Comment Perzel a inventé l’éclairage moderne
Situé à la lisière du parc Montsouris, l’immeuble ne peut renier la période Art Déco qui le vit naître. Commandé par Jean Perzel à l’architecte Roux-Spitz, grand prix de Rome, en 1931, il empile cinq étages de façade caractéristique et abrite depuis 80 ans la création, le développement, la fabrication et la restauration d’une marque unique en son genre. Jean Mermoz, qui y vécut cinq ans, y salua Perzel le jour du départ pour son dernier vol en lui disant « A très bientôt ! ». Olivier Raidt nous y reçoit et nous fait les honneurs des lieux. Au sous-sol se tient la fabrication. Une douzaine d’artisans y pérennise le savoir-faire séculaire des maîtres verriers. Ils sont maîtres bronziers, verriers, vernisseurs, polisseurs, sableurs, ajusteurs, tourneurs, repousseurs : le métier nécessite une somme de compétences manuelles de précision, et l’équipe est essentiellement constituée de fidèles : la moyenne d’ancienneté est supérieure à vingt ans. Le développement des nouvelles pièces et des créations sur commande se font sur place, au-dessus du show-room qui constitue une sorte d’invitation dans le temps, et l’occasion de s’apercevoir que la collection Perzel a perpétué et revisité le style Art Déco tout au long du XXème siècle, soulignant sa modernité et sa permanente actualité.
Au fil des décennies, la maison a accumulé les lettres de noblesse, notamment à travers toute une série d’appliques restées légendaires : celles de la salle des pas perdus du palais de l’ONU (alors Société Des Nations) à Genève, en 1935, avec leurs cascades en dalles de verre caractéristiques ; celles du paquebot Normandie avec leurs dalles de verre soulignées de fines moulures de bronze, témoins modernes d’une époque révolue ; celles de la Cathédrale de Luxembourg, avec leurs jeux de cylindres de verre dépoli ; celles créées pour le Musée d’Art moderne de Paris en 1937, dont la coupe de verre sablé repose sur une vague de bronze ; les étonnantes « abstractions géométriques », toujours produites et aussi actuelles aujourd’hui qu’en 1926…
De tailles diverses, les lampadaires sont tout aussi remarquables et présentent également un sérieux air de famille. Ici aussi les assemblages en cascade de cylindres de verre optique, ou de dalles de verre brut de coulée, participent d’une collection immémoriale. L’un d’entre eux fut sélectionné, excusez du peu, pour l’exposition Lumière du Centre Pompidou. Parmi les modèles cultes, citons le très épuré 41E, exposé au Musée d’Art Moderne de la ville de Paris, qui équipait la suite Trouville, la plus luxueuse du paquebot Normandie.
Les suspensions et plafonniers respirent également l’Histoire du XXème siècle, et l’inspiration Art Déco y est là aussi très forte, de nombreuses pièces datant des années 30. Quant aux lampes, plusieurs d’entre elles sont inchangées depuis plus de trois quarts de siècle, comme la 509bis créée pour les étudiants de la Cité Universitaire en 1929, ou aussi et surtout la célèbre 162, créée par Jean Perzel en 1927 et adoptée par les plus grands architectes de l’époque : Le Corbusier, Ruhlmann, Leleu, Roux-Spitz, considérée comme la plus prestigieuse des lampes de collection des années 30. On ne peut être qu’interpellé par la modernité de ces créations, qui restent aussi actuelles aujourd’hui qu’en 1923, à la création de la maison.
Depuis 1923
Jean Perzel et François Raidt dans les années 30
Jean Perzel va avoir trente ans lorsqu’il ouvre celle-ci. Né en Bavière en 1892, il a suivi des études de peintre verrier à Munich, est sorti premier de son école et a effectué son Tour d’Europe en Autriche, en Tchécoslovaquie, en Suisse, en Italie et enfin en France, à pieds comme il était de coutume à l’époque, se faisant embaucher au gré de son voyage pour approfondir ses connaissances. 1910 le voit à Paris, chez un maître verrier qui le perfectionne pendant un an avant de l’envoyer à Alger gérer une commande importante. La guerre éclate alors qu’il rentre à Paris en 1914, et il s’engage dans la légion étrangère.
Démobilisé en ‘19 il est naturalisé Français, et reprend son activité de peintre verrier chez Gruber. Dès lors tout s’enchaîne très vite : désormais parfaitement armé techniquement, le jeune homme s’avère remarquablement doué. L’éclairage l’intéresse : il reste tout à y faire. Il s’y consacre à partir de 1923, et expose dès l’année suivante dans tous les salons qui comptent : ce seront successivement les Artistes Décorateurs (1925) et la Société Nationale des Beaux-Arts (de 1932 à 1936) en France, mais aussi Barcelone, Bruxelles, New York… Sa réputation est bientôt telle que Perzel ne se contente plus de participer, mais fait désormais partie des jurys de ces expositions. Les récompenses s’accumulent, et le voici bientôt chargé de réaliser les éclairages du palais de la Société Des Nations (futur ONU) à Genève, de la cathédrale du Luxembourg, de la gare de Mulhouse, du palais du maharadjah d’Indore, de l’ambassade du Canada, de la résidence du roi de Siam à Bangkok, du paquebot Normandie… Dans l’entre-deux-guerres Jean Perzel est devenu une personnalité très en vue.
