Apple Watch : le défi de Tim Cooke
La succession de Steve Jobs relevait de la mission impossible. Le créateur d’Apple avait en effet imaginé lui-même chacun de ses produits en créant leur fonction, avant que ses bureaux d’études ne les réalisent sous son contrôle attentif. Son plus proche collaborateur Tim Cooke, certes adoubé par tous, allait-il prouver que l’instinct visionnaire du créateur, clé du succès de l’entreprise, était passé dans son ADN ?
Il est très difficile d’obtenir des informations sur ceux qui conduisent le destin d’Apple. La réponse, stéréotypée, tombe de manière laconique : « Chez nous, les stars, ce sont les produits ». Certes, mais il faut, pour comprendre, savoir que Steve Jobs a créé ce formidable empire à la manière d’un grand visionnaire, en se basant sur deux principes de base : l’intuitif et la création de besoins. Une anecdote personnelle illustre ce binôme : peu enclin à l’informatique en raison des difficultés à me mettre à la programmation, mais fou de technologies, mon premier ordinateur fut un Apple 2C. Cette firme totalement inconnue proposait un ordinateur intuitif à ceux qui ne voulaient pas parler Cobol ou Basic. Je fus la risée de mon entourage, qui me prédisait la disparition de cette entreprise et de ses produits créés dans un garage par deux étudiants hirsutes. Face au géant IBM, les petits génies de Cupertino n’avaient aucune chance de percer. Certes, mais pendant que mes petits camarades restaient bloqués sur leur PC, je faisais mon courrier, ma comptabilité et la gestion de ma petite entreprise sur Works, logiciel de la marque. On connaît la suite de l’histoire : Apple est aujourd’hui ce qu’IBM était à l’époque.
Un succès planétaire explicable par le fait qu’Apple a toujours su apporter une solution de simplicité là où les autres avaient une proposition compliquée. Prenons le seul exemple de Windows, qui a fait le progrès le plus significatif de son histoire en adoptant des solutions du monde Apple. La souris fut aussi une révolution Apple, tout comme plus récemment le trackpad… La clé de l’histoire est toujours le binôme intuitivité et ergonomie, qui permettent à tous, sans aucune formation, d’accéder naturellement à la vie numérique, par l’usage des produits. Avec ses Mac, iPod, iPad, iPhone et toutes leurs fonctions et applications comme iTunes, iCal et consorts, Apple a ainsi créé un univers ludique et accessible permettant de travailler avec ses ordinateurs et systèmes d’exploitation, et de se divertir avec sa musique, mais aussi d’accéder de manière simple et intuitive à une véritable existence numérique, quel que soit l’âge de l’utilisateur.
Coup de génie : créer le besoin avant l’objet
Là où le génie de Steve Jobs s’est révélé le plus brillant, ce fut en arrivant à créer le besoin pour ensuite créer l’objet. L’iPad en est l’exemple le plus éblouissant. Nous avions déjà notre ordinateur et notre téléphone et nous avons donc eu du mal à intégrer ce nouvel élément dans notre vie, ne pouvant le justifier par une nouvelle fonction. Il a donc fallu que nous comprenions son concept novateur, sa place dans notre vie au bureau, à la maison et surtout en déplacement, pour appréhender son utilité. Ensuite de quoi il est devenu évident. Il s’agit donc d’un concept, imaginé et créé ex nihilo par Steve Jobs, dont nous ignorions le besoin avant qu’il ne se révèle indispensable.
A la disparition de Steve Jobs, un doute planait donc bien légitimement sur la capacité de l’entreprise et de ses dirigeants à poursuivre un développement basé sur les visions géniales de son concepteur. Inquiétude aujourd’hui partiellement apaisée puisque le chiffre d’affaires d’Apple ne fait que croître, que les nouveaux produits tels que l’iPad mini, l’iPhone 6 et le Mac Air atteignent des chiffres de vente inédits, et enfin que l’Apple Watch arrive le 24 Avril, avec des chiffres de vente prévisionnels autour de 25 millions d’exemplaires pour 2015. En attendant la sortie de l’Apple TV, qui créera sans doute elle aussi de nouveaux besoins. Force est cependant de constater que la spirale créative est moins impressionnante depuis quelque temps, l’Apple Watch n’étant pour certains détracteurs qu’un iPhone de poignet.
L’Apple Watch est-elle autre chose qu’un iPhone de poignet ?
La question mérite d’être posée. Ce qui est sûr, c’est qu’avec mes confrères journalistes, le sujet a animé les conversations dans les couloirs du SMH (Salon Mondial de l’Horlogerie) de Bâle, qui vient tout juste de fermer ses portes. Comme à d’autres, un véritable dilemme se pose à l’amateur de haute horlogerie que je suis. Apple addict de la première heure mais collectionneur et amoureux de mécaniques à grande complication, intemporelles et indémodables, je regarde mon poignet gauche avec circonspection. Se bousculent alors dans ma tête toutes sortes de considérations sur la taille de l’écran et ma vue qui baisse, le gadget de trop, l’addiction à l’hyper connexion, le remords à l’égard de ces belles mécaniques qui ont entamé quelques unes de mes économies… Cornélien !
Mais ce qui m’interpelle le plus est l’addiction à l’immédiateté dont nous sommes victimes. Le téléphone sur lequel nous sommes tentés de lire en instantané chaque message ou mail entrant, peut être mis dans la poche ne serait-ce que le temps d’un repas ou d’un rendez-vous. En sera-t-il de même au poignet ? Nous allons être sollicités immédiatement, et tentés de répondre dans l’instant. Faudra-t-il que certains restaurateurs demandent à leurs clients de laisser leur montre au vestiaire ? Nos tentations numériques sont hélas parfois inversement proportionnelles aux règles élémentaires de la bonne éducation. Nadine de Rothschild devrait se pencher sur le sujet.