4×4 hybrides : la panacée ?
Face à face : Range Rover et Porsche Cayenne
Plus puissants et plus statutaires que les modèles de taille moindre, les « gros 4×4 » sont aussi plus lourds et affligés de trois faiblesses majeures : des consommations et une fiscalité rédhibitoires et une image politiquement incorrecte. En contrepartie de quoi ils cumulent les qualités d’habitabilité, de caractère pratique et de sécurité active et passive, offrent une position surélevée reposante, incitent moins à la vitesse et soutiennent désormais la comparaison avec les voitures classiques en terme d’esthétique et de confort. Supprimez les trois faiblesses énumérées plus haut et vous obtenez un véhicule moderne qui n’est pas loin de la panacée, performance que l’hybridation permet d’espérer. C’est ce que nous avons voulu vérifier en essayant les deux véhicules les plus représentatifs de la catégorie : le Range Rover et le Porsche Cayenne.
Le premier est la référence absolue en matière de prestige, de confort et d’efficacité, le second l’étalon en termes de sport et de performances. Deux images très fortes, deux poids lourds aussi (tant sur la balance qu’en termes de consommation et de budget) : deux monstres sacrés. L’un et l’autre affublés de consommations délirantes dans leurs versions les mieux motorisées – nonobstant les valeurs normalisées des constructeurs, n’escomptez pas descendre sous la barre des 20 litres aux 100 km en ville au volant d’un Range Supercharged ou d’un Cayenne Turbo, et prévoyez plutôt entre 25 et 30 si vous avez du mal à résister au récital et aux accélérations des V8 suralimentés. Des musts. Les versions diesel, V6 ou V8, permettent d’en profiter sans exclure une certaine raison, mais imposent la détestable signature acoustique dudit carburant et n’en deviennent pas pour autant des parangons de sobriété. Problématique insoluble ? Plus aujourd’hui : sur le papier, l’hybride permet de conserver les avantages en supprimant les inconvénients. Mais dans la réalité ?
Diesel ou Essence ?
Dans la réalité, Land Rover et Porsche ont choisi deux philosophies différentes pour aborder l’hybride : celle de la sobriété et du couple pour le premier, en optant pour le diesel, et celle de la performance pour le second, qui a choisi l’essence.
A tout seigneur, tout honneur : commençons par Sa Majesté le Range Rover. Emblématique s’il en est, ce titan du luxe automobile a toujours constitué un cas à part dans le paysage, aussi statutaire qu’une Rolls ou une Bentley et moins sujet à la vindicte des 4x4tophobes que les véhicules d’autres marques : le Range c’est le Range, définitivement différent, non suspect d’ostentation comme peuvent l’être le Cayenne, le Q7 ou le X6. Pour sa version hybride, Land Rover a retenu le V6 diesel 292 ch du Range Rover Sport, réputé pour sa discrétion et ses performances. Relié à un moteur électrique de 38 kW (51,5 ch) et l’excellente boîte auto 8 ZF, il annonce des performances de bon niveau, avec une puissance cumulée de 340 ch et un couple maxi de 700 Nm disponible à partir de 1500 trs. Comme sur tous les 4×4, la masse à mouvoir est certes élevée, même si le large appel à l’aluminium a permis à la nouvelle génération de Range de gagner 400 kg par rapport aux précédentes : avec 2394 kg sur la balance, le Range Hybrid n’est pas vraiment une ballerine.
Approche inverse chez Porsche, qui associe un V6 3.0 litres compressé à la toute dernière génération de batteries lithium-ion (et non plus la nickel métal hydrure des modèles S Hybrid, moitié moins puissante) pour proposer au bout du compte pas moins de 416 ch et 590 Nm de couple maxi sur une voiture de 2300 kg.
Au-delà du carburant, la grosse différence entre les deux autos tient au type de batterie : en acceptant le coût de la technique la plus récente, Stuttgart investit plus dans la technologie que Solihull, où l’on a préféré s’en tenir à une technique plus ancienne et plus économique. Le résultat de ce choix fondamental est spectaculaire à l’usage, nous allons y revenir.
Aristocrate ou Performer ?
Est-il vraiment utile d’y revenir, l’intérieur d’un Range Rover est un monde à part, un cocon de luxe et de sérénité dans lequel on se hisse plutôt qu’on y entre ?
