Helmut Berger, l’ange Déchu
Helmut Berger voit le jour le 29 mai 1944 en Autriche. Son père possède une chaîne hôtelière mais il n’envisagera jamais de lui succéder à la tête de l’entreprise familiale. Il veut faire du théâtre, son père ne veut pas entendre parler de ce métier de saltimbanque : à seize ans il quitte Salzbourg pour Paris pour étudier le Français à la Sorbonne, à dix-huit il s’installe à Londres, où il décroche un emploi de serveur pour payer ses études au Century Dramatic Art School, à vingt il rencontre Luchino Visconti.
La légende donna longtemps de nombreuses versions aux circonstances de cette rencontre, la plus courante voulant que le maître italien ait remarqué Berger alors qu’il séjournait dans l’un des hôtels du père de celui-ci, dans la station de sports d’hiver huppée de Kitzbühel. La vérité est plus prosaïque, puisque c’est sur un plateau de cinéma que le jeune homme rencontre le vieux maître. La scène se passe à Volterra, sur le tournage de Sandra, en 1964.
Au faîte de son art, Visconti, 58 ans, règne sur son plateau. Berger, 20 ans, s’est installé à l’écart pour observer les prises de Claudia Cardinale. Il cherche des figurations. En fin de journée un assistant s’approche de lui et lui dit que le réalisateur aimerait le rencontrer. Visconti tombe instantanément sous le charme de ce jeune homme si blond et si beau, à la fois timide et effronté, et les deux hommes ne tardent pas à devenir amants.
L’histoire est en route : après Cocteau et Marais, un second couple cinématographique légendaire vient de se naître. Comme Pygmalion façonne Galatée, Visconti crée Berger, « idéal pour incarner la perversion » dira le Maestro, et lui trouve rapidement un emploi dans une scène du film à sketches Les sorcières. Ce n’est qu’une mise en bouche, car les prédispositions de l’élève sont telles qu’il dépasse les espoirs que le maître met en lui. Deux ans après Les sorcières, Visconti offre son premier grand film à son jeune protégé (« Un jeune poulain plein d’inspiration et de qualités », sic) : en travestissant celui-ci en la Marlène Dietrich de L’Ange Bleu dans une parodie d’anthologie, il lui ouvre les portes de la notoriété avec Les damnés. Entre Shakespeare et Dostoïevski, cette chronique décadente vaut au jeune comédien une nomination aux Golden Globes et lui permet de tourner avec d’autres réalisateurs renommés, comme Vittorio de Sica (Le jardin des Finzi-Contini) et Sergio Gobbi (Un beau montre).
Mais c’est avec le rôle magnifique et paranoïaque de Louis II de Bavière, dans Ludwig ou Le crépuscule des Dieux, en 1972 aux côtés de Romy Schneider,
que Berger entre dans la légende du cinéma. Epousant son personnage à la perfection, il comble son mentor (« Il est parfait ») et impose à la face du monde ses yeux bleu métal, son sourire carnassier et une sorte de mélancolie fiévreuse : une beauté vertigineuse qui l’impose comme le seul concurrent à Alain Delon dans la catégorie des hommes irrésistibles. Mieux : confirmant le talent révélé par le précédent Visconti et le De Sica, sa performance d’acteur séduit véritablement la critique et lui permet de dépasser l’image d’ambiguïté acquise avec Les Damnés et cultivée avec Un beau monstre et Dorian Gray. Visconti est un directeur d’acteurs exigeant, réputé pour son intransigeance autant que pour son sens du détail et l’idée très précise qu’il a de ses réalisations, et cet antépénultième film a réclamé six mois de préparation et six mois de tournage.
Ludwig est un monument. D’une durée initiale de plus de cinq heures (245 minutes en version DVD courte et 285 mn en version longue !) c’est le troisième volet d’une tétralogie imaginée par le réalisateur italien autour des thématiques allemandes décadentes de Richard Wagner et Thomas Mann. Inaugurée avec Les Damnés et poursuivie avec Mort à Venise, elle devait s’achever par une nouvelle adaptation de La montagne magique, prévue après Ludwig. Un accident vasculaire cérébral sur le tournage de ce dernier laissera Visconti partiellement paralysé et lui interdira de mener son projet à bien.
