Alexander Kraft Monte Carlo
Démocratiser le style. Si l’événement est passé inaperçu du grand public, il a interpellé la blogosphère des élégants de tout crin, qui représente un bon million d’hommes de nationalité, de condition sociale et d’âge différents, à travers le monde. D’une part c’est en effet en pleine période Covid qu’Alexander Kraft a lancé sa propre marque de prêt-à-porter, et d’autre part il a choisi de le faire en ne communiquant que sur les réseaux sociaux, ce qui exclut l’information des acheteurs potentiels qui ne suivent pas les différents comptes spécialisés de la communauté numérique.
D’un autre côté, la période un peu surréaliste que nous traversons actuellement et la communauté des grands élégants internationaux peuvent aussi constituer des avantages pour la nouvelle marque. Alexander Kraft confiait ainsi à notre excellent confrère The Rake qu’il « pense que le monde de l’après-Covid-19 sera différent de celui qui l’a précédé, (…) que les gens voudront toujours dépenser, mais ne dépenseront plus sans réfléchir. Ils achèteront moins, mais avec plus de discernement. » Une analyse qui justifie le positionnement de la maison, puisque l’élégant businessman s’est donné pour mission de proposer une collection d’une grande élégance classique combinant deux qualités a priori antinomiques : être d’une qualité artisanale et pratiquer des tarifs qui la rendent accessible au plus grand nombre, et notamment aux jeunes.
Un point sur lequel nous ne pouvons que rebondir, ayant toujours professé que si l’élégance vestimentaire correspond d’abord à une nature et une manière d’être, elle constitue aussi un passeport pour la vie sociale que l’on n’est jamais trop jeune pour posséder dès l’âge de 25/30 ans – en fait dès l’entrée dans la vie active. Grand élégant s’il en est, Alexander Kraft aime d’ailleurs à souligner l’importance d’une tenue pour la confiance en soi – une vérité qu’Ardavan Amir-Aslani, autre grand élégant et interlocuteur habituel de plusieurs gouvernements, soulignait récemment en connaisseur dans ces pages – en rappelant comment elle avait pesé lors de son entretien d’entrée dans une école d’élite. Fidèle à cette vertueuse considération, Alexander a tenu à ce que sa marque soit accessible aux plus jeunes des Millenials, sans pour autant négocier de compromis avec le style, lequel se devait d’être celui par lequel le parangon d’élégance est devenu une icône de la Swann Society. Le résultat impose de constater qu’il y est parfaitement parvenu, et que la marque Alexander Kraft Monte Carlo s’impose d’emblée comme l’une des plus opportunes pour le jeune élégant qui débute dans la vie professionnelle.
« La qualité Kiton au tarif Polo »
Pour réussir cette quadrature du cercle, l’homme d’affaires a utilisé tout ce que la pratique d’un quart de siècle d’élégance au plus haut niveau lui a appris, tant pour déterminer le cahier des charges technique de sa collection que pour sélectionner les ateliers qui la fabriqueront dans le respect des règles de l’art sartorial. Il les a trouvés dans le sud de l’Italie : deux ateliers pour les vestes, un pour les pantalons et un autre pour les chemises. Et ce n’est pas fini puisqu’il fera bientôt appel aux compétences d’un autre encore pour la ligne de jeans qu’il s’apprête à lancer.
Dandy : Comment et quand vous est venue cette idée d’une marque de prêt-à-porter à votre nom ?
Alexander Kraft : « C’est une idée que j’avais depuis des années, mais qui s’est vraiment développée avec Instagram, parce qu’on m’y demande souvent ce que je porte sur les photos, et que mes followers veulent savoir où ils peuvent acheter… J’ai toujours répondu à ces questions, jusqu’à présent en citant les costumes sur mesure Cifonelli et le prêt-à-porter Ralph Lauren Purple Label, mais il s’agit de produits un peu hors de prix pour la plupart d’entre eux, même s’il s’agit sans doute de followers très qualifiés – plus que d’autres personnalités d’Instagram je pense. Mais évidemment, des costumes mesure Cifonelli à 8000 euros ou du prêt-à-porter Ralph à 3000, sont un peu chers pour la majorité des gens.
