Cifonelli décline l’exception en prêt-à-porter
L’ouverture du premier flagship store Cifonelli en fin d’année dernière a constitué un événement pour les élégants du monde entier bien au-delà de la seule clientèle française. La réputation du maître tailleur parisien dépasse en effet largement nos frontières depuis plusieurs décennies, mais l’accès aux salons de la rue Marbeuf restait jusqu’à ce jour un privilège réservé à une minorité de happy fews, et le lancement du premier véritable prêt-à-porter Cifonelli nous commandait de revenir sur l’histoire et les spécificités de cette maison parmi les plus belles du monde.
C’est aussi cette pensée qui interpelle le visiteur qui grimpe le demi-étage pour entrer dans le saint des saints. Une double porte de bois vernis et nous voici dans le hall d’entrée, avec en perspective les salons et, au-delà, les hautes fenêtres donnant sur la rue Marbeuf. Une architecture bourgeoise, typiquement haussmannienne, qui est le cadre de la maison depuis 1936. Ici l’atmosphère échappe totalement à l’agitation du monde extérieur. Calme, silence feutré, infiniment reposant. On se dit immanquablement qu’il doit faire bon travailler ici. Mais au-delà de l’humain et de la passion, la raison reprend ses droits et l’on se rappelle qu’ici sont réalisés des costumes parmi les plus beaux et les plus réputés du monde. Et qu’avant d’entrer dans le vif du propos qui nous amène ici, un retour sur l’histoire de la maison n’est pas inutile.
Comme c’est le cas de la plupart des grands maîtres tailleurs, l’histoire de Cifonelli est d’abord celle d’un héritage familial scrupuleusement transmis de génération en génération. Une transmission qui suppose l’invalidation de la fameuse idée toute faite qu’après le travail du fondateur d’une fortune et celui de la génération suivante, qui a amplifié le premier, ladite fortune est habituellement dilapidée à partir de la troisième génération, trop occupée à jouir de celle-ci pour songer à s’en montrer digne en la faisant fructifier. Dans le cas des maisons comme Cifonelli, chaque génération se doit d’apporter sa pierre à l’édifice, de faire progresser la tradition familiale. Cela dure ici depuis 1880. C’est cette année-là que Giuseppe Cifonelli ouvre son premier atelier à Rome. Ce faisant, il révèle déjà une vision progressiste de l’exercice de son métier, puisqu’à l’époque les tailleurs de la Ville Eternelle exercent dans la rue, sans officine. Les premiers clients romains prennent ainsi l’habitude de se rendre chez leur tailleur, une première.
Mais c’est avec le fils de Giuseppe, Arturo, que la maison prend de l’envergure. Au tournant du siècle, son père l’envoie se former académiquement à l’art de la coupe à la respectable Minister’s Cutting Academy de Londres. Arturo en sortira diplômé, et son diplôme est aujourd’hui encore précieusement conservé rue Marbeuf. Avec lui, Cifonelli commence à dessiner son style, habile mélange de savoir-faire et de fantaisie italiens et de rigueur britannique. En 1926 le maître tailleur qu’il est devenu traverse les Alpes et vient s’installer dans un Paris en pleines Années folles et au faîte de son rayonnement. Rue de Courcelles d’abord, puis dix ans plus tard en plein triangle d’or, rue Marbeuf, à l’emplacement que la maison occupe encore aujourd’hui.
