Brioni : la perfection, sinon rien !
Deux heures de voiture au départ de Rome sont nécessaires pour atteindre la petite ville de Penne, berceau de la maison, et l’on ne manque pas d’être marqué, en la découvrant, par le contraste flagrant entre la rudesse de la région et le raffinement des produits Brioni. Bâti sur un promontoire, la petite ville étire ses ruelles étroites et son belvédère dans un environnement d’un autre âge. Le silence absolu qui règne dans toute la partie haute de la ville, qu’aucun bruit de voix, de pas ou de moteur ne vient troubler, interpelle le visiteur et lui laisse une impression un peu surréaliste. Un autre monde, où le temps semble avoir suspendu son vol.
Installée à quelques kilomètres du centre historique, la manufacture est le principal employeur de la ville, dont elle fait vivre plusd’une personne active par famille. Inutile de dire que Brioni est une véritable institution locale – d’ailleurs la Fondation familiale est bienfaitrice de la ville, dont elle a fait restaurer le musée et soutient la culture et divers événements locaux.
Naissance d’un mythe
Ce n’est pourtant pas ici que naît l’histoire Brioni. Après un apprentissage du maître tailleur à Penne, Nazareno Fonticoli quitte sa ville natale pour aller perfectionner son art à Milan d’abord, et à Rome ensuite. C’est là qu’il rencontre l’homme d’affaires Gaetano Savini. Lorsqu’ils décident de créer leur propre maison, la question du nom ne se pose pas longtemps. Nous sommes en 1945, et dans cette Italie de l’immédiat après-guerre, le symbole du luxe, de la magnificence et du prestige s’appelle Brioni. Il s’agit d’une île où se retrouve la jet set pour goûter aux joies du polo, du golf, du yachting et de la chasse. Ce sera donc Brioni. La maison ouvre ses portes via Barberini, à Rome, la légende est en route. Pour l’anecdote, c’est également pour cette raison que Brioni se donne un joueur de polo pour emblème, logo qui sera repris et popularisé bien des années plus tard par l’Américain Ralph Lauren, avec l’aval de la maison italienne. Voilà pourquoi certaines pièces Brioni arborent aujourd’hui encore sur leur doublure le cavalier sportif, alors qu’aucune autre maison au monde ne peut le faire sans encourir les foudres juridiques du géant américain. Le nouveau dessin des frontières, à l’issue de la guerre, fera passer Brioni de l’autorité italienne à celle de l’Autriche, et l’île sera rebaptisée Broni, nom qu’elle porte toujours aujourd’hui. Mais les fastes d’antan se sont déplacés de la mer adriatique aux eaux plus chaudes de Porto Cervo : Brioni est désormais, et exclusivement, le nom de l’une des marques de vêtements les plus prestigieux du monde. Dans leur boutique romaine, Fonticoli et Savini vont s’attacher à fabriquer des vêtements de grande qualité, réalisés dans le respect de l’art sartorial et avec les meilleures étoffes. Ils y parviennent si bien que, au terme du Fashion Show de New-York 1954, le célèbre Time Magazine considère la marque comme le « Dior de l’homme » (la maison de Christian Dior rayonnant déjà dans le monde entier mais ne créant encore que pour la femme). Ce salon marque le départ d’une longue série pour la maison italienne, qui exposera par la suite dans 400 salons internationaux à travers 41 pays pour devenir le premier ambassadeur du style italien à travers le monde.
Retour aux sources en 1960 : afin de faire face à une demande internationale de plus en plus conséquente, Fonticoli fait construire la première véritable manufacture Brioni à Penne : la est bouclée. Le maître tailleur vient de donner le top départ d’un développement industriel qui va permettre à sa marque d’accéder à une nouvelle dimension.
La diversification à partir de 1990
Le pas suivant est franchi en 1990 : afin de diversifier son offre, Nazareno Fonticoli décide l’acquisition de toute une série d’entreprises qui vont lui permettre d’étendre sa production à toutes les spécialités de l’habillement. Chemises, cravates, vêtements de cuir, sportswear, ceintures : le dénominateur commun entre toutes est la large part de fabrication manuelle dans leur activité. A partir de là, Brioni propose et contrôle complètement une offre complète. Le Groupe Brioni est créé dans la foulée, il emploie aujourd’hui 1800 personnes, réparties sur ses huit sites de production, tous italiens. L’étape suivante, purement marketing cette fois, sera d’ouvrir des boutiques dans les plus belles villes du monde et de créer les premières lignes femme, afin de donner à la griffe une notoriété globale et internationale. Ce qui est aujourd’hui chose faite, avec un réseau comptant 23 boutiques en propre, et surtout l’impressionnant centre de la Via Gesù, à Milan, où l’on peut découvrir la totalité des collections prêtes à porter homme et femme, les accessoires, et passer commande des costumes et des chemises sur mesures.
Tailleur de James Bond depuis 1995
Bien que la maison n’ait jamais manqué de clients célèbres (Clark Gable et Gary Cooper étaient des fidèles, mais les mondes de la politique et des affaires comptent aussi de nombreux fidèles), la consécration survient en 1995, lorsque le producteur Albert Broccoli choisit Brioni pour habiller son nouveau James Bond : Pierce Brosnan. Antonella de Simone, petitefille du fondateur aujourd’hui à la tête la maison, se souvient que l’acteur australien est un homme d’une grande élégance et d’une grande courtoisie. A partir de Goldeneye, Brioni devient donc le fournisseur officiel des costumes et smokings de l’agent 007, une tradition renouvelée dans le dernier opus, Casino Royale, avec Daniel Craig.
Ainsi la région qui a donné à l’Italie nombre de ses meilleurs tailleurs, abrite-t-elle aujourd’hui dans son écrin austère l’une des maisons les plus prestigieuses et les plus raffinées du prêt-à-porter moderne. Une situation moins paradoxale qu’il y paraît _puisque, au sud du pays, Naples est le berceau d’autres grands noms de la spécialité et que, pas très loin au sud des Abruzzes, la région des Marches, tout aussi rude, abrite quelques unes des marques de chaussures les plus luxueuses. Merveilleuse Italie, capable d’offrir le meilleur du meilleur sans renier ses racines historiques.