David Niven, l’élégant d’Hollywood
Comment reconnaître à coup sûr un parfait gentleman britannique ? Complet rayé et parapluie roulé ne sont que des indices, pas des preuves. L’étoffe de cet individu singulier et attachant se cache donc dans son attitude. L’impeccable élégance doit se marier à la désinvolture légère et exquise, l’érudition joyeuse, l’esprit sportif en toutes circonstances. Pour réussir idéalement ce cocktail de fantaisie et de charme, il conviendra d’ajouter un regard facétieux, des gestes exquis, parfois un rien précieux, un humour irrésistible, un soupçon de bravoure militaire et patriotique, des aventures savoureuses et des souliers joliment patinés. Un exemple étant toujours plus parlant qu’une longue définition, il nous suffit de songer à une phrase de David Niven : « Un gentleman est un monsieur qui, lorsqu’il rencontre une femme entre deux âges, opte pour le moins vraisemblable ».
James David Graham Niven voit le jour le 1er mars 1909 à Londres. Avec son frère cadet Henry et ses deux sœurs Margaret Joyce et Grizel Rosemary, il connaît une enfance heureuse mais disciplinée, sous la férule d’un père officier de l’armée du roi Edouard VII. Le capitaine William Niven meurt en service commandé en 1915 à Gallipoli, durant la bataille des Dardanelles. Sa veuve se remarie après la guerre avec un influent homme politique conservateur, Sir Thomas Comyn-Platt, que le jeune David considèrera toujours comme son père. Elève dissipé, David est envoyé au pensionnat. La pire expérience de sa vie selon lui. Il souffrira vertement de la discipline de fer, des sévices sexuels traditionnels et des douches glacées. Pour reprendre la tradition familiale, sa mère l’inscrit à l’académie militaire de Sandhurst. Sa voie semble toute tracée, il sera officier. Le fringant sous-lieutenant, qui s’est fait remarquer de ses camarades car il fait retailler ses uniformes dans de meilleures étoffes par un tailleur de Londres, sort bien classé de cette prestigieuse institution en 1930. Etant parvenu à se faire affecter à Malte, il intègre le prestigieux régiment d’infanterie légère des Highlands grâce à ses origines écossaises. Hédoniste raffiné, il compte bien goûter aux plaisirs méditerranéens tout en accomplissant son devoir. Son caractère s’y révèle progressivement. A la fin d’un long cours sur le fonctionnement et l’entretien des mitrailleuses, l’officier instructeur demande s’il y a des questions. David Niven, un rien contrarié de manquer un rendez-vous galant, lève la main : « Auriez-vous l’heure, mon général ? J’ai un train à prendre ».
L’insubordination n’étant pas de mise dans les régiments de Sa Majesté, le jeune homme est placé aux arrêts et embastillé. En cellule, le prisonnier amuse la sentinelle et sort de sa poche une flasque gainée de cuir. Faisant boire le geôlier, il s’évade et s’embarque pour New-York. A lui la liberté. A peine à bord, Niven demande à faire la connaissance du commandant pour savoir à quelle heure sont servis les cocktails et, dans la foulée, fait envoyer un télégramme à ses supérieurs leur indiquant sa démission. Comme bien des migrants aux portes de l’Eldorado, il pense que tout commerce est possible, et arguant de ses origines, s’essaye au négoce de whisky. Les affaires sont mauvaises, aussi se tourne-t-il vers l’organisation de rodéos. Commence alors une longue suite de petits emplois infructueux. Tenté par un peu d’exotisme, le jeune séducteur séjourne à Cuba puis aux Bermudes, avant de se fixer, durant l’été 1934, en Californie. Svelte et athlétique, toujours remarqué pour son élégance subtile et raffinée, le jeune Anglais veut tenter sa chance à Hollywood. Mais sans permis de travail, rien n’est possible. Le revoilà assujetti aux petits boulots. Au Mexique cette fois. Il ne regagne Hollywood qu’une fois son visa et sa carte verte en poche, décroche quelques seconds rôles et se lie d’amitié avec Errol Flynn et Clark Gable. Bien décidé à jouer de son charme et de ses bonnes manières pour figurer dans des comédies légères et romantiques, il tente aussi de faire un atout de son passé sous les drapeaux. Entré en contact avec le producteur Samuel Goldwyn, il parvient à le convaincre qu’il ferait une bonne représentation de l’officier britannique typique. Presque caricatural. Mais Hollywood aime les stéréotypes.
