stark n’est cependant pas aussi haute que celle de Camps, c’est notamment parce que cette hauteur n’est techniquement pas réalisable avec les patronages des gabarits, et peut-être un peu aussi afin que cette signature incomparable reste l’exclusivité de Camps de Luca, qui l’a mise au point. Enfin, un cran typique souligne l’esprit parisien de la maison.
Dandy : Vous m’aviez parlé de cette petite mesure il y a deux ans déjà : vous avez finalement mis un certain temps à intégrer Stark…
Charles de Luca : « C’était un peu nouveau pour nous : il fallait que l’on s’approprie les lieux… Il y a eu un petit peu de temps d’adaptation, nous avons travaillé sur une production qui nous soit propre, qui nous a permis de sortir la petite mesure que nous proposons aujourd’hui.
Aïe… Tu sais ce que nous pensons des « petite mesure », « demi-mesure » et autres appellations incluant le suffixe « mesure ». Ceci étant dit, il est vrai que venant d’une maison comme la vôtre on redoute moins une fabrication industrielle retouchée ; alors de quoi s’agit-il exactement ?
L’idée était d’apporter vraiment la philosophie grande mesure que nous pratiquons chez Camps à une petite mesure, afin d’avoir un point d’entrée en terme de prix tout en gardant une vraie qualité de service, de tissus et d’essayage, parce que nous conservons le vrai essayage sur toile. Il y a moins de travail à la main que ce que l’on fait pour Camps, qui alors que le terme « mesure » est aujourd’hui utilisé à tort et à travers – ce qui lui enlève toute crédibilité – est devenu de la haute couture pour homme.
C’est pourquoi nous utilisons le terme de petite mesure, qui n’a rien de péjoratif et qu’il faut prendre comme le pendant de la grande mesure Camps au milieu de la surenchère que l’on sait.
« L’idée était d’apporter vraiment la philosophie grande mesure
que nous pratiquons chez Camps à une petite mesure,
afin d’avoir un point d’entrée en terme de prix
tout en gardant une vraie qualité de service », Charles de Luca
La grande différence entre la « vraie » mesure et les autres mesures, qu’elles soient petites, demi ou on ne sait quoi, a toujours résidé en l’utilisation de gabarits et la suppression de l’étape de la toile, caractéristique de l’art tailleur. En la conservant, vous restez dans celui-ci.
Le plus compliqué a été de mettre cela au point avec notre atelier italien – je veux dire avec un vrai essayage sur toile.
Tu parles d’un atelier italien. J’en déduis que la petite mesure Stark n’est pas faite dans les ateliers Camps de Luca…
Non, mais toutes les finitions sont faites ici. C’est une vraie expérience, et il faut la vivre pour la comprendre. Le travail a justement consisté à interpréter le process, et c’était un travail important, dont la mise au point a nécessité deux ans. On a essayé de créer quelque chose qui n’existait pas encore sur Paris, parce que nous pensons qu’il y a une niche pour cela.
Concrètement, quel est le parcours du client ?
D’abord, il est reçu soit par Julien soit par moi, Papa ne s’occupant que de Camps. Au cours du premier rendez-vous on prend les mesures, on passe par un gabarit qui nous permet de prendre le patronage déjà établi et de faire les modifications – il y a donc un patronage pour chaque client, comme en grande mesure – et ensuite a lieu le premier essayage avec la toile. Comme en expérience mesure la toile est à la taille du client, modifiée sur lui, puis le rabattement est fait à la machine – et le travail manuel est vraiment important pour faire en sorte que l’entoilage tienne aussi bien. Ensuite on fait les réglages et pour finir on voit les derniers points lorsque les costumes arrivent : positionnement du boutonnage, des boutonnières, et caetera. Il s’agit donc d’une véritable expérience mesure, c’était important pour nous, et pour vraiment la comprendre il faut la vivre.
Tu parles de tissus en stocks et de tissus sur liasses ; peux-tu préciser un peu ?
On a conservé quelques liasses des drapiers les plus connus : Holland & Sherry, Scabal, Calciopoli et Dormeuil, nos best-sellers. Et puis on a lancé une grande recherche de drapiers, qui nous a pris des mois. Ce sont des drapiers qui fabriquent leurs propres tissus et sont pour certains nouveaux sur le marché, comme la maison Drago, qui vend peu sur liasses ; Fratelli Italia di Delfino, qui fait des tissus superbes avec des mains sublimes ; Gorina, un drapier espagnol… Ce ne sont pas les plus connus mais on achète le produit pur, qui sort directement de l’usine au lieu de passer par tout un circuit extérieur, ce qui nous permet un coût de tissu moindre, et donc de réduire nos prix.