« Mon but est d’offrir une qualité Purple Label ou Kiton au tarif Polo : proposer des produits vraiment de qualité à des tarifs accessibles, avec tous ces petits détails que recherchent les amateurs »
Mon idée était : « Si je fais ça un jour, je créerai une ligne qui a v raiment une qualité extraordinaire mais à un prix abordable ». Et l’année dernière, comme je traversais une période compliquée dans ma vie privée je me suis dit que c’était le moment de me lancer dans cette aventure, pour me changer les idées ; et j’ai commencé à réunir tous les contacts que j’avais : des tisseurs dans le nord de l’Italie, des experts de la fabrication à Londres et des fabricants dans le sud de l’Italie. J’ai commencé à tout réunir à la fin de l’année et j’ai bien défini mon business model.
Et celui-ci résume parfaitement l’ADN de votre marque…
Il repose sur cinq axes. Tout d’abord je n’utilise que les meilleurs tissus, spécialement les flanelles Vitale Barberis Canonico, que j’adore ; et ceux de Lovat Mill en Ecosse, qui a fait mon propre tweed, que j’ai dessiné avec eux et qui a un toucher plus proche d’une flanelle ou d’un cachemire que d’un tweed, tant il est léger et doux. Ensuite une fabrication 100% made in Italy, artisanale et éthique : pas de grandes usines mais uniquement des petits ateliers familiaux, qui sont tous dans les Pouilles, au sud de Naples. Je les ai tous personnellement visités, j’ai vu comment ils travaillent et j’ai été bluffé parce que c’est encore plus artisanal qu’on le croit : la seule différence entre eux et la grande mesure, c’est qu’ils utilisent des machines pour faire l’assemblage. Mais les pièces sont encore coupées à la main comme chez les tailleurs : on est très loin d’une fabrication industrielle.
Une boutique en propre, des revendeurs : comment allez-vous distribuer AK Monte Carlo ?
C’est le troisième axe de mon business model : une distribution uniquement en ligne, via mon Instagram, pour ne pas supporter des charges de boutiques et de personnel. Et ce troisième axe recoupe le quatrième, qui concerne la communication, exclusivement en ligne elle aussi, et non traditionnelle.
Enfin, cinquième axe : les prix. Mon but étant d’offrir une qualité Purple Label ou Kiton au tarif Polo, j’ai réduit les marges de profit : je ne multiplie pas les coûts de production par 6 ou 8 mais par 2,5, ce qui est le minimum absolu pour être un peu profitable. Moyennant quoi je peux proposer des produits vraiment de qualité à des tarifs accessibles : prenons la veste que je porte aujourd’hui par exemple : elle est en flanelle Vitale Barberis, a des épaules paddées, des boutonnières de manches ouvertes, une doublure contrastée, une Milanaise, des boutons en vraie corne naturelle, des surpiqures AMF : tous ces petits détails que recherchent les amateurs – et elle ne coûte pas 2000 ou 3000 euros comme chez Ralph, mais 700.
L’autre caractéristique intéressante de votre collection, qui prouve qu’elle a été conçue avec un regard de consommateur plutôt que de commerçant, est que toutes les pièces, costumes, vestes, pantalons, et même manteaux, sont parfaitement complémentaires et peuvent être portées les unes avec les autres…
C’est la philosophie de la marque : celle d’une garde-robe permanente avec une vraie qualité capsule collection : vous prenez n’importe quel élément et vous pouvez le combiner avec tous les autres. Je propose par exemple plusieurs pantalons blancs et ivoire qui utilisent un lin irlandais plus épais que les lins habituels, qui sont parfaitement combinables avec mes gilets, mes vestes et mon blazer Navy. Je propose aussi un Corduroy en coton très léger portable lui aussi neuf mois par an, et je travaille actuellement sur de nouveaux modèles en cachemire et coton d’hiver ; on peut tout acheter séparément, et en même temps tout va parfaitement bien avec tout.