Un élégant à Hollywood
David Niven est dans son élément dans le milieu du cinéma. Il ne s’en cache pas : « C’est vraiment très amusant. Pouvez-vous imaginer être merveilleusement surpayé pour bien vous habiller et jouer à des jeux ? C’est comme être Peter Pan ! ». Il en sera donc ainsi, notamment dans divers films d’aventures. En 1935 il apparaît dans Les révoltés du Bounty, puis l’année suivante dans La charge de la brigade légère, aux côtés de son ami et colocataire Errol Flynn. Sa prestance et son humour lui ouvrent le registre de la comédie. Partenaire de Jeannette MacDonald dans Rose-Marie en 1939, il donne cette même année la réplique à Ginger Rogers dans Mademoiselle et son bébé, et se confronte à Lawrence Olivier dans Les hauts de Hurlevent. Mais la guerre vient mettre entre parenthèses la carrière de l’acteur, déjà vedette renommée. David Niven s’engage comme volontaire dans l’armée britannique. « La seule chose utile pour l’humanité que j’ai faite dans ma vie » répétera-t-il avec humour à la fin de sa vie. Incorporé dans la Riffle Brigade, David Niven participe aux combats de deux manières. Par solidarité pour l’effort de guerre, il tourne bénévolement plusieurs films dans les productions anglaises de Leslie Howard, Carol Reed et des inséparables Michael Powell et Emeric Pressburger, et intègre parallèlement les commandos, où il se lie d’amitié avec Peter Ustinov et participe à des missions secrètes de sabotage et de combat. Débarqué en Normandie dans la deuxième vague d’assaut, quelques jours à peine après le D-Day, il termine le conflit au grande de lieutenant-colonel. S’étant marié avec Primula Rollo, engagée dans la Royal Air Force, pendant la guerre, il regagne Hollywood après avoir reçu les insignes de la Légion du Mérite, plus haute décoration militaire américaine accordée à un étranger, des mains du Général Eisenhower. « Primmie », comme la surnomme David, lui donne deux fils, David Junior et Jamie, mais décède peu après la naissance de ce dernier en faisant une chute dans un escalier au cours d’une partie de cache-cache lors d’un dîner festif. Très affecté par cette disparition, David Niven tente de se suicider, mais l’arme s’enraye et il y voit un signe adressé par sa défunte épouse. L’acteur surmonte mal son veuvage et présente des troubles dépressifs. Il se réfugie dans le travail en enchaînant film sur film. Deux ans plus tard, il se remarie avec le mannequin suédois Hjordis Paulina Tersmeden, et retourne vivre en Europe. Le couple adoptera deux petites filles, Kristina et Fiona. Cette période et les trente années qui vont suivre seront les plus prolifiques de sa carrière.
Dans les années cinquante, il consolide son image avec plusieurs comédies, interprétant avec talent le faux journaliste de L’amour mène la danse, le lieutenant raffiné des Trois troupiers en 1951 et l’alcoolique distingué de La lune était bleue d’Otto Preminger, pour lequel il gagne le Golden Globe du meilleur acteur. Avec ce même réalisateur, il portera à l’écran en 1958 l’adaptation de Bonjour tristesse de Françoise Sagan. Il s’associe à Dick Powell, Charles Boyer et Ida Lupino en 1954 pour créer la société de production de téléfilms «Four Stars». Sans doute son expérience la plus lucrative. Mais c’est avec Le tour du Monde en 80 jours, en 1956, qu’il trouve certainement son rôle le plus marquant, tant il est la parfaite incarnation du gentleman voyageur Phileas Fogg qu’il interprète. Second Golden Globe et Oscar en 1958 pour sa magistrale interprétation d’escroc obsédé sexuel dans Tables séparées de Delbert Mann avec Deborah Kerr et Rita Hayworth, au sujet duquel, ne se prenant jamais au sérieux, il déclarera quelques années plus tard : « J’ai eu beaucoup de chance de décrocher un Oscar. Un de mes autres rêves serait de peindre au Louvre. La seule chance que cela arrive un jour serait que je fasse un graffiti dans les lavabos des messieurs… »
Le style Niven : des coupes parfaites et un zeste de fantaisie
Car David Niven, personnage raffiné à l’écran, est à l’identique au naturel. A la ville il aime la peinture classique, les bons cigares et les Marlboro. Ses goûts ne sont jamais tapageurs et même s’il s’offre un cabriolet Ferrari 212 Inter carrossé spécialement par Vignale (dotée d’un siège latéral à l’arrière), il est surtout un amateur de confortables berlines Jaguar et Bentley.