S’il revient à Giuseppe le mérite d’avoir fondé la maison, c’est à Arturo que les exégètes de celle-ci doivent attribuer le début de sa splendeur. Armé de sa culture italienne enrichie en Angleterre, celui-ci synthétise en effet le meilleur des deux écoles, auquel il ajoute bien vite, en bon Parisien d’adoption, la culture française. Les souvenirs de ceux qui l’ont connu évoquent un homme exigeant, intransigeant et passionné, qui était à la fois adulé et craint par ses ouvriers. Parce que il signore Arturo avait le savoir, le savoir-faire et l’autorité. Parce qu’il maîtrisait suffisamment le métier lui-même pour montrer en réalisant ce qu’il voulait par lui-même. Parce qu’il savait. Cela s’appelle l’exemplarité et c’est une des clés du respect. La légende veut qu’il fut capable, examinant un costume terminé avant sa livraison au client, de le fendre d’un coup de ciseau en demandant à ce qu’il soit entièrement recommencé. C’est sous son règne que la maison se constitue en une trentaine d’années une clientèle enviable de connaisseurs exigeants et de grands élégants. Et c’est à cette époque que le 31 rue Marbeuf devient l’une des adresses de prédilection des célébrités de la politique, des arts et du spectacle.
Lorsqu’il disparaît en 1972, son fils Adriano prend les rênes de la maison. Lui aussi est allé à bonne école. C’est sous son administration que la réputation de Cifonelli déborde le cercle des élégants français : à côté d’Omar Sharif, qui fut un fidèle parmi les fidèles, et de Lino Ventura, avec qui s’établit un lien si amical que l’acteur invitait régulièrement son tailleur à déjeuner en famille autour du plat de pasta qu’il ne laissait à personne le soin de préparer, on croise bientôt dans les salons de la rue Marbeuf un Marcello Mastroianni au sommet de sa carrière, des Cary Grant et Fred Astaire vieillissants mais toujours aussi élégants, un Charlton Eston dont la carrure nécessite les bons soins d’un tailleur virtuose… A partir de 1981, la maison peut également s’enorgueillir d’habiller le président en exercice François Mitterrand (dont la collection de 59 costumes Cifonelli – dont deux queues de pie – réalisés entre 1981 et 1990 sera vendue aux enchères à Drouot le 29 janvier 2008). C’est également à cette époque que la maison se voit confier la réalisation des costumes grande mesure Hermès, griffés Hermès by Cifonelli, une collaboration qui se prolongera jusqu’en 2007.
Comme dans toute bonne entreprise italienne à succès qui se respecte, le Maestro réunit autour de lui sa sœur, ses cousins et ultérieurement les enfants des uns et des autres : ainsi se perpétue l’héritage et se construit une dynastie. Plus prosaïquement, ce mode de transmission, qui fait une large part à l’affect, à la confiance et à l’engagement inconditionnel à la vie de l’entreprise, assure également la transmission des savoir-faire académiques et confidentiels. Ainsi lorsqu’au début des années 90 Adriano est victime d’un grave accident de voiture, la maison Cifonelli continue-t-elle de livrer et de faire le bonheur de ses clients. C’est aussi la période à laquelle Lorenzo et Massimo rejoignent la maison et commencent à y faire leurs classes. Concrètement, cela signifie s’essayer à tous les postes du métier, de la prise de mesures à l’essayage en passant par la coupe, le montage et toutes les opérations que requiert la fabrication d’un costume. « Scolarité » d’autant plus pointue lorsqu’il s’agit d’assimiler et apprendre à reproduire et interpréter le montage particulier de l’épaule ou le travail unique des revers de gilet croisé : on se situe ici au niveau grandes écoles de la spécialité…
Aussi est-ce tout naturellement que lorsque deux cousins d’Adriano prennent leur retraite, Lorenzo et Massimo, entrés dans l’entreprise depuis une dizaine d’années, prennent leur suite. Représentants de la quatrième génération, les fils d’Adriano (Lorenzo) et de sa sœur (Massimo) ont été élevés ensemble, ont grandi ensemble, sont entrés ensemble dans l’entreprise où ils ont évolué ensemble : à la différence de l’organisation des trois générations précédentes, ils forment un véritable binôme qui va permettre à la maison de se développer à l’international, l’un restant toujours à l’atelier lorsque l’autre va visiter les clients à l’étranger. C’est un avantage non négligeable, qu’ils optimisent en installant leur plan de travail à l’atelier l’un en face de l’autre : « Cela nous permet d’avoir deux paires d’yeux pour tout ».
