Aux sources du pur malt
Les Highlands écossais. Une foule d’images comme surgies de notre inconscient collectif. Un paysage de rochers, de lande et de bruyère. Les immenses étendues désertes et sauvages de Highlander, des routes étroites parcourant un paysage rude et grandiose, une Aston Martin sur la route de Skyfall (mais une Jaguar ou un Range Rover feraient tout aussi bien l’affaire)… L’impression d’un temps qui passe plus lentement qu’ailleurs, d’une vie loin de la frénésie contemporaine. Un autre monde. C’est ici que naissent les meilleurs whiskies single malt du monde.
Une région infertile et peu peuplée, des collines et des montagnes, un paysage de lande couverte de bruyère et de fougères, des lacs (ici on dit lochs) aux eaux très claires. Des troupeaux de moutons et des cerfs sauvages. Coincé entre les Lowlands (littéralement : terres basses) et les Highlands (hautes terres), le Speyside constitue le « triangle d’or du whisky » en rassemblant pas moins de quarante-huit distilleries parmi les plus renommées.
Pourquoi une telle concentration ? Parce que l’endroit réunit toutes les conditions nécessaires à la fabrication du whisky : les conditions météo, de l’eau de source d’une pureté exceptionnelle et un savoir-faire séculaire. Véritable coeur de cette région située au Nord-Est des Highlands, le Speyside doit son nom à la rivière Spey, la plus renommée entre toutes pour la pêche au saumon, qui la traverse. Ici la pureté de l’eau, élément primordial dans la fabrication du whisky, est unique et, au-delà du climat et de la situation, l’art de la distillerie est plusieurs fois centenaire, permettant à la région de fournir les single malt les plus fins du monde.
Installée à la jonction des rivières Spey et Lour (son nom signifiant en gaélique « la bouche du ruisseau qui murmure »), la distillerie Aberlour jouit au sein de ce triangle d’or d’une position particulière. Fondée en 1879 par James Fleming, elle utilise des eaux provenant de sources souterraines. Nous y avons découvert toutes les étapes de la fabrication d’un whisky pur malt.
La fabrication du whisky
Tout commence avec le maltage, qui consiste à tremper l’orge dans l’eau pendant deux jours avant de l’égoutter, reproduisant le processus naturel de germination d’une graine plantée dans le sol et transformant l’amidon qu’elle contient en sucre, qui sera transformé en alcool. Après avoir été séché au-dessus d’un four, l’orge maltée est broyée (concassage) puis mélangée à de l’eau de source chauffée (empâtage) pour donner un liquide sucré (ou « infusion ») qui sera déversé dans une énorme cuve de cuivre dans laquelle on ajoutera la levure qui déclenchera sa fermentation.
Au bout de deux jours cette dernière est terminée : le sucre du liquide a été transformé en alcool. Reste à le distiller pour obtenir le whisky.
La distillation est effectuée au moyen des alambics typiquement représentatifs de l’activité. Ces sculpturales pièces de cuivre sont chauffées de l’intérieur et, l’alcool bouillant à 80°C, les vapeurs dégagées montent vers le haut de l’alambic, passent par le tuyau en col de cygne avant d’être refroidies dans un condenseur pour donner un liquide incolore appelé brouillis, qui titre environ 25% d’alcool. Une seconde distillation va concentrer et purifier celui-ci, qui sera versé dans des fûts où il vieillira en entrepôt pendant une dizaine d’années au minimum. Durant tout le vieillissement, 2% de whisky s’évaporent chaque année, une quantité appelée la part des anges.
L’Aberlour touch
Le vieillissement des whiskies se fait en fûts, de bourbon ou de xérès, le goût de vanille caractéristique des whiskies Aberlour provenant des fûts de bourbon qui leur donnent un goût plus sucré et plus doux. Les whiskies vieillis dans des fûts de xérès présentent pour leur part une dominante de notes de fruits secs (abricot notamment), d’épices et de chocolat. Ce qui n’empêche pas Aberlour, qui travaille avec une bodega espagnole pour ses fûts de xérès, de contrôler ceux-ci chaque année, une mesure de sécurité importante dans la mesure où certains whiskies maison vieilliront 25 ans dans ces fûts, qui doivent donc être sans défaut. Nous avons profité de notre visite pour goûter les quatre grandes références de la maison : les 15, 16 et 18 ans d’âge et le prestigieux a’bunadh. Destiné exclusivement au marché français, le 15 ans Select Reserve est mis en bouteille à 43% d’alcool. Son assemblage dans les deux types de fûts lui permet d’attaquer sur le bourbon et d’évoluer vers le xérès. Le 16 ans présente de son côté une influence du xérès, et un goût, plus marqués. Issu d’un double vieillissement, il est plus complexe que le 15 ans et présente une prédominance de notes épicées. Il est mis en bouteille à 40%.
Lancé à la Maison de la Chasse de Paris, le 18 ans fait l’objet d’une production limitée. Sa part des anges atteint 36%. Sensiblement plus rond que le 15 ans, il se distingue par sa douceur de miel et son évolution sur les fruits rouges et les épices. Enfin, le a’bunadh est vieilli exclusivement dans des fûts de xérès, et fabriqué dans la grande tradition des whiskies du XIXème siècle. « Brut de fût », il est mis en bouteille à la sortie du tonneau à son degré alcoolique réel (60°) sans filtration à froid. Complexe, il attaque sur des notes de café et de chocolat avant d’évoluer vers plus liquoreux, non sans évoquer le cognac.
Les seize médailles d’or de l’International Wine&Spirit Competition et de l’International Spirits Challenge sont éloquentes et suffisent à annoncer la qualité des whiskies Aberlour, dont les connaisseurs apprécient l’ampleur des arômes et la complexité. Mais une visite à la distillerie (tous les jours de 9h30 à 17h00, sauf période du 13 décembre au 25 mars) s’impose pour tous ceux qui veulent voir par eux-mêmes et comprendre une fabrication qui s’apparente, pour ceux qui la conduisent, à un art.