Grandement diminué, le Maître réalisera encore deux derniers films : Violence et passion réunissant Burt Lancaster et Helmut Berger en 1974 et L’Innocent d’après Gabriele D’Annunzio en 1976, mais décèdera avant d’avoir pu achever le montage de celui-ci. La version définitive du film est donc celle du premier montage, le seul que vit Visconti, relevé de quelques retouches mineures effectuées d’après les indications qu’il avait données à sa principale collaboratrice, fidèle depuis Bellissima (1951) et co-auteur du scénario du Guépard.
Bien que les deux hommes ne vivent plus ensemble à l’époque, la mort de Visconti est un drame pour Helmut Berger. Il ne s’en remettra jamais complètement : « J’ai été veuf à 31 ans » a-t-il coutume de répéter aujourd’hui encore, près de quarante ans plus tard. Membre de la haute aristocratie milanaise et grand érudit, le cinéaste italien a il est vrai façonné le jeune homme, l’a éduqué à l’art et à l’opéra, lui a présenté les artistes les plus marquants de leur époque – La Callas,
Dali, Noureev… L’acteur lui doit aussi ses plus grands films, les plus ambitieux, de ceux qui marquent une carrière et jusque l’histoire du cinéma. Sans doute aurait-il fait carrière sans Visconti, mais certainement pas la même carrière. De fait, les 22 films qu’il tourne à partir de 1976 ne sont pas des chefs d’œuvre inoubliables : on n’en retient guère qu’une apparition dans le troisième volet de la saga Le Parrain sous la direction de Coppola, et des petits rôles dans diverses séries télévisées, parmi lesquelles le fameux soap des eighties Dynasty. Loin, bien loin des sommets des années 70.
Les années qui suivent la disparition de Visconti sont en effet des années de descente aux enfers pour le bel Autrichien. Se partageant entre Salzbourg et Rome, il tourne très peu. Débauche, alcool, drogues, sexe (il revendiquera 3000 amants et maîtresses en cinquante ans) : durant la fin des seventies et les années 80, Helmut Berger est un dandy tragique. Ses apparitions dans la presse sont alors plus liées à sa déchéance qu’à ses films, de piètre qualité pour la plupart, dans lesquels ses rôles se limitent désormais à des personnages pervers ou dérangés. Malgré les excès en tous genres, sa beauté, aussi fracassante que celles des Philipe, Marais et Delon, dure ce que dure la jeunesse avant de s’étioler comme celle du portrait de Dorian Gray. C’est alors la longue litanie des opérations de chirurgie esthétique. Lifting, blépharoplastie, penoplastie : pas si simple d’avoir été l’un des plus beaux hommes du monde et auréolé d’une des réputations les plus sulfureuses…
Après la publication de son autobiographie Ich (Je), le monde du cinéma se souvient d’Helmut Berger, et en 2007 le Festival de Berlin récompense l’ensemble de sa carrière d’un Teddy Award. Mais il faut attendre 2014, année de ses 70 ans, pour que le second biopic consacré à Yves Saint Laurent lui offre l’occasion d’un retour remarqué. Avec le Saint Laurent de Bertrand Bonello, dans lequel il interprète le couturier à la fin de sa vie avec cette même intensité fiévreuse qui participa de son aura, les plus âgés ont l’occasion de retrouver le comédien sulfureux désormais rangé – c’est lui-même qui l’affirme – et les plus jeunes de découvrir une sorte d’ange déchu, vieilli mais bien vivant et ombre de l’éphèbe qu’il a été, mais cependant déjà entré dans l’immortalité du cinéma de la grande époque.
Ci-dessus
– Début de la gloire en travesti de Marlène Dietrich dans Les Damnés,
– Dans Ludwig de L. Visconti.avec Romy Schneider
Paru en janvier 2015 aux Editions Seguiers
Helmut BERGER – autoportrait
70ème anniversaire – Propos recueillis par Holde Heuer
Nombreuses illustrations
21 €
www.editions-seguier.fr
En diaporama
– Avec Carole Bouquet, Aurore Clément, Marisa Berenson et Loulou de la Falaise à la soirée de 5ème anniversaire du Palace, à Paris.
– Une élégance hautaine dans Dorian Gray
– L’une des images de l’Helmut Berger sulfureux des années 70.
– Avec Luchino Visconti, preppy style dans les années 70.
– Avec la bellissime Virna Lisi dans le très sombre Un beau monstre, de Sergio Gobbi, en 1970.
– Au Festival de Cannes 2014 pour sa composition d’Yves Saint Laurent à la fin de sa vie dans le biopic de Bertrand Bonello.