Classique with a twist
Le retour en force des valeurs sûres, tant en terme de style que de qualité, est un phénomène classique en période de crise. Alors que le pays inquiet se replie vers l’épargne et minimise sa consommation de biens non essentiels, on se détourne des créations les plus tendance – par essence éphémères – pour ne retenir que les plus classiques, par définition plus durables et par conséquent rassurantes. Exit donc (qui s’en plaindra ?) les créations improbables des couturiers avant-gardistes : l’heure est au classique, mâtiné comme il se doit de touches contemporaines.
La nouvelle tendance : tenues déstructurées et élégance froissée
Ne nous méprenons pas sur le terme « classique » : la tendance n’est pas au retour du costume pépère des années 80 et 90 genre complet veston ou grande mesure passéiste, mais à l’abandon des créations branchouilles des dix dernières années, type Hedi Slimane, Kris Van Assche et consorts. Exit le costume noir de coupe androgyne en matières stretch mélangées et autres textiles techniques, et retour à une iconographie cinématographique des années 30 à 50, célébrant des icônes comme Fred Astaire, Cary Grant ou David Niven. A la différence du précédent, ce mouvement de fond ne vient pas des studios de style mais de la rue, donc des consommateurs, parce qu’il s’agit d’une mode portable, immuable et intemporelle. Ralph Lauren l’a parfaitement compris, qui effectue un net retour sur le genre avec ses lignes black, blue et purple labels. Avec elles, le couturier américain revient à ce qu’il faisait à ses débuts : vestes 2 boutons, rayures tennis et crans pointus. La mode est un perpétuel recommencement.
La seconde grande caractéristique de ce retour du classique est dans sa structure, le costume s’affichant aujourd’hui dépareillé. Une fantaisie quasiment impossible avec la rayure tennis qui marquait jusqu’ici le genre de son empreinte. Son retrait face au Prince de Galles et, dans sa foulée, aux pieds de poule et de coq, nous renvoie à une tendance forte dans l’Amérique des années 40 : celle des associations veste unie et pantalon à carreaux, ou vice-versa. Les plus audacieux se risquaient même aux mélanges de carreaux, par exemple veste Prince de Galles et pantalon à carreaux fenêtres, que les élégants européens osaient durant la décennie précédente.
Ces références nous amènent aujourd’hui à un classique plus typé que celui qui prévalait ces dernières années : les vestes sont souvent à deux boutons (voire un seul), les tailles cintrées, les poitrines galbées, les crans pointus et les poches inclinées. Les pantalons toujours cigarette, assez étroits et un peu courts.
Cet appel à des références passées permet aux créateurs de mode de disposer d’une abondante documentation, principalement dans l’univers cinématographique qui constitue depuis toujours leur première source d’inspiration. On retrouve ainsi dans ce classique revisité l’ombre des grands acteurs hollywoodiens et des films cultes, agrémentée d’une touche de décontraction nonchalante et vintage : les silhouettes se font plus floues, un peu froissées, reprenant à leur compte les grands traits de cette ambiance coloniale faite de lins et de cotons lourds et de mélanges de laine (le laine-soie-bambou se distinguant par sa forte froissabilité) qui a elle-même fait les beaux jours du cinéma, et que l’on devine avoir été contraignante pour les vêtements.
Modèle du genre, Steve McQueen n’a jamais été aussi actuel qu’aujourd’hui, car à la notable exception de l’Affaire Thomas Crown, l’homme était à la vie comme à la scène adepte d’un style très casual, lui aussi un peu flou et souvent froissé. Jusqu’aux chaussures, qui font la part belle aux veaux-velours cirés, abîmés et vieillis, tout concourt à une élégance négligée en apparence, alors qu’elle ne l’est pas du tout – on repense à cette publicité Peter Stuyvesant Travel des années 80 qui mettait en scène un homme sortant d’un tortillard sud-américain vêtu d’un costume de lin blanc, complètement froissé mais rayonnant d’une allure folle. Notre classique revisité est donc finalement moins classique qu’il y paraît au premier abord, et repose sur le talent de celui qui le porte à jouer des apparences. Une démarche qui nous renvoie directement aux grands dandys XIXème, qui consacraient une longue préparation quotidienne à se donner une allure improvisée.
L’élégance au cinéma
Si personne ne conteste aujourd’hui aux stars internationales leur rôle de fashion makers, il est intéressant de noter que les vedettes les plus en vue ré-adoptent massivement le costume cravate : ainsi Tom Cruise, Brad Pitt, George Clooney, le très dandy Adrian Brody et même David Beckham – sans doute l’un des sportifs les mieux habillés (une inclination qui présente l’avantage de cacher ses multiples tatouages) adoptent-ils désormais le plus souvent des tenues élégantes et structurées, démodant d’un coup le streetwear des années passées.
Aujourd’hui comme hier, le cinéma a toujours influé sur les grandes lignes de la mode masculine, et si les parangons d’élégance qui ont illuminé les écrans restent décennie après décennie des références absolues pour tous ceux qui se soucient de leur apparence, interrogés quant à leurs films de référence en la matière, ces derniers citent tous les mêmes œuvres, qui ont formaté leur goût pour le charme discret de la distinction.
A commencer par les incontournables Gatsby le magnifique, Mort sur le Nil, Sur la route de Nairobi et Out of Africa. Quatre sommets du raffinement vestimentaire masculin. Le premier lança un jeune couturier inconnu du nom de Ralph Lauren, qui habilla Robert Redford d’inoubliables costumes trois pièces bleu ciel, blancs et même roses. Il faut dire que le héros de Scott Fitzgerald se prête particulièrement bien à l’exercice, le dialogue de la scène du dressing-room (« J’ai une personne à Londres qui m’achète tous mes vêtements. Je m’en fais envoyer un choix au début de chaque saison ») explicitant l’élégance du personnage et celle de son vestiaire.
