Comment Focal fabrique la meilleure enceinte du monde
« A ma sortie de SUPELEC, je suis parti enseigner durant deux ans à l’université de Caracas afin de faire le point et de me donner le recul suffisant pour mettre mon avenir en perspective. La voie royale semblait toute tracée pour le jeune ingénieur en électronique que j’étais, dans un de ces grands groupes français qui fabriquent des carrières brillantes et stéréotypées. J’ai finalement choisi la haute fidélité, ma passion de toujours, et pris le maquis en postulant chez Audax, le plus grand fabricant de haut-parleurs français, un généraliste produisant essentiellement pour les radios et les téléviseurs. A cette époque et dans notre univers, on voyait peu d’ingénieurs, peu d’instruments de mesure, peu de labos dignes de ce nom, et dans ce monde d’artistes, souvent talentueux mais techniquement désordonnés, ingénieurs du son et pseudo-techniciens se contentaient d’assembler plus qu’ils ne fabriquaient. Première chance de ma vie professionnelle : je fus l’artisan de ce qu’on n’appelait pas encore la diversification chez Audax, en ouvrant un labo de R&D et en ouvrant les voies royales de la haute fidélité : les haut-parleurs Audax équipèrent ainsi la plupart des marques de haut de gamme. Et puis las de servir les autres avec mes haut-parleurs, je finis par créer ma propre entreprise et mis au monde la petite enceinte « DB 13 » sous la marque JMLab, qui occasionna en effet notre première rencontre.
1979–2010 : en trente ans et à l’inverse de Cendrillon aux douze coups coup de minuit, nous voici devant l’aboutissement : la Grande Utopia, La meilleure enceinte acoustique du monde. Quelle fulgurante ascension !
Deuxième chance décisive : mon père, industriel stéphanois, m’a proposé d’installer ma toute petite production dans son usine. Ce fut le point de départ de la phase industrielle. Je créais, fabriquais et vendais mes haut-parleurs Focal à de multiples constructeurs de par le monde, tout en développant ma propre marque d’enceintes JMLab. Aujourd’hui, avec 200 personnes et 33 M€ de CA, nous avons un outil de production ultime et je n’ai fait que renforcer ce qui fut notre atout : un département R&D fort de 15 ingénieurs électroniciens et acousticiens, avec laboratoire et chambre sourde. Jusqu’en 2002 les marques Focal et JMLab ont suivi leurs chemins parallèles, mais depuis cette date tous nos produits ont été rassemblés sous la seule marque Focal. C’est plus simple et plus fédérateur. Ajoutons à cela un positionnement délibéré sur le créneau du haut de gamme, quelle que soit la catégorie de prix et quel que soit le segment (Home, Car, Pro). De la Grande Utopia, référence absolue dans l’univers de la haute fidélité d’exception, à 130.000 euros, à la Focal XS destinée à l’environnement Mac-iPhone à 500 euros, le rapport est le même, parce que 500 euros c’est cher, comparé à un ordinateur de moins de 1000 euros. Mais ça fait vraiment la différence. Je n’insisterai jamais assez sur ce qui conduit notre philosophie : fasciner, faire rêver ; être, dans notre domaine, les représentants ultimes du luxe Made in France.
Comment est né le projet Grande Utopia ?
Nous avions besoin d’une enceinte parfaite pour nos tests d’écoute en laboratoire, indépendamment de toute notion de coût. Il fallait une référence absolue de nature à pouvoir disposer d’un repère. A l’occasion de la visite d’un de nos distributeurs du Sud-Est asiatique, après une écoute dans notre auditorium, il nous indiqua qu’il était parfaitement capable de vendre ce type de produit, et qu’il fallait lui donner une finition à la hauteur du son. Le « monstre » de laboratoire, dont la forme a été dessinée par la technologie, est alors passé par toutes les étapes d’une production d’une rigueur extrême, tout comme on fabrique le meilleur piano ou la plus belle automobile. Nous avons été les premiers à travailler le béryllium pour fabriquer le tweeter le plus abouti, et chaque pièce d’ébénisterie passe des heures entre des mains expertes qui poncent le moindre détail au micron près. Quant aux multiples couches de laque, elles n’ont rien à envier à celles des meilleures marques de piano.
Pourquoi ce dessin en courbe ?
Au stade de la recherche fondamentale, il s’agissait de placer l’auditeur au milieu de l’orchestre. Il fallait donc que l’enceinte « enveloppe » l’auditeur en le dominant, et la courbe selon laquelle sont disposés les différents caissons de haut-parleurs permet la focalisation du son (d’où est issu le nom de Focal) sur l’auditeur.
C’est impressionnant… monstrueux ?