Ici tout est superlatif : l’espace, la luminosité (le toit ouvrant panoramique est immense), la noblesse des matériaux (cuir, bois vernis et alu brossé, alcantara pour le ciel de toit et les montants de pavillon), leur qualité, les finitions (inoubliable tableau de bord bicolore matelassé et surpiqué façon sellier)… Comme l’a voulu Land Rover au lancement de cette nouvelle génération de Range, l’environnement à bord relève autant d’un intérieur domestique que d’un habitacle automobile. Les sièges chauffants, rafraîchissants et massants et la hifi Meridian offrent un confort royal, duquel participent également une kyrielle de petits détails bien pensés, comme les pare-soleils avant doubles (face et côté, inaugurés par Saab dans les années 80, si évidents et si pratiques que l’on ne comprend vraiment pas que tous les constructeurs ne les proposent pas !) et, enfin, l’affichage tête haute, dont on ne peut plus se passer une fois qu’on y a goûté, au même titre que la navigation. Parfait ? Pas tout à fait quand même, et c’est dommage compte tenu du prix de l’engin : ledit affichage tête haute, de surcroît couleur et complet (il affiche la vitesse, le guidage GPS et la limite de vitesse), fonctionne de façon sporadique.
Environnement tout différent à bord du Cayenne, où la sportivité l’emporte largement sur le caractère cosy. Depuis qu’il a été refait dans le style de la Panamera, le tableau de bord du 4×4 Porsche est nettement moins massif que sur les premières versions. Elégante, la console centrale accueille un grand nombre de commandes, Porsche préférant s’en tenir à la commande dédiée à une tâche plutôt que d’imposer à ses clients d’en passer par un menu d’ordinateur opéré via une manette unique. Plus simple, une fois que l’on a mémorisé les multiples interrupteurs dont le design évoque celui des téléphones Vertu. Comme toujours chez Porsche, les sièges réglables dans toutes les dimensions (y compris la longueur de l’assise, ce que le Range n’offre pas) permettent de régler une position de conduite parfaite. On apprécie le cuir étendu au tableau de bord mais on regrette que le ciel de pavillon de notre voiture d’essai soit en tissu standard, là où de l’alcantara donnerait à l’habitacle beaucoup plus d’allure. Une option à 1680 euros. Sans surprise les finitions sont excellentes, tout comme la hifi Bose, qui sans atteindre à la finesse des ensembles automobiles B&0, est d’un niveau irréprochable. On retrouve bien entendu la clé de contact exilée à gauche de la planche de bord et le compte-tours central, sans lesquels une Porsche ne serait plus tout à fait une Porsche. Surprise en revanche en découvrant l’absence de tachymètre parmi les cinq compteurs faisant face au conducteur, mais il est vrai que la vitesse est désormais affichée en digital dans le compte-tours. Parmi les détails qui comptent, mentionnons le toit ouvrant vitré panoramique, le cuir étendu surpiqué (option à 3228 euros), les doubles pare-soleil, comme sur le Range : excellent. Un sérieux regret en revanche : toujours pas d’affichage tête haute dans la longue liste des options Porsche, c’est vraiment regrettable.
Il conviendrait presque de parler d’ameublement pour décrire l’intérieur du Range Rover, tant la notion de confort et la qualité des matériaux emprunte à l’art de vivre domestique. Son espace incomparable, ses matériaux nobles et ses finitions parfaites en font un habitacle unique au monde. Et les passagers arrière peuvent être traités façon cabine avion de Première classe dans la version LWB.
Au volant : du bon et du moins bon
Au-delà des qualités intrinsèques à chaque véhicule, n’oublions cependant pas que la raison d’être de ce match informel est l’hybridation des deux voitures. Pour nous convaincre pleinement, celles-ci doivent donc démarrer sur le seul moteur électrique (et par conséquent dans un silence absolu) et circuler un certain temps sur ce mode d’énergie avant de passer, aussi imperceptiblement que possible, en mode thermique. Trois exercices dans lesquels l’une convainc et l’autre pas.
Nous avons déjà eu l’occasion de dire dans ces pages tout le bien que nous pensons du six 292 ch du Range Sport – un événement mémorable de la part des dieselophobes acharnés que nous sommes. Passé le stade du démarrage, le carburant parvient à se faire relativement oublier grâce à l’insonorisation du bloc et à ses excellentes manières (puissance suffisante et couple élevé disponible très bas) qui dispensent de le solliciter brutalement. Nous terminions notre essai en considérant que l’hybridation ferait du modèle le 4×4 parfait puisqu’il démarrerait alors sans bruit puis fournirait les prestations que nous avons appréciées. Le problème, c’est que dans la réalité les choses ne se passent pas comme cela. D’abord, le Range démarre trop souvent sur son moteur thermique : il faut que les batteries soient bien rechargées et que le sol soit plan pour que l’engin consente à s’ébranler sur l’électrique. Premier exercice à moitié réussi.