Concrètement, lorsque tu parles de tissus en stock et de liasses, on parle de quelles quantités, donc de quel choix pour le client ?
Pour notre premier prix nous avons 150 tissus en stock, notamment un Super 130 de chez Drago dans lequel on a pris tous les bleus et tous les gris, en fil-à-fil, en serge ou à chevrons ; idéal pour les business suits les plus traditionnels. En en liasses nous avons plus de 300 références.
Délais et tarifs ?
Il faut six semaines pour le premier costume, puis quatre semaines pour les suivants, avec des tarifs commençant à 2500 euros avec les tissus en stock, et entre 2800 et 3000 sur liasses.
C’est moins cher que le prêt-à-porter haut de gamme !
C’est moins cher que bien des prêt-à-porter ! On a un peu de mal à faire venir les clients parce que nous sommes en étage et que Stark and Sons communique peu pour le moment, mais le client qui vient découvre l’expérience tailleur et ne trouve nulle part ailleurs à Paris un tel costume vendu 2500 euros. A ce prix-là il découvre l’expérience Stark, après si il veut mettre le double on passe chez Camps de Luca…
Quelles sont les spécificités de l’offre Stark ? On sait que vous avez repris l’entoilage très souple et l’emmanchure haute de Camps, mais pour ce qui est de la coupe, des signes particuliers ?
Il est clair qu’il y a une forte influence de Camps, et que l’esprit de Luca est derrière : on est nés dedans. On conserve effectivement l’entoilage très souple et l’emmanchure très haute.
Pour la coupe on garde l’esprit tailleur parisien : surtout des deux boutons et deux fentes un peu hautes, ce qui nous permet de rester dans l’esprit de patronage que l’on a appris avec Papy et Papa: une épaule marquée, droite sur la ligne d’épaule, pour avoir un mouvement d’épaule naturelle, et non à couture en arrière comme les Italiens, une petite cigarette, et des détails amusants, comme des revers de cols en cuir si le client le souhaite…
Pas d’épaule napolitaine ? Excellent ! (rires)
On ne fait pas l’épaule napolitaine parce qu’il y en a qui font cela mieux que nous. Et de toute façon, elle n’évoque pas la mesure : j’avoue que le sketch client/vendeur « Il y a un défaut ! »/« Nooon : c’est la coupe ! », je ne le comprends pas ! (rires)
Des remarques particulières sur les pantalons ?
Nous les faisons avec ou sans pince, avec ou sans revers, on s’est juste amusés à décaler la poche gousset qui a été un peu descendue, qui apporte un look différent, mais que l’on ne fait que proposer : si le client préfère une poche classique on lui fait une poche classique.
On note aussi les tirettes côté, et surtout que les poches ne sont pas dans la couture, mais décalées…
Parce que cela fait plus finition tailleur. Et elles sont passepoilées, aussi… Grace à notre savoir-faire Camps et à l’atelier, on arrive aussi à proposer des produits comme cela…
(Charles me montre une veste sans aucune doublure, même pas dans les manches, et devant ma surprise s’explique 🙂 Parce qu’on sait le faire techniquement en grande mesure, on l’a reproduit sur des mécanismes de travail plus rapides. »
« Le client a toute liberté, mais on lui montre nos partis-pris tailleur.
Et quand il sort, généralement il se dit :
« Waow, c’est quand même très différent ! », Julien de Luca
J’observe une veste entièrement non doublée, montée dans un tissu très léger et surtout très aéré, et pourtant riche d’une belle main : une création étonnante, relevant habituellement des seuls maîtres tailleurs – et encore : on n’en croise pas à chaque visite dans les ateliers ! Il s’agit d’un mélange coton et polyamide signé Drapers. J’en entends déjà s’étrangler – tout faux, les gars : ici la petite quantité de polyamide ne vulgarise pas l’étoffe mais lui donne une tenue impossible à obtenir autrement, et permet au bout du compte à l’utilisateur final de disposer d’une veste d’été légère et surtout : respirante.
Et c’est Julien, qui nous a rejoints, qui aura le mot de la fin : « Le client a toute liberté, mais on lui montre nos partis-pris tailleur. Et quand il sort, généralement il se dit : « Waow, c’est quand même très différent ! »