Comme leurs père et grand-père avant eux, ils apportent le regard de leur jeunesse et de leur époque, d’autant plus sensible pour ce qui les concerne que cette dernière est caractérisée par une évolution du métier de tailleur entre tradition et modernité. Comme on a vu dans le courant des années passées Tommy Nutter puis Timothy Everest chambouler le classicisme de Savile Row, Lorenzo et Massimo Cifonelli apportent leur pierre à l’édifice familial et rajeunissent l’image du tailleur parisien. Forts du savoir-faire transmis par les générations précédentes, ils n’hésitent pas à explorer de nouvelles voies, essayent de nouveaux tissus, inaugurent de nouvelles coupes… et imposent petit à petit l’idée d’une « couture contemporaine » pour l’homme, que l’on peut comparer à la haute couture féminine parisienne portée au pinacle par la presse internationale dès les années 50. Tailleur des sommités de la politique et des arts et lettre sous Arturo, puis des vedettes du show business (et toujours de celles de la politique et des arts et lettres) sous Adriano, Cifonelli devient sous Lorenzo et Massimo celui des grands élégants de toute la planète, et si les salons du premier étage de la rue Marbeuf sont toujours régulièrement fréquentés par les célébrités, on y croise aussi désormais des connaisseurs venus de Suisse, d’Italie, d’Amérique, de Chine, du Japon et des autres pays où la culture tailleur signifie quelque chose. Et ces clients ne sont plus tous au minimum cinquantenaires, comme ce fut longtemps le cas : on remarque désormais aussi nombre de trentas et quadras parmi eux.
Un style reconnaissable entre tous
Dans une interview accordée au New York Times, Karl Lagerfeld a dit un jour qu’il reconnaissait une épaule Cifonelli à cent mètres. Cette épaule très marquée et valorisante pour la silhouette est il est vrai la signature de la maison. Tout comme ses grands revers, son gilet croisé et une foule de petits détails chers au cœur des amateurs avertis. Depuis Arturo, tailleur italien formé en Angleterre et installé à Paris, le style de la maison a toujours été une synthèse inspirée des écoles italienne, britannique et française. A la première il emprunte sa ligne, sa légèreté et sa souplesse, à la seconde ses réalisations très structurées (et, pour l’anecdote : son travail de mesure en pouces) et à la troisième son souci du détail et la qualité de ses finitions : boutonnières, surpiqûres et autres mouches.
L’élément le plus distinctif de la Cifonelli’s touch est sa fameuse épaule, d’apparence très paddée. Elle doit son allure valorisante à sa technique de montage particulière, ce dernier étant effectué nettement vers l’avant, ce qui affine la silhouette et participe, avec l’emmanchure haute, de la liberté de mouvement tant appréciée des fidèles de la maison. Dans la pratique, cette technique de montage constitue un peu la botte secrète de la famille : transmise de père en fils, on en sait juste que la manche est entrée mouillée au fer chaud et le travail effectué plus sur l’avant que le prévoit l’académie. On n’en saura pas plus. Quoi qu’il en soit le résultat est là, indiscutable, indiscuté, magistral et… identifiable à cent mètres !