Ensuite et à condition de s’astreindre à garder le pied droit léger et de circuler sur une chaussée plate ou en descente, on s’attend à circuler quelques kilomètres en tout électrique. Nouvel échec : à peine 20 km/h s’affichent-ils au tachymètre que le V6 thermique s’ébroue. Et quand on parle de s’ébrouer, on parle de s’ébrouer. Pour dire les choses clairement, le démarrage est sonore et brutal. Troisième exercice, troisième échec : dur !… La première fois on espère que ce qui doit être considéré comme un dysfonctionnement est dû au moteur froid et/ou aux batteries insuffisamment rechargées. Ce n’est hélas pas le cas : durant tout notre essai, si notre Range acceptera quelquefois à démarrer sur l’électrique, le moteur essence se mettra toujours en route très rapidement (nous n’avons jamais atteint 30 km/h en tout électrique), et surtout le fera toujours de manière brutale et sonore, donc inconfortable et même exaspérante s’agissant d’un Range Rover plus que de tout autre 4×4.
Notre interlocuteur à qui nous faisions part de notre déception en ramenant l’auto nous indiquait que nous disposions là de l’un des tout premiers modèles et que des améliorations ont dores et déjà été apportées, plus nettes encore sur le Range Sport, légèrement plus léger que le « grand » Range. Acceptons-en l’augure, tout en regrettant que lesdites améliorations n’aient pas été apportées avant la commercialisation du véhicule.
Un bon point tout de même au milieu de ces critiques : au terme de notre essai, mené pour 40% en ville 40% sur autoroute et 20% sur route, nous avons obtenu une consommation moyenne de 11,2 litres, une valeur inférieure d’environ 3 litres à celle de la version diesel, et sans commune mesure avec celle enregistrée avec la version V8 essence dans les mêmes conditions. Sur ce point au moins le contrat est rempli, même si les chiffres relevés sont assez éloignés des valeurs normalisées, un phénomène hélas commun à toutes les voitures hybrides du fait de la méthodologie de calcul des consommations normalisées.
Quoi qu’il en soit, et pour parfait que soit le Range Rover en soi, situé nettement un cran au-dessus de la concurrence en termes de prestige, de bien-être et de confort, on regrette que son hybridation ne soit pas réussie du tout sur le modèle que nous avons essayé, et attendons avec impatience de vérifier si les premiers Range Sport hybrides seront plus convaincants que leur grand frère. Ce qui paraît plus important encore pour la carrière de celui-ci que dans le cas du « grand » Range, que des tarifs désormais pharaoniques réservent quoi qu’il en soit à une clientèle pour laquelle la consommation d’un V8 compressé (20% des ventes françaises tout de même) n’est pas un problème.
A la différence du Range Rover, l’hybridation du Porsche Cayenne s’avère particulièrement réussie. La voiture démarre en tout électrique dans cette ambiance encore un peu surréaliste (le temps que ce type de véhicule se démocratise) où l’on n’entend que le bzzz du moteur et le bruit des pneus sur le sol, dont il ressort une sensation de volupté particulière. Avec la même réserve que pour toutes les voitures hybrides (c’est-à-dire sauf à accélérer fortement), la voiture démarre sans bruit ni à-coups et conserve le mode électrique jusqu’à 70 km/h avant de démarrer son thermique. Relative déception à ce moment : le bruit du V6 3.0 litres d’origine Audi n’a rien à voir avec celui du légendaire flat six maison ou des différents groupes motorisant la 911 et le passage d’une énergie à l’autre est loin d’être silencieuse et inaudible comme elle l’est dans une Infiniti M35h (la plus bluffante de ce point de vue) ou une BMW Hybrid5 par exemple. Si la transition est loin d’être aussi bruyante et secouée qu’avec le Range, elle est très perceptible, ce qui pourrait constituer un bonheur si le thermique délivrait une symphonie comme Porsche sait si bien les écrire, mais ce n’est pas le cas ici. L’avance du constructeur allemand en matière de motorisation hybride (le Cayenne e-Hybrid est son troisième hybride rechargeable, après les 918 et Panamera), qui en fait le constructeur le plus en pointe en ce domaine, est ici manifeste. En passant de la technologie NiMh à la lithium-ion, Stuttgart s’est offert une avancée spectaculaire sur ce segment encore confidentiel mais tellement porteur d’image, et bien au-delà des 70 km/h relevés tout au long de notre essai, les 95 ch de son moteur 70 kWh permettent, sous réserve que la batterie soit pleinement rechargée (entre 2 et 4 heures sur le secteur selon le type de chargeur, 1 heure en roulant) de couvrir jusqu’à une trentaine de kilomètres, avec une vitesse maximale théorique de 125 km/h. Si nous n’avons pas eu l’occasion de vérifier ces deux derniers chiffres, nous avons en revanche eu largement l’occasion d’apprécier le mode tout électrique sur les premiers kilomètres d’un trajet et en circulation urbaine.
