Gérard Séné, les racines américaines
D’aucuns ont affermi les fondations de leur culture à Bazin, Stendhal ou Zola, lui a fortifié les siennes aux réprouvés de Hoover : Steinbeck, Hemingway et Capote. Les premiers encensent Bergman ou Fellini, lui Kazan et Huston. Les uns révèrent Gabin ou Delon, lui McQueen et JFK. Si les boutiques de Gérard Sené dégagent un fort parfum d’Etats-Unis, il faut franchir les portes de ses domaines privés, à Paris et en Corrèze, pour prendre la mesure de l’influence américaine chez le tailleur parisien.
Dans le garage une Chevrolet Camaro SS, un rarissime Chrysler Prowler, deux Harley et une Montesa. Sans oublier un petit 4×4 spartiate sans âge. Le Maître goûte en amateur la chanson du gros V8 de la première, le trip California Dreamin’ de la seconde et parcourt les routes vallonnées et les bois de la région aux guidons des suivantes. Sans oublier les chemins creux, dévalés pied à la planche au volant du dernier.
Les repas se prennent au bord de la piscine qui domine les monts des Monédières ou dans la grande salle de réception placée sous la surveillance d’un vieux chef indien et d’un cow-boy aux traits de Charlton Heston. Plantée dans son écrin de grands arbres, l’architecture de bois et de pierre nous renvoie dans un far-west qui ne concède à la modernité du XXIème siècle que ses grandes baies vitrées… et une installation hifi époustouflante. Car l’une des caractéristiques les plus marquantes de Gérard Sené est de pouvoir se passionner pour les sujets les plus divers. Il y a bien sûr le vêtement et la chaussure (nous allons y revenir), il y a les Etats-Unis et leur univers, que l’on respire partout ici, il y a l’automobile et la moto, il y a le sport, et il y a le cinéma et la musique.
Dans chacun de ces domaines, Sené peut soutenir une conversation poussée avec des spécialistes. Car il ne se penche pas sur un sujet mais s’y investit, achetant avec une surprenante boulimie tous les ouvrages, les films et jusqu’aux différentes expressions, artistiques et autres, qui y sont consacrés. Cette approche quasiment compulsive de ses passions, et la permanence de celles-ci au fil des années, l’amènent à disposer d’une connaissance encyclopédique des sujets qu’elles recouvrent et en font un interlocuteur de choix dès qu’on les aborde.
Ainsi le cinéma et la musique. La pièce qui leur est dédiée permet de déguster n’importe quel film ou concert dans des conditions de confort et de qualité audio et vidéo hors du commun, face à un écran de trois mètres et via des amplis et enceintes dignes d’un studio d’enregistrement. Ici l’Amérique est toutefois plus dans la vertigineuse collection de CD et de DVD que dans le matériel.
Dans le bâtiment secondaire, sous la pièce de réception les chambres d’amis respirent elles aussi à plein nez l’air d’outre-Atlantique, de la chambre western, avec ses cloisons de bois, son canapé de cuir et sa collection de bottes et de chapeaux, à celle plus sixties dans laquelle les reproductions de Liechtenstein égayent de touches colorées la décoration panchromatique et la baignoire éclairée aux néons.
USA encore et toujours dans le bâtiment principal, tant dans la chambre de Gérard, dont la décoration constitue des murs au plafond un hommage aux Indiens d’Amérique à la notable exception d’un gigantesque écran plat, que dans la salle de billard, dominée par des tableaux représentant JFK en portrait, en cortège et même à Berlin lors de sa fameuse allocution de juin ’63. Tout ceci n’est pas du décorum : ce n’est pas là pour amuser la galerie ou pour créer l’anecdote, il s’agit de l’univers de Sené, des racines mêmes de l’inspiration que l’on retrouve dans ses collections.
Aucune surprise, donc, à ce que cet américanophile ait construit sa marque, dès la première collection, sur une sélection de pièces marquantes du vestiaire américain.
Ainsi les vestes Grant, Mitchum et JFK, caractérisées par leur coupe deux boutons, leurs poches à rabats, leur absence de fente dorsale et surtout celle de pinces poitrine, le cintrage étant opéré par la coupe. La Grant introduisit l’épaule mixte à mi-chemin entre styles anglais et italien, associant la structure de l’un avec la vestibilité de l’autre, tandis que le premier Bond inspirait à Sené les petits revers. Côté cuir, l’inspiration venait plutôt de James Dean et Elvis (notamment le fameux blouson Jailhouse Rock). Et ce sont toujours les stars américaines qui inspirèrent les premières chaussures Sené : citons sans préoccupation d’ordre la botte réplique de celles qu’Elvis se faisait faire chez les Lanski brothers, à Memphis, mais aussi le mocassin Welles à bout mufflé, et la première lazy-shoe Hitch, reproduction des chaussures à élastiques qu’Orson Welles – toujours lui – se faisait faire parce qu’il souffrait de cous-de-pied trop forts. Très vite cette passion pour l’Amérique permet à Gérard Sené de se faire un nom, puisqu’elle lui vaut dès les toutes premières collections la clientèle, et la fidélité, de nos Johnny et Eddy nationaux, puis dans leur foulée de nombreuses personnalités du show business et du cinéma, français d’abord et internationaux ensuite.
La légende est en route.
Les collections sport, enfin, tiennent moins à sa passion de l’Amérique qu’à ses dix années passées dans l’intimité de l’Equipe de France de tennis, de 1980 à 1993, même si notre homme fait ses 50 km de vélo quotidiens sur un Trek, pratique le VTT sur un Cannondale et joue au tennis avec une Prince. Le tout chaussé de Nike. Chassez le naturel…