Le style Cifo ne se circonscrit cependant pas à sa seule épaule : on citera aussi la petite poitrine, la grande ouverture des vestes et des gilets, les revers largement dimensionnés, les crans de ces derniers positionnés assez haut… Au nombre des finitions, qui sont bien plus que des points de détail, on citera les dessous de revers montés en biais, les boutonnières réalisées avec du fil milanais roulé, les mouches arrêtant les fentes de bas de pantalon, la petite tirette élastique reliant le gilet au pantalon… autant de détails témoignant du raffinement et de l’exigence de la maison et justifiant l’admiration des connaisseurs, qui constituent l’héritage dont Lorenzo et Massimo deviennent les dépositaires. Sur ces bases, les deux cousins vont rajeunir l’image de la maison en osant de nouvelles coupes, de nouvelles couleurs, et surtout de nouvelles matières. La plus spectaculaire entre toutes est certainement le Yak, une laine épaisse évoquant le tweed mais beaucoup plus souple et légère que celui-ci, qui donne aux vestes une dimension sport-chic unique en son genre. Sans parler de l’exclusivité, puisqu’aucune griffe de prêt-à-porter ne pratique cette laine venue de Mongolie. La maison se fournit auprès d’une communauté de nomades qui tisse la fibre à la demande pour la maison parisienne. Le processus impose une certaine attente mais garantit au client la jouissance d’une veste unique au monde. Mais elle n’est pas seule : ainsi la veste Baïkal en laine bouillie a-t-elle il y a quelques années défrayé la chronique dans le Landerneau des tailleurs, celle de jersey commandée par le célèbre sommelier Eric Beaumard (lire encadré) suggéré quelques répliques, le pantalon yachting à ceinture de corde enchanté les plaisanciers… sans parler des gilets de cuir ou des manteaux originaux, réalisés dans toutes les matières imaginables et selon les souhaits des clients.
Occupant tout l’étage de l’immeuble de la rue Marbeuf, les ateliers Cifonelli emploient une quarantaine d’ouvriers, ce qui en fait le plus important atelier mesure totalement intégré à Paris. Coupeurs, patronniers, monteurs, pantaloniers et pantalonières, giletières, spécialistes des boutonnières : travaillant dans une demi-douzaine de pièces dédiées chacune à un domaine particulier de la fabrication, et reliées entre elles par un dédale d’étroits couloirs caractéristique des immeubles bourgeois du XIXème siècle, l’équipe aura besoin de 80 heures de travail pour réaliser un costume. Que Lorenzo et Massimo confronteront ensuite au verdict de l’essayage avant que soient réalisées d’éventuelles retouches et que le costume soit livré à son heureux propriétaire. Lequel pourra dès lors croiser Karl Lagerfeld dans la rue et afficher sa bonne fortune à cent mètres plus sûrement qu’avec une étiquette cousue sur la poitrine.
L’événement du prêt-à-porter
A ce niveau d’excellence et de réputation, on comprend que le lancement d’une collection prêt-à-porter interroge les amateurs. Qui conçoit les pièces, où sont-elles fabriquées, avec quels tissus, avec quel niveau d’exigence technique par rapport à la mesure et, si elles sont achetées à une usine spécialisée : quelle est la part de création et de contrôle de la maison dans le produit fini ? Avec en filigrane la question qui fâche : Cifonelli se contente-t-il de mettre son étiquette sur des produits industriels ? Rassurons les plus anxieux sans attendre : c’est non. Non, la maison ne limite pas son input à la couture d’une étiquette, ni même au seul dessin de ses modèles, et mieux que cela : elle a créé ex nihilo l’usine qui fabrique les produits qui portent son nom. Lorenzo Cifonelli a répondu sans détour à toutes nos questions.
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Formation interne
Dandy : Massimo et toi êtes nés et avez grandi dans le métier. Comment y avez-vous été formés ?
Lorenzo Cifonelli : Ce métier s’apprend d’abord avec les anciens, et continue ensuite de s’apprendre tous les jours, en travaillant soi-même : c’est l’expérience ; parce qu’on peut avoir le meilleur professeur de natation, à un moment donné il faut se jeter dans le grand bain et commencer à nager. C’est en faisant que l’on apprend, non en regardant.
Il faut des bases mais ce n’est pas de la théorie. Nous avons eu de bons professeurs avec mon père et mon oncle, et après c’est en travaillant et en étant confrontés aux problèmes que l’on avance et que l’on évolue. Mon père m’a appris les choses les plus importantes et les plus futiles. Il me disait : « Ce qui est important ce sont les lignes. Oublie la coupe, la silhouette, les mesures : pense à la ligne, essaye de visualiser le client et oublie le reste ».