Les performances ne sont pas en reste puisque le Cayenne hybride est crédité de 5,9 secondes au 0 à 100, temps comparable à celui obtenu avec un modèle V8S diesel.
Comme pour le Range Rover, l’un des intérêts de cet essai était de pouvoir mesurer in situ la consommation réelle du Cayenne hybride. Ce qui nous a permis de vérifier que même si l’on n’approche jamais la consommation normalisée revendiquée (3,4 litres/100 km !), Porsche maîtrise parfaitement son sujet dans ce domaine aussi. Ainsi sur le même parcours d’essai ville-autoroute-route 40/40/20 que le Range Rover avons-nous obtenu un remarquable 10,2 litres, très convaincant au regard du poids et de la puissance de la voiture. Plus fort : en usage urbain et périurbain et à condition de ne pas vouloir disputer le Grand Prix des feux rouges, notre consommation s’est maintenue à 8,1 litres. Toujours pour 2,3 tonnes et 416 ch : sans commentaire.
Enfin, last but not least , il nous faut terminer cette rencontre iconoclaste entre prestige et sport par les coûts des deux engins.
A l’achat, il n’y a pas photo : disponible uniquement en version Autobiography, le Range Hybrid ne fait pas dans la dentelle et « démarre » à 130.200 euros. Auxquels on ajoutera les options ou, pour ceux qui disposent d’un chauffeur, les 4600 euros de la version longue (+ 15 cm). Sur ce point, le Cayenne paraît presque bon marché puisque proposé à 84.038 euros.
Et puis il y a les taxes écologiques, lumineuse trouvaille d’un Etat toujours imaginatif en la matière, liée aux niveaux d’émission. La technologie hybride permet de réduire ces derniers de manière significative. Ainsi le Range Hybrid est-il crédité de 169 g/km, soit 26% de moins que le modèle SDV8 et 15% de moins que le SDV6 dont il dérive, ce qui lui permet une taxe écologique de 2200 euros, au lieu des 6500 et 8000 des modèles diesel et essence. Porsche fait mieux : ses 3,4 litres de consommation normalisée et ses 79 kg/km d’émissions lui valent un bonus écologique de 3300 euros (à déduire du prix de la voiture, qui ressort ainsi à 80.738 euros), et pour les sociétés (qui représentent la majorité des immatriculations) une TVS gratuite pendant deux ans, puis de 142 euros/an les années suivantes, à comparer aux 4500 € de celle d’un Cayenne S Diesel. Au bout du compte si on retient du Range Hybrid son confort et son prestige sans rivaux, et la baisse de consommation sensible que la plupart des utilisateurs appelaient de leur voeux, son hybridation est encore loin d’être convaincante et mérite d’être réessayée lorsque les améliorations promises auront été effectuées. Le véhicule arrive aussi à des niveaux de prix qui deviennent nettement discriminants. Plus accessible, le Porsche Cayenne e-Hybrid brille par une hybridation réussie, à laquelle il ne manquerait que la chanson d’un moteur thermique plus noble et une gestion de la transition électrique/thermique plus lissée pour frôler la perfection. Du strict point de vue de l’hybridation il remporte en tout cas largement cette confrontation.
En version longue LWB dans une rue de Mayfair : parfaitement à sa place. En revanche les 5,20 m sont à manier avec précaution dans les parkings parisiens.
Le Cayenne tel qu’en lui-même : joli, stylé, dynamique – Porsche jusqu’au bout des chromes.