Douglas Kennedy : Murmurer à l’oreille des femmes
Le plus français des auteurs américains partage son existence entre New York, Montréal où vit sa femme, psycho-analyste canadienne, et Paris où il séjourne trois à quatre mois par an. « Mais pour le fisc, je suis toujours Américain » confie-t-il. Pour Dandy, Yves Denis a rencontré Douglas Kennedy.
Au-delà du roman, ses livres questionnent – sur la nature humaine, la vacuité de l’existence, la recherche du bonheur. L’optimisme naturel des Américains et aussi celui que lui apporte son second mariage, à l’âge de la maturité, éclairent sa vision contrastée de la condition humaine et l’amènent à considérer les faiblesses et les contradictions de l’homme d’un oeil indulgent, même si sans illusion. Son dernier ouvrage, Murmurer à l’oreille des femmes, réunit une douzaine de nouvelles mettant en scène un thème qui lui est cher : des hommes et femmes à la croisée des chemins.
Dandy : Vous venez de publier votre premier recueil de nouvelles : Murmurer à l’oreille des femmes. Dénominateur commun à ces douze textes : les héros y ont tous entre 40 et 60 ans et sont tous à une étape de leur vie où celle-ci bascule, entre dans une nouvelle partie. Vous venez vous-même de vous remarier, y a-t-il une certaine forme de projection ?
Douglas Kennedy : « Tout le monde pense toujours que si l’on écrit quelque chose, c’est que l’on a vécu ce quelque chose ; or il n’y a ici qu’une nouvelle autobiographique : la première, Guerre Froide. Le sujet de mes nouvelles, c’est que l’amour est un rêve, comme le bonheur, mais aussi un conte de fées, parce qu’au début la route est complètement dégagée, le sexe est sublime. Puis vient un moment, après quelques mois, où un camion arrive avec toutes les valises (Douglas Kennedy éclate d’un rire tonitruant), je veux dire métaphoriquement… On m’a fait remarquer que mon point de vue était « un peu glauque », mais pour moi il est juste réaliste ! Il y a une nouvelle où le narrateur est un avocat, blessé par un divorce. Il rencontre une femme, elle aussi avocate, très belle et très intelligente, ils éprouvent un grand coup de foudre, il voit un avenir magnifique mais elle le met en garde contre elle-même. Au début il se dit que c’est une erreur de parcours, mais l’erreur est celle du narrateur : il a tout compris dès le début mais a refusé de regarder la vérité. Comme beaucoup d’entre nous !!! (rire tonitruant). L’amour est fréquemment une projection, et je le comprends ; tout le monde a eu des désastres intimes.
A travers toutes ces nouvelles vous posez la question du sens de la vie, et en filigrane : que veut-on réellement une fois que l’on atteint les objectifs que l’on s’était fixés ?
DK : C’est aussi une stratégie : dans ces nouvelles, ces hommes et ces femmes ont réussi leur vie, ils ont de l’argent, une carrière, ce sont des avocats, des hommes d’affaires, des universitaires, des journalistes… Tout est là, sauf le bonheur. Et pourquoi est-il si difficile de trouver le bonheur, surtout si on le recherche ?
Regardez les disputes dans un couple : le plus souvent elles ne donnent aucun résultat, sauf le malheur : on se dispute, et franchement cela ne change rien ! (rire tonitruant). J’ai grandi au milieu d’un mariage raté, j’ai toujours vu mes parents se disputer, aussi quand j’ai commencé à écrire je transposais mon expérience. Cela a été la même chose avec mon premier mariage. (il s’arrête un instant). Un deuxième mariage, surtout avec une femme de la même génération, c’est primordial : il y a la maturité, et on sait qu’il faut tout le temps négocier, et éviter des bêtises.
Très philosophique !
(rire tonitruant)
Mine de rien, vous posez des questions existentielles…
DK : Toujours !
C’est l’une des caractéristiques principales de vos livres, que l’on a vu apparaître dans Rien ne va plus, dont le dernier tiers pose ce genre de questions, et nous renvoie quelque part entre Shakespeare et Heidegger. On retrouve cela très nettement dans ces nouvelles.
DK : Merci de l’avoir remarqué. J’ai écrit Rien ne va plus après La poursuite du bonheur. Au début j’ai pensé que ce serait un divertissement, mais c’est plus que ça. On peut mélanger un style très accessible et une vraie narration mais aussi un point de vue assez philosophique, une écriture élevée et des références culturelles et littéraires. Pourquoi pas ? L’art est difficile : on peut siffler Tchaikovsky, et c’est pourtant un grand compositeur. J’essaie de créer des miroirs : même si ce n’est pas toujours autobiographique je fais face à mes propres contradictions, qui sont partagées par tout le monde, parce que tout le monde a raté une histoire avec quelqu’un, tout le monde ou presque a trompé quelqu’un. On se crée des scenarii personnels et on se demande « Mais pourquoi je vis comme ca ? », alors que la plupart du temps c’est une question de choix. Dans un couple on veut créer une histoire ensemble mais il y a toujours deux histoires, et si le plus grand mystère c’est soi-même, créer un couple est un défi.
Vous êtes un auteur américain, francophile, cool et un peu désabusé, ce qui fait de vous une sorte d’Hemingway contemporain…
DK : Merci, mais je dirais plutôt un Graham Greene contemporain. Le sujet de Greene est toujours le pardon existentiel, le fait que l’on est seul dans un univers impitoyable et responsable de ses propres actions. J’ai un grand respect pour Greene. La chose la plus importante dans une vie, pour les gens de ma génération, c’est de perdre la curiosité. Il faut toujours la garder. Il y a de bonnes et de mauvaises choses dans une vie, mais il faut faire face, outrepasser les grandes déceptions personnelles, qui sont inévitables. Peut-être que la plus grande déception c’est nous-même, mais si on peut garder la curiosité, et avoir une vie intéressante, c’est suffisant. »
Murmurer à l’oreille des femmes
248 pages, éd. Belfond
21 euros.