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Dandy : Il y a déjà eu un prêt-à-porter Cifonelli. Vous le vendiez dans votre boutique de la rue Marbeuf. Mais il s’agissait de pièces que vous achetiez à une usine spécialisée dans les produits hauts de gamme, et qui étaient étiquetées à votre nom. Lorenzo Cifonelli : « On le pratiquait à faible dose à la boutique, pour donner une dimension plus large à Cifonelli, parce que tout le monde ne peut pas se permettre de la mesure. La boutique était là depuis des années mais nous n’y faisions pas de collections. Nous faisions comme la plupart des autres boutiques : nous sélectionnions, achetions chez les meilleurs fabricants italiens, faisions adapter à notre style, avec nos revers et caetera, et nous vendions, avec notre nom dessus, notre revers, mais il n’y avait pas de création.
Nous travaillons ici Massimo et moi depuis vingt ans, durant ce temps nous avons évolué dans la mesure, nous y avons fait ce qu’il fallait pour le nom de Cifonelli, et aujourd’hui nous voulions voir une évolution dans le prêt-à-porter.
Nous ne souhaitions pas avoir plus de personnel ni travailler plus, parce que nous travaillons déjà six jours sur sept, quelquefois sept jours sur sept, et on ne peut pas se développer plus que nous le sommes en conservant notre dimension artisanale
(nous avons eu des demandes de grands groupes mais que nous avons toutes refusées parce que nous voulions rester indépendants) : on voulait bien le faire, à notre échelle et avec des gens qui pensent comme nous. C’est-à-dire y aller doucement et trouver les bonnes personnes pour nous accompagner dans ce développement.
Concrètement ?
Concrètement, il nous fallait d’abord un styliste, parce que nous sommes tailleurs et non stylistes. Or il était très compliqué de trouver un styliste qui comprenne la marque.
La force de John Vizzone était qu’il était lui-même client mesure Cifonelli, et qu’il n’avait donc pas besoin qu’on lui explique la marque. Il a été directeur chez Ralph Lauren à New York, où il a réalisé les collections Black et Purple Labels pendant plus de 25 ans, et il maîtrise parfaitement l’identité de la maison. Concrètement, c’est aussi Romain Le Dantec, qui travaillait pour nous en tant que relation presse dans une agence depuis cinq ans, et qui est aujourd’hui intégré. Et puis il fallait bien sûr travailler sur le produit, et là nous avons travaillé, Massimo, John et moi, sur la qualité, l’image, la coupe et les modèles.
La question que tout le monde va se poser concerne la fabrication : qui fabrique le prêt-à-porter Cifonelli, où et selon quels standards de qualité ?
Nous ne voulions pas faire fabriquer par quelqu’un d’autre et nous contenter de mettre notre nom sur les pièces, parce que le problème est qu’à un moment donné cela ne correspond plus, même si on a changé quelques détails par rapport à une pièce existante. Nous avons donc créé un atelier Cifonelli Prêt-à-porter dans la banlieue de Naples, afin de contrôler tout, comme nous le faisons en mesure.
Vous ne faites donc pas fabriquer dans une usine indépendante, mais dans votre propre unité de fabrication ?
C’est cela : dans notre usine. Que nous avons créée et financée. Il était important pour nous que le produit soit un produit Cifonelli, construit par nous de A à Z, et non un produit fabriqué par l’un des bons faiseurs qu’il y a sur le marché.
Comment construit-on un tel atelier ex nihilo ? On sait que plus on monte en gamme, plus les compétences sont rares, et par conséquent recherchées. Ca prend un peu de temps. On travaille avec des gens que l’on connaissait, qui étaient ailleurs et que l’on débauche ; on essaie de réunir les meilleurs. Ce qui n’était pas impensable pour ce qui nous concerne parce que nous n’avions besoin que d’une quinzaine de personnes.