L’élégance du style Niven tient avant tout à la simplicité des coloris et des motifs, qui servent des coupes parfaites. Rien de trop marqué ni appuyé. L’acteur n’a pas l’aprêt figé d’un Cary Grant, ni la coupe trop près du corps des complets de Tyrone Power ou la rigidité empesée de Rex Harrisson. Mais s’il se méfie des couleurs trop luxuriantes, dédaignant les pulls-over rose bonbon qu’apprécie Fred Astaire, il apporte toujours à sa mise un zeste de fantaisie : un carreau fin dans un tweed ou une fleur à la boutonnière. Son vestiaire est celui du parfait gentleman britannique : blazers croisés à boutons de cuivre, complets croisés rayés avec poche ticket, cravates regimental, vestes de chasse aux couleurs cuivrées et pardessus de cachemire marine à la ville, complets de voyage souples et pantalons blancs en bord de mer, dinner jacket de velours le soir, habit noir et gilet blanc ou smokings pour les soirées : une garde-robe extrêmement raffinée, à l’écran comme en privé. Si ses montres en or extra-plates sont griffées Vacheron Constantin, Jaeger-LeCoultre, Cartier et Patek Philippe, nul ne peut distinguer l’étiquette de ses tailleurs de Savile Row cousues à l’intérieur des poches. A l’instar de Louis B. Meyer, nabab hollywoodien propriétaire de la MGM, ses adresses habituelles sont Edward Tautz & Sons. Kilgour et French & Stanbury. Edward G. Robinson, Cary Grant et Frank Sinatra suivront le mouvement.
Années soixante : l’apogée puis le déclin
Devenu une très grande vedette, il tourne dans les années soixante plusieurs superproductions comme Les canons de Navarone, de Jack Lee Thompson, et Les 55 jours de Pékin de Nicholas Ray, consacré à une page sanglante de l’histoire chinoise : la révolte des Boxers et le rejet des comptoirs coloniaux occidentaux. Cette fresque spectaculaire, qui sort en pleine guerre froide, a une grande portée politique. David Niven y campe avec conviction l’ambassadeur de Grande Bretagne à Pékin, aux côtés de Charlton Heston et d’Ava Gardner. Dans un genre plus léger, le séducteur britannique trouve un rôle à sa mesure dans La Panthère Rose, de Blake Edwards. Il y incarne un aristocrate monte-en-l’air à l’humour fin et aux vestes d’intérieur de velours cramoisi, roulant en Ferrari 250 California. Claudia Cardinale et le jeune Robert Wagner sont sous le charme, le public aussi. Mais les belles années touchent à leur fin. Ayant appris que Ian Fleming a imaginé le personnage de James Bond en pensant à Cary Grant et à lui, Niven se porte candidat pour le rôle. Jugé trop âgé et trop précieux, il est écarté au profit de Sean Connery. Il sera néanmoins l’agent secret 007, dans le très loufoque et parodique Casino Royale, aux côtés de Peter Sellers, Ursula Andress, Orson Welles et Jean-Paul Belmondo, avec lequel il partagera en 1969 l’affiche de la comédie de Gérard Oury Le Cerveau. Sa carrière s’essouffle et peu à peu et s’il gagne en maturité, Niven n’apparaît plus que dans des films de second rang. Les suites de La panthère Rose s’enlisent aussi malgré sa présence. Deux films le remettront une dernière fois en lumière : Mort sur le Nil en 1978, où il donne à Peter Ustinov une réplique inspirée et à tous les dandys du monde une leçon d’élégance, et deux ans plus tard Le Commando de Sa Majesté, dans lequel il interprète, épaulé par Roger Moore, le héros au flegme délicieux qu’il fut jadis.
Atteint du syndrome de Lou Gehrig, une maladie neuromusculaire dégénérative proche de la maladie de Charcot, David Niven s’éloigne de la vie publique au début des années quatre-vingt et se partage entre sa villa monégasque et sa propriété suisse de Château d’Oex, où il s’éteind le 29 juillet 1983. Ce gentilhomme du septième art voulait « faire du monde l’endroit le plus joyeux ». L’un des plus élégants aussi.