Du feutre au panama : Borsalino dans la légende
Pour les cinéphiles, Borsalino est le film de Jacques Deray qui réunit les deux stars Alain Delon et Jean-Paul Belmondo en 1970, dans le Marseille des années 30. Mais pour les hommes du monde entier, devenu générique comme Bic, Klaxon ou Frigidaire, Borsalino symbolise le chapeau feutre mou. Enfin, les élégants savent qu’il ne s’agit pas de n’importe quel chapeau feutre mais DU chapeau feutre, à la fois version originale et produit de luxe.
Giuseppe Borsalino l’a créé en 1857, année où il fonda son entreprise avec son frère Lazzaro. Rien ne prédisposait pourtant le jeune Italien d’Alexandrie à laisser son empreinte dans l’histoire du chapeau. Mais le mauvais élève qu’il est doit se tourner très jeune vers l’apprentissage : il a douze ans lorsqu’il est engagé dans la fabrique de chapeaux Camagna, en 1846. Quatre ans plus tard le jeune homme quitte l’Italie pour la France, réputée à l’avant-garde de la mode et de la production de chapeaux, et s’installe à Paris où il trouve du travail chez Berteil, rue du Temple. Il va y acquérir l’expérience qui lui permettra de décrocher le certificat de chapelier, nécessaire pour pouvoir ouvrir un atelier. Le précieux sésame en poche, il regagne Alexandrie et crée son entreprise. Celle-ci voit le jour modestement dans une cour de la via Schiavina, mais ne va pas tarder à se faire connaître en fabricant des couvre-chefs modernes, inspirés de ce qui se fait en Angleterre. Car Giuseppe observe attentivement le marché britannique, et notamment les chapeliers des faubourgs de Manchester, qui s’imposent comme les meilleurs de la spécialité. Volontaire, le garçon décide de sauter le pas entre l’artisanat et l’industrie, et passe commande des machines utilisées outre-Manche. Une audace payante : en 1871 la production quotidienne atteint 300 chapeaux, dix ans plus tard la maison se lance dans la grande aventure de l’exportation, et encore dix ans après la production a doublé. L’exposition universelle de 1900 décerne son Grand Prix au feutre inventé en 1857. Fait de poils de lapin ou de lièvre, celui-ci, qui s’est imposé depuis lors sur tous les marchés, devient (déjà) le symbole du chapeau classique. Consacré par cette récompense prestigieuse, Borsalino passe la main à son fils Teresio durant cette même année 1900. Celui-ci ne déçoit pas les espoirs paternels : en 1906 la production est passée à 4000 pièces par jour, elle est de 5500 trois ans plus tard. Lorsqu’éclate la première guerre mondiale, la maison d’Alexandrie produit plus de deux millions de chapeaux par an, dont elle exporte plus de la moitié. S’étant redressée durant l’entre-deux-guerres, Borsalino subit la seconde plus violemment que la première, l’usine étant détruite en avril 1944. Dès la fin des hostilités pourtant, Borsalino met les bouchées doubles pour reprendre sa place et va créer une cinquantaine de nouveaux modèles par an – un chiffre à comparer aux trois à quatre nouveautés annuelles du début du siècle. L’entreprise bénéficie de la grande reprise des activités de l’après-guerre et reprend ses exportations de plus belle, s’implantant en Espagne, en Amérique du Sud et au Japon.
Toutes les générations d’acteurs ont adopté et promu le Borsalino : ici Jared Leto, Humphrey Bogart, Alain Delon et Jean-Paul Belmondo.
Fidèle à son histoire, la maison continue d’appréhender son métier de façon moderne, et commande une étude sur l’usage du chapeau au principal institut de sondage italien, en 1966. L’étude souligne la nécessité de se rapprocher de l’industrie de la mode et de développer une vision du chapeau plus jeune.