Quid de la collection, des modèles ?
Massimo et moi avons fait tous les patronages, c’était un gros travail, qui nous a demandé du temps. Mais nous partons de fait avec des choses carrées de A à Z : c’est notre produit, fait par nous, on achète les tissus à la source, certains exclusifs, et on essaye de faire une collection cohérente avec une qualité de production à l’avenant, conforme à notre image.
Notre problème est qu’en mesure nous avons une image forte, et si c’était pour abîmer le nom en prêt-à-porter cela ne servait à rien : on n’avait pas besoin de nous pour cela et il y a des maisons qui peuvent investir beaucoup plus que nous, dans le Figaro, le Wall Street Journal et d’autres supports de ce niveau, et on ne peux pas se battre avec ça.
Ni sur la taille des boutiques. Donc, comme pour la mesure, nous jouons tout sur le produit et sur le rapport qualité/prix, sur le style… Et cela demande du temps.
Au bout du compte nous sommes très contents de l’équipe que nous avons réunie autour de nous, d’autres sont en train de nous rejoindre, que l’on connaît depuis longtemps et qui travaillent dans de grandes maisons, certains ont déjà travaillé pour nous et y aiment l’ambiance familiale, entretemps ils ont pris des responsabilités ailleurs et aujourd’hui ils reviennent ici…
A présent que la collection est faite, comment vous répartissez-vous les taches Massimo et toi ? Vous rendez-vous souvent à l’usine ?
Ayant monté l’équipe Prêt-à-porter, nous nous concentrons surtout sur la mesure. Une fois que nous avons fait les patronages et validé les pièces, nous ne sommes pas dans la production tous les jours : on ne nous appelle plus, ça tourne. Mais nous allons l’un et l’autre à l’usine pour contrôler la production, ce qui ne change pas notre façon de travailler puisqu’on travaille depuis toujours en binôme. Et nous avons vraiment une excellente équipe sur place, compétente, expérimentée et toute dévouée à la maison.
Il est aussi important d’écouter les vendeurs, de connaître les réactions des clients, le type de retouches qui est le plus pratiqué… En mesure nous sommes ouverts à tout et nous nous enrichissons chaque jour ; en prêt-à-porter c’est pareil : rien n’est jamais gravé dans le marbre, j’entends tout ce que l’on me dit et ensuite j’infuse.
Quel est l’esprit de Cifonelli Prêt-à-porter ?
Garder l’esprit couture.
C’est ambitieux, mais réaliste dès l’instant où vous vous êtes donné les moyens de disposer de votre propre unité de fabrication. Vous produirez donc désormais deux collections par an, comme les autres marques de prêt-à-porter ?
Tout-à-fait, nous nous sommes insérés dans le calendrier officiel de la chambre syndicale et on défile chaque saison. Le prêt-à-porter, c’est aussi pour vous l’opportunité d’une ouverture sur le monde que la grande mesure n’autorise pas.
Comment abordez-vous votre internationalisation ?
Nous sommes très proches de Barneys, qui est le plus beau department store new-yorkais et qui nous a fait ouvrir aussi à Los Angeles et San Francisco, et veut nous faire ouvrir à Tokyo l’année prochaine. Au Japon nous sommes aussi chez Isetan, qui est le meilleur department store à Tokyo et est aussi très connu, et à Osaka chez Hankyu. »
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La veste Sinclair en jersey : créée pour Eric Beaumard
C’est une rencontre impromptue. Eric Beaumard, vice-champion du monde des sommeliers, maître sommelier de l’hôtel George V tout proche, fait son apparition au cours de notre entretien avec Lorenzo et Massimo Cifonelli. Il vient en client, prendre des nouvelles d’une veste en cours de réalisation. On se connaît depuis plus de dix ans et la conversation s’engage aussitôt sur un ton amical et non professionnel, Lorenzo prenant la peine de préciser « C’est pour Eric que nous avons fait notre fameuse veste en jersey. »
Dandy : Vous avez la première veste jersey ?
