Le jour où les 24H du Mans se jouèrent à moins d’une seconde
Alors que l’édition 2014 des 24 Heures du Mans se prépare à passionner une nouvelle fois les amateurs du monde entier, nous avons voulu revenir ici sur l’édition la plus disputée entre toutes, qui se termina sur un rythme de Grand Prix de Formule1. C’était en 1969.
Pour disputées qu’aient pu être certaines éditions plus récentes, l’épreuve mancelle est généralement jouée dans le courant de la matinée du dimanche, et le vainqueur franchit souvent la ligne avec plusieurs tours d’avance sur le deuxième. Une caractéristique qui n’empêche pas les 24 Heures d’être la course la plus célèbre du monde et de passionner les foules, même si la mise en place de deux chicanes dans la fameuse ligne droite des Hunaudières en 1990 a émoussé la fascination qu’exerçait ce tronçon rectiligne où fut dépassé en 1988 le cap symbolique des 400 km/h.
Mais en 1969, les six kilomètres de ligne droite sont toujours au programme. De même que le fameux « départ Le Mans », qui impose aux pilotes de courir jusqu’à leur voiture et de s’élancer sans avoir bouclé leur harnais de sécurité. Une opération qui a quelquefois demandé jusqu’à cinq tours, les pilotes ne pouvant attacher les quatre sangles de leur harnais que dans les Hunaudières, en tenant leur volant des genoux. Jeune pilote, Jacky Ickx marque sa protestation contre cette procédure qu’il juge dangereuse en marchant vers sa voiture et prenant le temps de s’attacher avant de partir bon dernier. Les circonstances lui donnent cruellement raison dès le premier tour, au cours duquel la Porsche 917 de John Woolfe sort de piste et que celui-ci, n’étant pas encore attaché, est tué sur le coup.
Avec la 917, Porsche a sorti le grand jeu pour remporter l’épreuve, mais à trois heures de l’arrivée c’est la Ford GT40 de Ickx-Oliver qui pointe première. Dans son sillage, la Porsche 908 de Herrmann-Larousse. Durant la dernière heure de course, l’écart entre les deux voitures n’excède jamais 2,5 secondes. Entretenant un suspense digne de Michel Vaillant, Ickx et Herrmann se livrent un duel homérique, se prenant et se reprenant par huit fois la tête de la course. Au début du dernier tour les deux voitures sont toujours roues dans roues. Ayant la même vitesse de pointe (320 km/h), aucune ne parvient à prendre le meilleur mais cet ultime mano a mano interdit à Ickx de lever légèrement le pied et les deux autos franchissent la ligne d’arrivée vingt secondes avant la 24ème heure : elles doivent accomplir un tour supplémentaire. En grand stratège, Ickx se laisse déborder par Herrmann au début des Hunaudières et se colle dans son aspiration, pour la doubler juste avant le virage de Mulsanne. La Porsche ne pourra plus repasser la Ford, qui franchit la ligne d’arrivée avec huit dixièmes de seconde (quelques mètres !) d’avance sur sa rivale. Après 24 heures de course et 4998 km, la course la plus haletante de l’histoire du Mans s’achève dans la dernière ligne droite, au sprint, comme le plus acharné des Grands Prix. Un moment d’anthologie qui reste – et certainement restera – unique dans les annales.