Il faut dire qu’aux qualités esthétiques de ses créations s’ajoute, pour la première fois, une approche méthodique de l’éclairage. Sous sa griffe – et grâce à son savoir-faire – celui-ci devient doux, diffus, et omniprésent. Perzel est le premier à créer des appareils d’éclairage réellement modernes et à se préoccuper des perspectives offertes par l’électricité, à penser à l’éclairage indirect, à structurer et organiser l’expression décorative du verre. Les pièces qu’il conçoit sur ces réflexions sont radicalement différentes des produits concurrents, et inaugurent une qualité de la lumière qui sera définitivement l’une des marques de fabrique de la maison. Quatre-vingts ans plus tard son petit-neveu Olivier Raidt l’explique encore : « La touche Perzel, c’est un objet fonctionnel en lumière (…). Nous ne voulons pas mettre en valeur nos créations, mais les visages, les objets environnants, les intérieurs ». Tant il est vrai que dès 1930, Jean Perzel s’investit dans l’étude des lois de l’optique et la mise en valeur des objets et des visages par l’intensité et la couleur de la lumière. Il y apprend que selon que cette dernière est ambrée, légèrement rosée ou champagne, elle donne des résultats différents et met différemment en valeur les visages et les objets environnants. Avant lui la lumière électrique était utilisée de façon totalement empirique, Perzel défriche les voies qui seront utilisées durant les 80 ans à venir. En 1937 il appelle près de lui son neveu François Raidt, à qui il inculque la rigueur de l’ingénierie et qu’il incite à travailler à la simplicité des formes. Près de lui celui-ci apprendra le métier de verrier d’art, qu’il doublera de cours du soir d’architecture. Perfectionniste, le jeune homme en viendra vite à seconder son oncle, et même à améliorer la technique de certains modèles. Une anecdote donne sa mesure.
Le défi de Ford
En 1937 la maison Perzel est appelée à fêter la 25millionnième Ford produite. Henry Ford lui-même l’a sélectionnée. Les pièces doivent être réalisées à partir d’éléments mécaniques extraits du catalogue de pièces détachées de la marque. Mais la maison parisienne n’a que 36 heures pour imaginer et soumettre un projet, et Jean Perzel est absent. Seul aux commandes, François Raidt, qui n’a que 18 ans, ne baisse pas les bras. Travaillant jour et nuit, il va réaliser 21 propositions, qui seront toutes retenues ! Bon sang ne saurait mentir… Une quinzaine d’années plus tard, en 1951, Jean Perzel confiera sereinement la direction de l’entreprise à François, qui la transmettra lui-même en 1994 à son fils Olivier, qu’il a lui-même formé et se trouve aujourd’hui encore à ce poste.
Un douzaine d’artisans perpétue le savoir-faire séculaire des maîtres-verriers.
Contre toute attente, les pièces Perzel restent de prix accessibles : « Notre politique de vente directe à nos ateliers d’art, de produits haut de gamme faits avec amour et passion, nous permet de rester abordables même si nous sommes considérés comme la Rolls Royce du luminaire, précise Olivier Raidt : on commence à 500 euros pour une pièce d’orfèvrerie signée et garantie à vie, dont les enfants et arrière-petits-enfants des acheteurs hériteront. Il y a bien sûr des pièces nécessitant de nombreuses heures de travail, qui coûtent plus cher, mais chez nous une belle lampe ou une belle applique coûtent dans les 1000 euros ».
Une Rolls Royce abordable
« D’ailleurs, nos clients sont nos ambassadeurs, précise-t-il encore : ils sont fiers d’avoir des objets ayant nécessité beaucoup d’heure de travail – en moyenne plus de 40 heures pour une pièce, 150 pour certaines –, fiers d’avoir des pièces que tout le monde n’a pas, qui ont une histoire et sont d’une fabrication française d’orfèvrerie. Sans parler de la qualité d’éclairage ! » De fait, même si la maison n’a qu’un point de vente, sa clientèle, constituée et elle aussi pérennisée au fil des années, est internationale : française pour partie, elle est aussi largement américaine, mais également orientale, asiatique, sud-américaine…
Souvent copié mais jamais égalé, et comme indifférent aux modes qui passent et trépassent, Perzel continue de proposer un style intemporel reposant sur une approche technique de son métier et sur son expression artisanale au meilleur sens du terme. Une formule plus que jamais promise au succès en cette période chahutée.
L’éclairage sophistiqué des lampes Perzel vise à mettre en valeur les intérieurs, pas les produits eux-mêmes.
Showroom
3 Rue de la Cité Universitaire 75014 Paris
Tél.: 01 45 88 77 24
www.perzel.com