Eric Beaumard : Oui, c’était une création. J’ai demandé à Lorenzo de me faire une pièce en jersey.
Pourquoi du jersey ? C’est tout de même une laine insolite en grande mesure !
Eric Beaumard : Je voulais quelque chose d’à la fois très souple et très élégant. Je porte des costumes toute la journée, et quand je sors je veux quelque chose d’élégant mais qui puisse être porté avec un jean. Et le jersey, c’était un souvenir d’enfance… Je voulais quelque chose de souple, qui ne se froisse pas en avion parce que je me déplace beaucoup pour les affaires viticoles… Ca a été long parce qu’ils sont toujours débordés, mais j’ai eu ma veste, en bleu marine, et je constate (il désigne la veste écrue que porte Lorenzo, en jersey elle aussi) qu’elle a fait des petits… J’en suis super content : on est dans quelque chose de vraiment fonctionnel, à la fois cool et pourtant élégant, et pas fragile. Tu l’essayes, et tu n’as rien sur toi !
Lorenzo : J’ai porté la mienne à Biarritz lors de la semaine de fin d’année, en cool la journée avec un col roulé, sans que l’on se demande ce que tu fiches en veste, et le soir avec une chemise. C’est une veste idéale pour l’homme d’affaires qui voyage et qui ne veut pas emmener deux ou trois vestes ou costumes avec lui.
Eric Beaumard : Oui, j’ai une maison à St Malo et ça fonctionne très bien pour la mer aussi !…
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Nos photos :
Massimo et Lorenzo Cifonelli
Arturo Cifonelli
Adriano Cifonelli
Client inconditionnel de la maison, Alexander Kraft, président de Sotheby’s International Realty, véhicule une image de Cifonelli parfaitement raccord avec l’esthète polyglotte qu’il est.
La boutique de la rue du Faubourg Saint-Honoré.
Le blazer croisé à six boutons est l’une des pièces vedettes de la maison. Il se distingue par son boutonnage bas, sa très grande ouverture et ses revers arrondis. « Nous sommes les seuls à le faire parce qu’on met la toile en biais sous tout le revers, ce qui nous permet de l’ouvrir plus parce qu’un tissu en biais est moins résistant et peut être plus travaillé que si on le monte droit. Cette coupe est appréciée dans le monde entier ! C’est ce que je fais à Ralph Lauren, qui sait de quoi on parle et sait ce qu’il veut.» précise Lorenzo.
Les salons de la grande mesure, rue Marbeuf.
Coupe très fitée, « épaule Cifonelli » montée sur l’avant et grands revers au cran implémenté très haut, le blazer Gatsby, ici en coupe droite un bouton et poches non plaquées : un must d’élégance discrète.
La veste sport Quilian à laquelle ses poches plaquées à bouton et soufflet donnent des airs de saharienne, se distingue surtout par le dessin original de son col, qui peut être porté indifféremment relevé ou rabattu – deux vestes en une seule – et par sa laine de yak, extrêmement souple. « On le fait venir spécialement du Tibet, explique Lorenzo, d’un petit atelier de nomades. Dans le passé ils ont travaillé avec une grande maison parisienne, dont ils faisaient les étoles. Aujourd’hui ils ne le font que pour nous et le teignent comme on le leur demande, en une quarantaine de couleurs. »
Brillante et réputée pour la qualité et la personnalité de sa coupe jusque l’administration Adriano, la maison s’est imposée comme le maître du sport (très) chic avec Lorenzo et Massimo, comme le démontrent les différentes créations présentées ci-contre et cette veste en chèvre velours.
Originale et diable, la veste Baïkal est en laine Drapers bouillie blanc cassé relevée d’empiècements de daim sous le col et sur les rabats de poches. On remarque aussi sa coupe cinq boutons à col cheminée : vraiment pas une pièce ordinaire !