Avec Borsalino et Borsalino & C°, en 1970 et 1973, le cinéma lui apporte un coup de pouce inespéré, et relance beaucoup plus efficacement que n’importe quelle campagne publicitaire le nom de Borsalino auprès des nouvelles générations. Le dernier héritier de Giuseppe Borsalino quittera la direction de l’entreprise fin ’79, avant que celle-ci soit vendue au début des années 90 et entreprenne une nouvelle phase d’expansion, en étendant sa production à la femme et en développant encore son implantation internationale, avec notamment la création de Borsalino America Inc. en 1998 et la construction d’une nouvelle usine en Chine.
Aujourd’hui la marque possède onze boutiques en propre en Italie et une à Paris, est présente dans les magasins les plus luxueux du monde, comme Bergdorf Goodman, Barney’s, Saks et Neimann Marcus à New York, Harrod’s à Londres ou Isetan à Tokyo, et propose des collections homme et femme associant avec bonheur luxe des matières et tendance de la mode. Elle est toujours la reine du feutre (également appelé Fedora ou Bogart, qui l’a immortalisé au cinéma), lequel est aujourd’hui comme hier fabriqué entièrement à la main au cours de 72 opérations qui nécessitent sept semaines de fabrication, et s’est également imposée comme le nec-plus-ultra dans la seconde grande famille de chapeaux, plus estivale – et donc plus pertinente dans ce numéro de printemps – que celle du feutre : le Panama.
Le panama, indispensable compagnon des beaux jours
L’histoire veut que les premiers conquistadores espagnols aient découvert ce chapeau de paille lors de la colonisation de l’Equateur. Souple et léger, il était constitué de fibres de jeunes pousses de palmier (palme de Carludovica) et tissé à la main, et faisait partie de la tenue traditionnelle de nombreuses tribus du sud du pays. La finesse du tissage était telle que les colons crurent d’abord que les chapeaux étaient faits de peau de chauve-souris, avant de réaliser qu’elle résulte de trois techniques de tissage particulières : la brisa, la cuenca et le montrecristi, correspondant aux régions où ils sont fabriqués et différant par leurs points de tissage.
Il faut attendre le XVIIIème siècle pour le voir traverser les mers et arriver en Europe où il séduit pour sa légèreté. Napoléon Bonaparte fut l’un de ses premiers inconditionnels et l’adopta durant tout son séjour à Sainte-Hélène. Mais ce n’est qu’au XIXème siècle que Don Alfaro, père du président d’Equateur, en industrialisera la production à Montecristi, petite ville perdue entre la côte Pacifique et les Andes, et commencera bientôt à l’exporter. Découvert par la noblesse parisienne à l’occasion de l’exposition universelle de 1855, il impressionna les élégants français par sa finesse et devint l’accessoire à la mode dès que Napoléon III l’adopta à son tour.
Mais c’est lors de la construction du Canal de Panama, achevée en 1914, qu’il se répand en Amérique du Nord, les ouvriers du chantier s’en servant pour se protéger du soleil. Le président Roosevelt en étant coiffé lors de sa visite du chantier en 1906, et le banquier J.P. Morgan en faisant à son tour son couvre-chef d’été favori, le chapeau de paille équatorien devint rapidement l’accessoire que chacun voulait posséder. C’est à cette époque qu’il prit le nom de Panama.
Il se caractérise par la faculté de ses modèles les plus haut de gamme (ceux bénéficiant des tissages les plus fins, qui nécessitent plusieurs mois de tissage) d’être roulés sans perdre leur forme. Dans les années 40 la mode internationale est dictée par Hollywood et, les acteurs les plus célèbres comme Humphrey Bogart, Gary Cooper et Orson Welles l’adoptant à leur tour, la célébrité du Panama s’étend à la planète entière.
Borsalino ne pouvait pas ne pas produire ce chapeau qui venait opportunément remplacer ses feutres pendant les mois d’été, et se positionna immédiatement sur le haut de gamme, se concentrant notamment sur le Montecristi Ultrafin, le plus luxueux entre tous, merveille de légèreté qui réclame aujourd’hui encore quatre mois de tissage.