Parlons un peu du style. Inutile de demander s’il porte votre patte tant c’est flagrant : il n’y a même pas de rupture avec les silhouettes qui étaient les vôtres lorsque vous étiez brand ambassador Cifonelli et Ralph Lauren : on retrouve les vestes ajustées, les revers en pointe sur le blazer croisé, le gilet croisé six boutons à col châle, les pantalons à revers, les manteaux croisés classiques…
C’est vraiment à 200% mon style personnel. Parce que des clients sont allés chez Cifonelli en disant « Je veux exactement le même costume qu’Alexander Kraft »… J’ai pris tout ce que j’ai appris pendant les derniers 25 ans en travaillant avec mes tailleurs à Hong Kong, à Londres et à Paris, et je l’ai transposé pour le prêt-à-porter : la taille bien ajustée, les revers, les épaules, une emmanchure très haute, une épaule paddée ; tout est comme en mesure, mais à des tarifs accessibles au plus grand nombre.
La vestibilité ?
Elle était très importante pour moi, j’ai beaucoup travaillé les coupes et j’ai beaucoup d’échos de clients qui me disent « Je n’ai pas une taille mannequin comme vous mais je porte bien vos vêtements, j’ai l’impression d’être parfait », c’est vraiment très agréable. Il y a très peu de maisons qui se donnent la peine d’ajuster les coupes de prêt-à-porter comme ça.
Vous avez été brand ambassador Cifonelli, je suppose qu’aujourd’hui vous portez exclusivement du Alexander Kraft Monte Carlo ?
Il est clair que je suis le meilleur ambassadeur de ma marque, mais je ne vais pas brûler mes costumes Cifonelli, j’en ai une cinquantaine, que je porte encore avec grand plaisir, mais depuis que j’ai lancé ma marque je ne porte quasiment plus qu’elle. Ne serait-ce que parce que je veux tester les pièces in situ, apprécier les coupes et les matières et m’assurer que tout est 100% parfait. Je précise qu’il n’y a pas eu d’ajustements pour les photos sur tout ce que je porte : taille, longueur des manches, tout est de série. Pour la première fois depuis trente ans, je porte beaucoup de prêt-à-porter !
Quand avez-vous lancé cette première collection ?
J’ai fait le pré-lancement le 1er mai, en plein confinement. C’était un pari, mais je me suis dit que les gens étant bloqués chez eux étaient frustrés, et qu’ils avaient besoin de quelque chose de beau, pour rêver. Et cela a bien fonctionné : la première collection s’est vendue en 48 heures !
L’intérêt d’avoir choisi la vente en ligne, c’est que vous savez exactement qui sont vos acheteurs, et avec les réseaux sociaux vous pouvez affiner le profil de vos clients. Alors : qui sont les premiers acheteurs Alexander Kraft Monte Carlo ?
Ils correspondent parfaitement au profil de mes followers Instagram : ce sont des Américains, des Anglais, des Italiens et des Français, quelques Allemands aussi : les grandes nations pour la culture tailleur.
Question connexe mais sensible compte tenu de votre positionnement prix : connaissez-vous l’âge moyen de vos clients ?
Oui : entre 25 et 45 ans.
Ce qui est la preuve d’un rapport qualité/prix pertinent, et qui confirme – heureusement ! – qu’il existe une frange de la population jeune qui a le sens de l’élégance et tient à être bien habillée. Sans pouvoir – ou vouloir – y consacrer une fortune. On peut donc considérer, surtout compte tenu de la conjoncture Covid-19, que vous avez parfaitement réussi votre entrée parmi les maisons qui comptent pour les élégants. Quelles sont les prochaines étapes ?
Je lance une ligne « Elegant Casual » faite de vestes non structurées, sans doublure ni renfort d’épaule, en 100% cachemire, utilisables comme des cardigans, en travel jackets. Ce sont des vestes dans l’esprit des premières vestes Loro Piana, à la différence du prix car je vais les vendre 700 euros.
Je vais aussi lancer des chinos et des jeans d’une très belle qualité et avec de beaux détails, mais lavables en machine. Parce que nous sommes toujours tous à la recherche du jean parfait, mais que celui de Kiton coûte près de 1000 euros. Le mien sera fabriqué dans le sud de l’Italie, dans un très beau denim, aura une coupe parfaite ni trop serrée ni trop large, et sera vendu 180 euros. Il devrait être disponible début décembre. »