Bill Nighy : un Dandy atypique
Exemple rarissime de comédien devenu célèbre sur le tard, Bill Nighy a atteint la notoriété internationale à cinquante ans passés. Depuis lors, de Love Actually à Good morning England en passant par Indian Palace, sa silhouette de dandy déguingandé et son humour typiquement british ne cessent de ravir des admirateurs de plus en plus nombreux et en font un acteur définitivement atypique.
L’homme est un authentique dandy. Gentiment excentrique, toujours impeccablement sapé, dans tous les registres possibles, doté d’un humour décalé et passionné de littérature, il assure aussi brillamment dans l’être que dans le paraître, avec le charme de ce savoureux détachement britannique inaccessible aux Continentaux. Connu en Angleterre depuis une trentaine d’années, il a explosé sur les écrans du monde entier dans les années 2000 avec des comédies déjantées qui constituent depuis lors sa marque de fabrique. Même si une poignée de films témoigne par ailleurs d’un talent beaucoup plus éclectique.
Si vous n’êtes pas sujet de sa Gracieuse Majesté et n’êtes pas cinéphile, son nom ne vous dit peut-être rien. Mais vous n’avez pas pu ne pas remarquer les personnages inimitables auxquels il a donné vie en jouant le rôle d’une pop star has-been dans Love Actually ou celui d’un directeur de radio pirate allumé dans Good Morning England. Trop atypique pour ne pas être vrai, on devine l’homme derrière l’acteur. Bonne pioche : Nighy est à la ville le même qu’à la scène. Longiligne comme un adolescent, sec comme un coup de trique, bien élevé, réservé et doté de cet incomparable humour anglais qu’il est l’un des seuls comédiens britanniques à être capable de faire passer – et apprécier – sur la scène internationale.
A la différence de nombre de ses confrères, William Francis Nighy n’a pas toujours rêvé d’être acteur. Fils d’un père garagiste et d’une mère infirmière, il est depuis toujours passionné de rock et de littérature et envisagea d’abord de devenir journaliste. Un métier qui correspond à son goût pour l’éclectisme et son incapacité à embrasser une carrière sédentaire. Mais l’adolescent est du genre rebelle et ne parvient pas à décrocher le diplôme de la John Fisher School de Purley. Qu’à cela ne tienne : il quitte le garage familial et fugue dans le Sud de la France pour s’y consacrer à l’écriture. Avant de regagner le nid et exercer divers petits boulots. Sur les conseils d’une girl friend il s’inscrit à la Guilford School of Acting où la vocation d’acteur lui apparaît. Il a près de trente ans lorsqu’il intègre une troupe itinérante et se frotte au répertoire national, servant les textes de Shakespeare, Tchekhov et Pinter, et a dépassé la trentaine lorsque la BBC lui offre un premier rôle dans l’adaptation radiophonique du Seigneur des Anneaux. Les années 80 le voient se partager entre théâtre, radio et bientôt télévision, d’abord dans des séries puis dans de nombreux téléfilms dans le courant des années ’90 et 2000. Le grand écran lui offre quelques apparitions dans plusieurs grands films : Le petit lord Fauntleroy, L’arme à l’oeil, L’héritier de la panthère rose, Le fantôme de l’Opéra, jusqu’à sa rencontre avec Richard Curtis, séduit par son flegme national, qui lui confie en 2003 le rôle de la rock star déjantée de Love Actually, aux côtés de Hugh Grant et Liam Neeson. Ce film qui le révèle au grand public marque le début d’une seconde carrière : on le retrouve dans The Constant Gardener (2005), Chronique d’un scandale (2006), dans les épisodes de Pirate des Caraïbes 2 et 3 et dans Walkyrie (2008).
La consécration arrive avec Good Morning England en 2009, aux côtés de Philip Seymour Johnson, qui en fait brutalement un acteur très en vue et lui ouvre les portes de la saga Harry Potter, dont il soulignait ingénument quelques temps plus tôt qu’il était « le seul acteur britannique à ne pas y avoir été convié » et dans le dernier opus duquel il interprète le magicien Rufus Scrimgeour. Puis c’est Indian Palace, qui lui permet de retrouver la grande Judi Dench avec laquelle il a joué La Mouette de Tchekhov. Il y incarne un fonctionnaire falot et rigide, mal marié et soumis à son épouse. « Le parfait exemple du citoyen britannique avec un parapluie coincé dans le derrière » souligne-t-il avec malice. Un rôle qui en appelle un autre, similaire seulement en apparence : le premier rôle de Petits meurtres à l’anglaise, premier film qu’il porte sur ses épaules.
Dénominateur commun à toutes ces interprétations : en chanteur, en DJ comme en tueur à gages, Bill Nighy révèle un même talent pour surprendre et faire rire. A la ville, l’acteur a vécu vingt-deux ans avec l’actrice Diana Quick, rencontrée en 1984 sur les planches du National Theater, qui a fait face à ses côtés à l’alcoolisme et la toxicomanie dans lesquels il a plongé pendant des années (jusqu’en 1992), et avec laquelle il a eu une fille, Mary. Considérée comme une des plus belles femmes du monde, Diana avait auparavant été mariée avec le comédien Kenneth Cranham et avait longtemps été très liée à Albert Finney, mais n’a jamais épousé Bill Nighy, le couple préférant d’un commun accord une relation non conformiste. Depuis 2008, Bill Nighy est un ambassadeur actif d’Oxfam, association pour laquelle il n’hésite pas à interpeller les politiques pendant le sommet du G8 ou à lever des fonds. Aujourd’hui lorsque l’acteur s’engage auprès du festival du livre d’Oxfam Grande Bretagne, les donations augmentent de 40%.
Sa grande silhouette déguingandée (1,88 mètre pour moins de 80 kg), son style impeccable, le cocktail flegme-humour national qu’il sait incarner comme personne avant lui, et son arrivée tardive sous les projecteurs du cinéma international, permettent à Bill Nighy d’être définitivement à part, incomparable, unique. Différent. C’est aussi pourquoi on l’aime et pourquoi la façon dont il rend Good Morning England inoubliable l’a imposé à l’unanimité à l’heure de choisir un homme personnalisant les Swinging sixties de la façon la plus dandyesque. Bonne pioche : Bill Nighy incarne indiscutablement mieux que personne le dandy contemporain, jusque dans la réserve flegmatique et les saillies humoristiques qui caractérisaient G. Bryan Brummel.