Oui, mais un monstre haptonomique, qui se penche vers vous pour vous envelopper chaleureusement dans l’orchestre ! Nous avons produit 600 pièces, dont 95% pour l’export, essentiellement aux USA, en Russie, en Allemagne, en Chine et à Taiwan.
Pas une paire au Japon ?
Les appartements sont trop petits. En revanche, ses petites soeurs, Scala (20 000 euros, ndlr) et Diablo (10 000 euros), oui.
Je suppose que, même si la Grande Utopia constitue votre navire amiral, l’essentiel de la production s’étend sur une gamme très vaste…
En effet, mais toujours sur le haut de gamme de chacun des segments. Notre engagement, notre réputation, reste toujours d’être le meilleur et le plus abouti technologiquement dans chaque gamme. Notre gamme de prix s’étend de 500 euros à 130.000 euros la paire.Dans le domaine des petites enceintes par exemple, nous avons conçu Dôme, qui est une petite enceinte sphérique de haut de gamme, entièrement fabriquée à Saint Etienne, dans une boule d’aluminium équipée de nos dernières technologies en matière de haut-parleurs. Ceci conduit à un système d’enceintes à 1000 euros en hifi (2 enceintes et un caisson de grave) et 1600 euros en home cinéma, avec 5 enceintes et un caisson de grave. Parce qu’il faut savoir que nous sommes présents sur trois segments : Le Home avec la stéréo, le home-cinéma et les produits multimédia (Mac, PC, iPhone, etc…), le Pro pour les studios et le Car pour les équipements automobiles, là aussi du très haut de gamme.
Quoi de neuf pour demain ?
Notre projet Bird, dont l’originalité réside d’une part dans un système 2.1 amplifié (2 petites enceintes et l’ampli incluant le haut-parleur de grave) et surtout dans un système de « dongles », ou clés USB, lui permettant de communiquer avec les sources numériques, ordinateur, iPhone, iPod, iPad, par liaison radio sans fil.
Comme Wifi ou Bluetooth ?
Oui, mais nous utilisons la liaison sans fil Kleer, qui fonctionne totalement sans compression et sans interférences, donc avec la qualité du master original, ce qui n’est pas le cas du Wifi ou du Bluetooth.
Comment voyez-vous l’avenir ?
En tant que fabricant d’enceintes et de haut-parleurs, je suis serein. A ce jour aucune nouvelle technologie ne pointe dans le domaine des transducteurs : c’est toujours mécanique, avec un piston qui déplace des masses d’air pour transformer un signal électrique en son. En revanche, les autres éléments vont vers l’extinction. On voit déjà la disparition des sources (lecteurs CD et DVD, tuners, etc…), la musique devenant disponible en téléchargement avec une qualité égale ou supérieure à celle des supports matériels actuels. L’étape suivante sera la disparition des électroniques séparées, et notamment des amplis puisqu’en en intégrant ceux-ci aux enceintes, on gagne sur tous les tableaux : meilleure adaptation ampli/ enceintes, circuits plus courts, disparition des câbles de liaison, et gain de place énorme.
En tant que producteur des meilleures enceintes du monde, et parmi les plus chères, vous devez bien avoir quelques anecdotes à nous confier ?
La première qui me vient à l’esprit est celle d’un amateur de Santa Fé qui a commandé cinq Grande Utopia pour sa salle de cinéma de 6 x 12 m creusée sous sa piscine. Comme il était dérangé par les petits reflets de l’image sur la laque parfaite des enceintes, nous avons dû les faire traiter avec un revêtement noir mat, comme un avion furtif. Budget de la salle de cinéma : quelques millions de dollars… Détail : ladite salle ne comporte que 2 fauteuils… Autre anecdote, relative au marché Russe : ayant vendu quelques paires à de riches magnats, une très forte demande s’était faite, dans une course où chacun ne pouvait souffrir d’avoir moins bien que l’autre. Puis la demande s’est brutalement effondrée. Des règlements de comptes maffieux laissaient des veuves éplorées qui n’eurent d’autre issue que de se débarrasser des acquisitions somptuaires de leurs défunts maris. D’où la naissance d’un marché parallèle de l’occasion au détriment du neuf.
La visite de l’usine démontre que tout est fabriqué en interne, jusqu’au moindre détail, de la transformation du béryllium en atmosphère de laboratoire au ponçage manuel des ébénisteries, à l’atelier de peinture et de laque… Quel raffinement, quelle quête d’absolu !
C’est une condition essentielle de la perfection : tout contrôler ! Jusqu’au gainage cuir de la manivelle de réglage de la Grande Utopia, que nous sous-traitons, comble du raffinement, à Chapal !