Au-delà de l’adaptation du roman d’Agatha Christie et d’une belle distribution, Mort sur le Nil se distingue surtout par le travail extraordinaire du chef costumier Anthony Powell, qui fut d’ailleurs récompensé d’un Oscar de la meilleure création de costumes pour le film. Les tenues de David Niven et Peter Ustinov, notamment, sont absolument extraordinaires, jusqu’au choix des chaussures et des boutons de manchettes.
Sur la route de Nairobi nous convie pour sa part à retrouver l’élégance des membres de la colonie anglaise du Kenya au début des années 40. Au milieu de l’abondance de scènes d’une grande élégance, quelquefois sulfureusement décalée, notons en particulier Charles Dance et Joss Ackland, fabuleux de british style et du flegme à l’avenant, et un John Hurt étonnant d’une élégance casual avant l’heure.
Si ce sont le film, le réalisateur et le second rôle (distinction méritée pour Klaus Maria Brandauer), qui furent primés pour Out of Africa, les costumes bénéficient ici aussi d’un travail de recherche et d’un souci d’authenticité remarquables. Il convient également de noter que l’action des quatre films les plus souvent cités pour leur mise en scène de l’élégance vestimentaire masculine, se déroule entre les années 10 (Out of Africa) et 40 (Sur la route de Nairobi) : une période où une tenue débraillée était inconcevable pour tous ceux qui avaient un rang à tenir.
Plus près de nous, l’élégance a toujours été mise en scène sur grand écran, et l’on pense aux films d’Alfred Hitchcock (et notamment La mort aux trousses, représentatif des tenues de la fin des années 50) et à toute la saga des James Bond, à la notable exception des films de la période Roger Moore (1973-1985), qui ont l’excuse d’avoir été tournés durant les années les plus affligeantes du siècle question mode. Pour le reste, dès le premier film (Dr. No, 1962) Sean Connery sera toujours impeccablement vêtu (la production l’habillait à Saville Raw, cela ne s’invente pas…), de même que Pierce Brosnan, qui inaugura une longue collaboration de la production avec Brioni, et aujourd’hui Daniel Craig (habillé par Brioni pour Casino Royale, puis par Tom Ford pour Quantum of Solace).
Au fil des années, la mode a suivi l’évolution sociologique des époques, et le cinéma lui a toujours servi de tremplin. Ainsi les tenues golden boy de Michael Douglas dans Wall Street, au summum des années fric : chemises à grosses rayures, cravate et bretelles flashy… Le même Michael Douglas/Gordon Gekko prépare son retour (Wall Street 2, en salles le 29 septembre prochain) et y porte toujours beau (le gilet est désormais à revers, la cravate s’est faite plus discrète et la Cartier en or jaune a cédé la place à une Reverso acier plus dans l’air du temps). Lorsque les temps sont venus aux hautes technologies, Men in Black et Matrix ont donné le ton d’une mode tout en noir et vestes ajustées, qui a été d’autant plus massivement reprise à son compte par le public que les films ciblaient une clientèle jeune, toujours prompte à adopter les tendances.
Ces dernières années ont vu l’émergence d’un casual chic destiné à s’affranchir du laisser-aller du streetwear sans s’imposer la formalité du style classique. Nicolas Cage illustre ici parfaitement la dualité de la mode homme : habituellement abonné à un style très street, on le découvre d’une élégance très east coast en costume de seersucker crème/chemise blanche/cravate bleu ciel/bucks dans Benjamin Gates 2. Une tenue qui semble tout droit sortie de chez Lauren ou Crémieux.
A la télévision, la dernière série à la mode (sans jeu de mots) nous renvoie à l’Amérique du début des années 60 : Mad Men se déroule à New York entre 1959 (saison 1, disponible en DVD) et 1963 (saison 3, diffusion prévue sur Canal cette année). Objet d’un buzz extraordinaire aux Etats-Unis, la série a donné lieu à une quantité de blogs commentant les créations de la costumière Janie Bryant, elle aussi distinguée pour un travail qui confine à la recherche universitaire (Meilleure création de costumes pour une série TV, 2009). A la tête d’une armée de neuf assistants, elle traque le plus infime détail pour ne pas se faire toper par les millions de maddicts (contraction de Mad Men addicts, en clair les accros de la série) qui décortiquent chacun de ses looks à la diffusion de chaque nouvel épisode. Résultat des courses : une série totalement inattendue, à contre-courant du politiquement correct (préjugés sexistes, comportement hommes/femmes au bureau, sectarisme, alcoolisme, tabagisme : un catalogue à la Prévert) encensée par la presse d’opinion (Time, New York Times, San Francisco Chronicle, Chicago Tribune, etc…) et nombre d’anciens publicitaires, qui y voient une reconstitution précise et réaliste de ce qu’ils ont connu.
Pour fêter l’arrivée de la série sur son antenne, la chaîne Série Club a diffusé un documentaire intitulé Mad Men : où sont les hommes ? Débordant le cadre de la série pour proposer une réflexion sur l’évolution de l’identité masculine de 1960 à nos jours. La troisième saison de la série s’annonce comme celle de tous les succès : les 4,5 millions de téléspectateurs du premier épisode ont amené la chaîne AMC à commander sans attendre un quatrième millésime, 16 nominations aux prochains Emmy Awards lui promettent de nouvelles récompenses, et même Barbie s’est entichée de ses héros et lance une série collector à leur effigie.