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L’ouvrage de référence

Préfet et Conseiller de Paris, Thierry Coudert est spécialisé dans la culture et siège à divers conseils d’administration, parmi lesquels ceux du Châtelet et de la Maison de la Photo. Il est aussi président du Musée Henner.

Pourquoi ce livre, et de quelle manière avez-vous vous-même connu cette Café Society que vous y présentez ? 
« Je l’ai assez peu côtoyée puisque la plupart des personnes dont je parle étaient mortes depuis quinze ou vingt ans lorsque j’ai commencé à écrire le livre. J’avais croisé Alexis de René dans des vernissages et des cocktails, et nous sommes devenus des relations proches dans les dernières années de sa vie. J’ai fait ce livre parce que j’en cherchais un et ne le trouvais pas : j’avais toujours été fasciné par un certain nombre d’artistes qui en avaient été des membres, comme Cecil Beaton par exemple, qui est connu comme le grand photographe que l’on sait mais qui a aussi écrit un livre, jamais traduit, qui retrace toute l’histoire de la Café Society. J’ai également toujours été passionné par l’oeuvre de Christian Bérard, qui a été l’un des grands peintres et illustrateurs de la Café Society, et par le personnage de Philippe Julian, qui a écrit un certain nombre de livres, dont le fameux roman Café Society qui a consacré ce nom – dont on ne connait d’ailleurs pas très bien l’origine : Elsa Maxwell avait lancé l’expression dans les années 30, et Julian l’a reprise en publiant un roman à clés au début des années 60 qui trace un portrait de cette société extraordinairement composite et dans laquelle on rencontre des gens extraordinairement riches et tout ce qui va avec : artistes, parasites, gigolos… Et je cherchais un livre qui fasse la synthèse sur tous ces personnages assez extravagants, qui avaient une relation particulière avec l’art, la mode et la haute joaillerie. Mais en dehors de quelques mémoires et quelques biographies, il n’y avait pas de livre qui s’intéresse au phénomène. 
J’ai voulu le traiter sous un angle qui ne soit pas simplement « Points de vue Images du monde », mais l’analyser comme un phénomène de transition en terme d’histoire du goût, puisque ce sont les derniers sursauts d’un goût aristocratique et l’apparition d’un goût bourgeois, qui se mélange de manière très curieuse avec ce paradoxe que les représentants de la haute aristocratie sont souvent des passionnés d’art contemporain et d’innovations extravagantes, comme les Noailles ou les Faucigny- Lucinges, alors que les nouveaux riches (qui sont déjà riches depuis un certain temps mais n’auraient jamais été reçus dans la société proustienne) comme les Beisteguy ou Arturo Lopez, vont être épris d’un retour au grand siècle et aménager des demeures et palais en essayant de revisiter le style Louis XIV. Voilà ce paradoxe de gens qui sont très amis et se fréquentent, mais ont des goûts très avant-gardistes pour les uns qui sont issus de la vieille aristocratie, alors que les autres de richesse et de condition sociale plus récentes, cherchent les objets de grande collection. Je cherchais un livre global qui n’existait pas, même en Grande Bretagne alors que c’est un phénomène qui intéresse beaucoup plus les Anglo-Saxons que nous. 

Vous possédez néanmoins une importante collections d’ouvrages consacrés à cette période, et êtes le légataire des photos d’Alexis de Rédé, qui constituent sans doute les archives les plus complètes sur la Café Society, de surcroît saisies de l’intérieur et non par des photographes extérieurs, comme c’est le cas aujourd’hui. 
J’ai en effet à peu près tout ce qui est sorti durant les soixante dernières années, et effectivement la collection d’Alexis de Rédé, que j’ai connu en participant à mon modeste niveau à la vie mondaine parisienne. 

On retrouve dans la Café Society le thème du couple aristocratie-bourgeoisie que l’on avait observé durant les années folles… 
La Café Society succède au gratin proustien en tant que prescripteur du goût. Les deux époques s’entremêlent d’ailleurs : il y a quelques personnages à cheval entre les deux, comme Etienne de Beaumont, un aristocrate complètement déjanté qui était un grand ami de Proust et finançait tout ce qu’il y avait de plus extravagant dans l’art, qui organisait des bals d’une grande provocation… Il y a un chevauchement entre les deux mais le gratin proustien est une époque d’exclusivité, où ce qui comptait était la naissance, et où ceux qui n’étaient pas nés n’existaient pas. C’était une époque où les couturiers étaient encore des fournisseurs qui n’étaient pas invités à dîner – Chanel qui démarrera à cette époque passera les premières années de sa vie à ne pas être invitée avant de devenir une locomotive de la Café Society. Dans cette dernière, ce qui compte est de partager un même goût et non plus la naissance, ce qui fait que l’on y rencontre des représentants de la haute aristocratie, des nouveaux riches et des gens un peu frelatés, qui sont invités à partir du moment où ils sont élégants et où ils ont du goût et de l’esprit. C’est un mode de vie branché sur l’art, les ventes aux enchères, les grandes fêtes…

Il rejoint d’une certaine manière le fondamental de l’esprit des grands dandys XIXème, comme Brummell et Montesquiou, qui était de substituer une aristocratie du goût à celle du sang…
Oui, mais Montesquiou était un personnage assez avant-gardiste, qui anticipait la partie aristocratique de la Café Society, de même que Boni de Castellane : c’étaient des personnages proustiens. Montesquiou appartenait à une lignée illustre mais était très marginal par son mode de vie et ses moeurs, il s’affichait en société avec des personnages qui n’étaient invités que parce qu’ils étaient avec lui, alors que dans la période Café Society, qu’il ne connaîtra pas, tout cela est d’une banalité ordinaire, avec notamment cette dimension essentielle qu’il s’agit d’un monde très bisexuel, où il y a beaucoup de faux couples et où la relation personnelle avec les artistes est très libre »

 

Café Society, par Thierry Coudert, 320 pages, éd. Flammarion, 59,90 euros

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